Le 6 juillet, sous un beau soleil matinal, les portes du Palais de la Porte Dorée (Paris, 12e) à la façade néocoloniale s’ouvrent. Quelques enfants en sortie d’école entrent tandis qu’une trentaine de militants installent drapeaux, banderole et tracts pour sensibiliser à l’ubérisation des guides-conférenciers.
Ce jour-là, la direction du musée de l’Immigration, qui vient de rouvrir le 17 juin après trois ans de travaux, organise un « Éduc tour » pour les guides-conférencierEs afin de les inciter à faire venir au musée… leur clientèle.
Un bon jour, donc, pour les militants de la CGT Culture pour exprimer leur colère face à l’externalisation galopante, dont l’épicentre est désormais à la Porte Dorée.
Comme d’autres avant lui, le musée de l’Immigration a décidé, dès 2021 quand Pap Ndiaye en était encore directeur, de ne plus salarier les guides-conférenciers qu’il embauchait depuis parfois 15 ans, imposant à ses 8 conférenciers habituels de passer au statut de micro-entrepreneur (bien moins protecteur, en particulier pour la retraite) et cela pour un tarif horaire inférieur : 35 euros net contre 67 euros net de l’heure, sans majoration les dimanches et jours fériés. 7 guides-conférencierEs ont refusé.
Un métier très précaire et menacé
Comme l’explique Marie-Noëlle, en pleine diffusion de tracts, cette précarisation constitue une attaque supplémentaire contre le métier de guide-conférencierEs. En plus de trente ans d’expérience, elle a vu les contrats changer : « Depuis la création de l’auto-entreprise, la plupart des agences de tourisme nous demandent des factures. Donc, soit nous devenons "auto-entrepreneurs forcés", soit nous devons faire appel au portage salarial (qui a un coût) si nous voulons garder un statut salarié », explique-t-elle. Un statut bien précaire…
Les musées qui salarient encore sont donc les dernières poches de résistance à la précarité. Nathalie Ramos, secrétaire générale de la CGT Culture-syndicat national des musées et domaines, explique le mouvement général en cours en partant de l’exemple de la RMN (Réunion des musées nationaux) : « le volume horaire de commandes de visites-conférences est passée de 12 000 à 6 000 il y a quelques années. Pour 2023, ce volume serait de 1 000 heures seulement ». Le Louvre est la cause de cette baisse massive, car « les prestations de la RMN ne correspondraient pas aux attentes du Louvre qui les juge trop pointues », poursuit-elle avant de s’inquiéter pour la carte professionnelle de guide-conférencier.
Reçu fin juin par le ministère de la Culture, son syndicat a alerté sur les volumes horaires et sur la « modernisation » de la carte. L’objectif serait-il que le métier de guide-conférencier devienne un job étudiant ?
Une précarisation accélérée depuis dix ans
Aude, guide-conférencière, rebrousse chemin à la lecture du tract, assumant pleinement sa solidarité avec les militantEs mobilisés. Le musée de l’Immigration, elle avait envie d’y accompagner des scolaires en tant que bénévole, mais aussi des réfugiéEs dans le cadre associatif. Elle dit qu’au niveau social, l’accueil est formidable : tout est gratuit !
Selon elle, le métier de guide-conférencier est menacé. En 2009, avec la création du statut de micro-entrepreneur sous Sarkozy, les vacations se sont réduites. En 2011, on a fusionné les guides et les conférenciers et fait disparaître la notion d’interprète et « avec l’arrivée des plateformes, la précarisation s’est accélérée ». Depuis, les musées font de plus en plus appel à des médiateurs scientifiques et culturels « qui peuvent être très compétents, précise Marie-Noëlle, mais ils n’ont pas la même approche que nous qui essayons de nous adapter totalement à notre public et de répondre à des questions parfois très précises ».
On estime que les guides-conférencierEs étaient entre 3 000 et 4 000 avant le covid. Ils et elles seraient 40 % de moins depuis, car n’ayant reçu aucune aide, nombre d’entre eux et elles ont dû quitter le métier.
Adapter la réglementation aux pratiques des musées
Surtout, de nombreux musées nationaux s’affranchissent de l’obligation de recruter du personnel détenteur de la carte professionnelle. Et il n’est pas rare de constater que « lors des recrutements, la carte est appréciée mais non obligatoire », souligne Marie-Noëlle.
Au musée de l’Immigration, la direction n’est pas la dernière à l’avoir dit : « Nous, la loi on s’en arrange », aurait affirmé Pap Ndiaye du temps où il était directeur, annonçant ce que dénoncent aujourd’hui les militantEs mobilisés : le changement de réglementation pour s’adapter aux pratiques.
Ainsi, au Château de Versailles, la prochaine réouverture des appartements de Marie-Antoinette pourrait avoir lieu « avec des étudiants de l’école du Louvre à qui on a proposé d’organiser des visites guidées à la chaîne », selon le syndicat Sud Culture.
L’État externalise, ubérise et précarise ses guides-conférenciers. Il s’agit bien entendu de faire pression sur les salaires dans la culture comme ailleurs, mais aussi d’offrir des visites-conférence standardisées, normalisées et formatées, marketées et marchandisées, loin de l’idée que nous sommes encore nombreux à nous faire de la culture. Réfléchir et penser, point trop n’en faut… Le risque de rébellion serait-il trop grand ? C’est en tout cas la crainte que semble avoir exprimé la direction du musée de l’Immigration en appelant la police au lieu de venir elle-même dialoguer avec des militants paisibles. Une première, selon le syndicat CGT Culture ! Une provocation aussi… qui a fait flop ! Décidément, le musée de l’Immigration ne manque pas d’être à la pointe de la macronie.