Publié le Dimanche 16 février 2025 à 14h00.

Le discours de Milei à Davos représente une menace fasciste

L’Anticapitaliste publie le texte des camarades argentins de Poder Popular à propos du discours de Milei le 23 janvier 2025 au sommet de Davos.

Le discours de Milei à Davos contient une série de points cruciaux pour comprendre le projet politique, économique et social de l’extrême droite argentine.

Milei y parle de la position de l’Argentine dans le monde, propose une analyse du rôle de ces rencontres internationales, se positionne comme un leader mondial (ou tente de le faire), caractérise la gauche et le progressisme en tant que forces, expose sa vision de l’histoire mondiale et nationale, situe la débâcle de la crise et ses raisons, et annonce les grandes lignes d’un programme de droite et réactionnaire. Il s’agit en somme de la déclaration la plus sincère que le gouvernement ait faite sur sa lecture historique, sur la réaction de la société à ses mesures et sur son programme pour l’avenir. Un discours idéologiquement chargé, soigneusement rédigé dans le but de contribuer à la bataille culturelle vers une nouvelle hégémonie réactionnaire : antipatriotisme, misogynie sexiste, haine de la dissidence sexuelle et de genre, négationnisme climatique, contrôle accru et militarisation de la société, lutte contre la raison et mépris de l’art et de la science.

Il faut être clair : le projet de Javier Milei est incompatible avec les libertés démocratiques que nous avons conquises après la chute de la dictature militaire. Pour imposer ce nouveau consensus social, il doit briser la colonne vertébrale du mouvement syndical et populaire argentin. Et pour vaincre l’un des plus hauts niveaux d’organisation syndicale et sociale du continent, il a besoin de l’utilisation délibérée de la violence sous toutes ses formes : stigmatisation, criminalisation, persécution et répression. Bien que les secteurs populaires sortent d’une défaite, ils conservent des niveaux d’organisation qui représentent un risque pour son programme. Nous sommes toujours le pays des mères et des grands-mères de la Plaza de Mayo, du mouvement féministe bouillonnant des dernières décennies. Nous sommes toujours le pays de Diego qui se moque des Britanniques. Nous sommes toujours le pays qu’ils détestent.

En smoking pour vendre la patrie

Le nouveau meilleur ami de Javier Milei est Elon Musk. Il y a quelques temps, lorsque le leader de X a célébré sa capacité politique et sa croissance rapide sur ce réseau social, le président argentin s’est réjoui comme un enfant lorsqu’il obtient le ballon qu’il veut. Sa relation avec Elon Musk n’est pas celle d’un allié politique, mais celle d’un fan d’un groupe musical ou d’une figure idolâtrée pendant l’adolescence.

Pourquoi Milei le suit-il ? Elon Musk est la première personne au monde à posséder une fortune de 400 milliards de dollars. Dans l’histoire du capitalisme, personne n’a peut-être réussi à convertir son énorme richesse en influence politique de la même manière que Musk. Aujourd’hui, il accompagne les mouvements de l’extrême droite mondiale avec ses fonds, ses idées et son corps. Ainsi, il participe au gouvernement de Donald Trump à travers le poste du Département de l’efficacité gouvernementale et participe en tant qu’orateur aux rassemblements d’Alternative für Deutschland, le parti d’extrême droite allemand. Il qualifie la lutte pour Black Lives Matter de « virus mental », rejette les syndicats et déclare sa fille transgenre « assassinée » par le « virus woke ». Depuis qu’il est propriétaire de X, il a expulsé une grande partie des « modérateurs de contenu » qui travaillent pour ce réseau social. Il a ainsi transformé X en une centrale mondiale qui fournit une hyper-information conforme à l’idéologie de l’ultra-droite.

Cependant, Milei ne s’est pas rendu à l’investiture de Trump pour conclure des accords commerciaux. Comme pour les dizaines de voyages effectués avec l’argent de l’État, le président s’est rendu sur place pour apporter un soutien politique aux leaders de l’extrême droite mondiale. Il n’y a pas d’ambassades ou d’accords diplomatiques à suivre. Le président fait ce qu’il veut avec les fonds de l’État et les institutions démocratiques.

Malgré l’admiration de Milei, la position de Donald Trump sur l’Amérique latine exprimée dans l’une de ses interviews post-inauguration est claire : « Ils ont plus besoin de nous que nous n’avons besoin d’eux ». Quel est donc l’intérêt de soutenir avec autant de ferveur un dirigeant qui reconnaît ne pas avoir besoin de vous ? La réponse est simple. Un profond sentiment antinational et un mépris pour le pays et son territoire. Le président, après chacun de ses voyages, revient avec des tweets et des photos. Toujours pas d’investissement. Encore moins avec un accord commercial pour lutter contre la pauvreté ou résoudre des problèmes structurels. Lors de ses voyages, il baisse la tête, il distribue nos ressources naturelles et cherche à faire bonne figure auprès du Fonds monétaire international.

