L’appel à la marche « Stop à l’islamophobie » du 10 novembre (à Paris, rendez-vous 13h à Gare du Nord) est à bien des égards un tournant. Pour la première fois, un large spectre d’organisations et de personnalités ont décidé de se mobiliser, ensemble, contre les violences, la stigmatisation et les discriminations subies par les musulmanEs. Le signe d’une salutaire prise de conscience collective, malheureusement liée à un contexte particulièrement préoccupant.
Nous l’écrivions le 23 octobre1 : « Avec leur discours sur les "signaux faibles", Macron, Castaner et compagnie ont légitimé les positions les plus radicalement islamophobes et les amalgames les plus délétères. Au vu de la liste des signaux faibles (voile, barbe, djellaba, nourriture halal, etc.), un trait d’égalité a en effet été tracé entre musulman pieux et individu "radicalisé" et, partant, entre musulman et personne "radicalisable". » Nous ne savions pas alors que, quelques jours plus tard, un ex-candidat du Front national passerait à l’acte en tirant sur des fidèles musulmans devant une mosquée qu’il avait l’intention d’incendier… Un passage à l’acte qui n’a rien d’un coup de tonnerre dans un ciel serein, mais qui n’est rien d’autre que l’expression de la « radicalisation » des islamophobes en tout genre, facilitée, voire encouragée par les plus hauts sommets de l’État.
La responsabilité de Macron
La déferlante islamophobe à laquelle nous assistons depuis plusieurs semaines est en effet une étape supplémentaire dans le développement des discours et des politiques stigmatisantes et discriminatoires à l’égard des musulmanEs, jetés en pâture dans le débat public et rendus responsables de tous les maux. Le choix d’Emmanuel Macron d’accorder un entretien à l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs actuelles est à cet égard éloquent, véritable appel du pied même pas dissimulé aux franges les plus réactionnaires et racistes de la société. A fortiori lorsque l’on se résout à ouvrir ledit magazine et que l’on y découvre, entre autres, que Macron fait sienne la théorie complotiste de la fachosphère concernant « l’affaire » du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté… Le président de la République explique ainsi doctement, et sans aucune preuve, que la mère d’élève qui a été humiliée par un conseiller RN lui intimant de sortir en raison de son voile, aurait « coincé » ledit conseiller et qu’elle serait « plus proche des milieux de l’islam politique qu’on ne le croyait ».
Une théorie venue de l’extrême droite et largement démentie depuis, qui inverse la charge de la culpabilité dans cette « affaire », et qui s’inscrit en réalité dans un discours rabâché depuis de longues, longues années : si les musulmanEs sont stigmatisés, voire violentés, c’est parce qu’ils et elles le cherchent, dans le cadre d’une stratégie de victimisation. Et lorsque certains musulmanEs « innocents » sont pris pour cible, la cause se trouverait du côté de « l’islamisme » et non de l’islamophobie. Exactement le type de raisonnement que l’on a pu entendre sur les plateaux de chaînes d’information le soir de l’attentat contre la mosquée de Bayonne, avec des « débats » glissant plus ou moins brutalement vers la question du « communautarisme »…
Une riposte large, unitaire et déterminée
Dans un tel contexte, une riposte large et unitaire était indispensable, qui commence à se dessiner avec la marche du 10 novembre, dont l’importance est proportionnelle au déchaînement de haine qu’elle suscite du côté de la droite et de l’extrême droite, mais aussi de nombre de défenseurs auto-proclamés d’une « laïcité » transformée en arme de discrimination massive contre les musulmanEs. Les pressions sont fortes sur certaines des personnalités et organisations signataires, de La France insoumise à Philippe Martinez en passant par la FSU et Génération.s, que l’on traite allègrement de « collabos de l’islamisme » sous prétexte qu’ils ont fait le choix de signer un appel à se mobiliser au côté des premierEs concernéEs et de plusieurs collectifs luttant de longue date contre l’islamophobie, comme le CCIF ou la plateforme L.E.S. Musulmans.
Pour contre-balancer ces pressions, il faut faire de la journée du 10 novembre un succès et une démonstration de force. Une démonstration d’unité face à une violente offensive raciste, de solidarité avec les populations qui en sont victimes, et de refus de se laisser entraîner sur le terrain de la haine et des divisions face à un gouvernement dont les politiques visent l’ensemble des salariéEs, des classes populaires et des jeunes. Sans toutefois tomber dans la rhétorique de la « diversion », qui voudrait que la lutte contre l’islamophobie soit un piège qui nous détournerait de la « véritable » lutte des classes. La lutte contre l’islamophobie, comme la lutte contre tous les racismes, est au cœur de la lutte des classes, et elle doit être une tâche essentielle pour tous ceux et toutes celles qui, aujourd’hui, veulent en finir avec toutes les politiques antisociales du pouvoir. La contre-offensive antiraciste est en effet non seulement nécessaire pour faire cesser les discriminations et les violences, mais elle participe en outre pleinement de l’unification et du renforcement de notre camp social, indispensables pour infliger une défaite globale à Macron et son monde.
Julien Salingue