Contre l’« idéologie woke »

Tout projet qui vise à interpeler une société en crise doit clarifier auprès des secteurs populaires comment cette situation s’est produite. Cela implique de nommer les responsables et d’opposer leurs projets aux siens. Le discours de Milei à Davos implique un tournant partiel par rapport à son discours précédent. Reprenons.

Afin de se construire comme un candidat compétitif à l’approche du deuxième tour, Milei a déplacé l’axe du discours « contre la caste » pour se positionner comme le référent de l’anti-kirchnérisme. Il a ainsi coopté les voix de l’électorat de tous les partis qui se sont trouvés dans cette position lors du cycle précédent. Cependant, le discours de Davos va beaucoup plus loin. Pour son paradigme, ce ne sont pas (ou du moins pas seulement) les kirchneristes-péronistes qui sont responsables de la crise, mais plutôt l’« idéologie woke ». Ce terme est utilisé pour englober, de manière délibérément schématique, tout ce que le gouvernement n’aime pas. Marxisme, progressisme, « idéologie du genre », luttes raciales, justice sociale, toute mesure étatique visant à garantir des droits ou à répartir ne serait-ce que timidement les richesses. Milei nous déclare la guerre : « gauchistes, vous allez fuir ».

Ce type de discours, qui lui a permis de susciter la controverse sur les réseaux sociaux et d’augmenter son audience, fait un bond qualitatif maintenant qu’il est prononcé depuis les bureaux de l’État. Il ne faut pas s’y tromper. C’est du plus profond de l’État que sont validées la répression et la persécution de ceux d’entre nous qui luttent pour une société différente. Le danger que nous courons n’est pas d’exagérer mais de sous-estimer la possibilité que ces idées s’ancrent profondément et permettent l’application d’autres mesures autoritaires en plus des mesures actuelles. Tout virage autoritaire doit d’abord préparer le terrain dans la bataille culturelle. La réussite de ce plan dépend de la capacité des secteurs populaires à s’organiser et à construire une résistance permanente à ses mesures.

Son programme est la programmation de la misère

Manuel Adorni, porte-parole de la présidence, annonce chaque début de mois les chiffres officiels de l’inflation avec un sourire moqueur. Il y présente la baisse du pourcentage comme l’un des grands triomphes du gouvernement. Pourtant, l’inflation n’est qu’un des indicateurs de nos conditions de vie. Les salaires en Argentine sont à un niveau historiquement bas, sans précédent au cours des dernières décennies, tandis qu’avec la structure institutionnelle prévue par la « Ley Bases », les bénéfices des entreprises devraient faire un bond historique.

La possibilité de privatisation des entreprises publiques et du système de retraite, les continuelles suppressions de financement de la santé publique et de l’éducation, les licenciements massifs dans l’État, les modifications des lois sur l’emploi visant à garantir des heures de travail plus longues, des salaires plus bas, moins de vacances et des contrats moins formels sont quelques-uns des principaux aspects de la situation. Rien de nouveau sous le soleil. Le programme libertarien est un capitalisme extrême qui ramène les relations de travail au 20e siècle et qui a conduit le pays à la pauvreté, au vide et à la perte totale de souveraineté dans la dictature génocidaire de Videla et les gouvernements de Carlos Saúl Menem.

Cependant, la situation de crise économique n’est pas encore résolue et ne semble pas devoir se stabiliser à court terme. La récente baisse des taxes à l’exportation des céréales est loin de garantir le calme sur les marchés et la baisse de l’inflation dont se targue le gouvernement. De même, sa situation avec le FMI reste incertaine et il risque de ne pas pouvoir obtenir de prêt s’il ne suit pas les étapes qui lui sont demandées. La demande du FMI est très proche de celle des grands groupes économiques qui, s’ils soutiennent le gouvernement sur le plan politique, font conjointement pression sur lui dans le domaine économique pour qu’il laisse libre cours à une accumulation démesurée. Leur plan est la dévaluation et la levée de l’ancrage au dollar.

La mise en œuvre de ce plan pose un certain nombre de problèmes au gouvernement. Tout d’abord, la mission du FMI a quitté le pays sans être parvenue à un accord. Si la politique économique n’est pas « corrigée » et qu’un taux de change plus faible, des taux d’intérêt plus élevés et une plus grande flexibilité du taux de change ne sont pas fournis, le FMI ne parle que de consentir à l’Argentine, en 2025, les ressources pour assurer le service de sa dette envers le Fonds. En d’autres termes, il s’agit d’aider le gouvernement à rembourser la dette qu’il a déjà contractée auprès de l’organisation. Ceci est d’autant plus important que la dette envers le Fonds est considérée comme une dette « senior », c’est-à-dire celle qui doit être payée pour pouvoir demander n’importe quel type de prêt aux organisations internationales.

Le gouvernement de Milei cherche les ressources nécessaires pour demander ultérieurement un prêt de 11, 12 ou 15 milliards de dollars. Le prêt qu’il souhaite obtenir du Fonds monétaire international représente une perte totale de souveraineté économique et politique, puisqu’il ne serait même pas remboursé par deux générations entières d’Argentins.

Le revers économique de ces données est souligné par les indicateurs qui démontrent que les plus grandes fortunes du pays ont doublé. Pourtant, elles ont récemment bénéficié d’une baisse d’impôts. Selon le magazine Forbes, en 2020, les 50 Argentins les plus riches disposaient d’un total de 46 milliards de dollars américains. En décembre de cette année, cette somme s’élevait à 78 milliards. N’avait-on pas dit qu’il « n’y avait pas d’argent » ? Qu’il n’y avait qu’un « État absent » ? Ce qu’il y a vraiment, c’est un programme économique qui cherche à garantir les profits des 1 % les plus riches au prix de l’appauvrissement des grandes majorités sociales. Leur projet, c’est la planification de la misère.

L’avenir n’appartient pas aux fachos

Rien n’est plus important que la lutte contre la menace fasciste. Dans la lutte stratégique de la bataille culturelle qui se déroule en permanence, chaque génération du mouvement populaire a une tâche à accomplir. Nos mères et nos grands-mères ont combattu la dictature et lutté contre l’impunité dans la démocratie. La génération des années 1990 a affronté les plans du FMI et, dans la lutte contre la faim, a donné naissance au mouvement piquetero. Aujourd’hui, c’est à notre tour de faire face à la menace fasciste. La violence et la haine ne peuvent pas faire partie du sens commun.

Le néolibéralisme n’est pas seulement un modèle économique. C’est une forme très spécifique de domination politique qui cherche à démobiliser et à individualiser la classe ouvrière. Pour ce faire, il utilise la coercition du marché, intensifie la concurrence à des niveaux impensables et diffuse une machine idéologique et culturelle sans précédent dans l’histoire mondiale par le biais de grandes plateformes numériques gérées par des monopoles associés à des États impérialistes. L’attaque de Milei à Davos contre « l’idéologie du genre » est intégralement liée à son plan économique. Tout cela fait partie de la même chose. S’ils parviennent à nous empêcher de ressentir de l’empathie pour les secteurs réprimés de la société, les liens sociaux et communautaires sont moindres, les conflits et les situations de vie sont individualisés, l’idée de société s’estompe. Cela leur est nécessaire pour faire avancer leurs mesures économiques.

Quelle est la force réelle du gouvernement et de ses idées ? Sont-ils invincibles ? La société dans son ensemble soutient-elle son programme ? Devons-nous nous en inquiéter ? Le gouvernement bénéficie d’un important soutien social en raison de l’échec des deux gouvernements précédents, d’une demande sociale accrue d’ordre, d’une banalisation des conditions de vie précaires, de l’approbation de la réduction de l’inflation selon les chiffres officiels et du soutien d’une partie de la société (inférieure à son nombre d’électeurs) à des mesures réactionnaires. Cependant, il est tout aussi vrai qu’au cours de cette année, nous avons connu plusieurs des mobilisations les plus importantes de l’histoire récente de notre pays. De plus, il est également vrai qu’il y a une partie des électeurs de Milei « repentis » qui n’ont pas de voix dans les médias et qui sont très difficiles à mesurer.

Ceux qui se sont organisés rapidement en assemblées après les discours de Davos, ceux qui ont embrassé l’hôpital Bonaparte dans la capitale fédérale ou ceux qui luttent pour l’eau à Mendoza ont offert quelques-unes des images de ces dernières semaines qui indiquent l’existence d’une base sociale sur laquelle construire la résistance.

La marche antifasciste et antiraciste du 1er février inaugure l’année 2025 par une mobilisation massive et fédérale qui s’ajoute à la liste des deux grèves appelées par la CGT, à l’irruption populaire la plus importante et la plus unitaire pour la mémoire du 24 mars des dernières décennies et aux marches fédérales universitaires. Sur cette base, nous devons proposer de construire un mouvement populaire uni taire dans les rues contre l’ensemble des mesures du gouvernement de Milei. Le caractère antifasciste est clairement apparu pour rester et sera une composante de tous nos mobilisations à partir de maintenant. Dans le cadre de ces luttes, nous devons contribuer à la naissance d’une nouvelle alternative politique de gauche qui soit claire quant aux défis politiques auxquels nous sommes confrontés avec un tel gouvernement. Ils ne sont pas invincibles. Nous devons les affronter.

Poder Popular Argentina, le 6 février 2025