Le départ de la Gauche anticapitaliste n’était pas une scission « classique » sur la « gauche » ou la « droite » du parti : c’est le noyau directionnel de l’ancienne LCR et du NPA à sa fondation qui est parti au Front de gauche. Ce sont les dirigeants formés par les cadres historiques de la LCR qui ont fait le choix de s’organiser politiquement avec les réformistes.
Ce n’est pas rien et cela mérite qu’on s’y attarde si on ne veut pas connaître de nouvelles déconvenues. Pour enrayer la crise militante, d’orientation et de direction du NPA, ce congrès aurait dû discuter du bilan de la politique menée, depuis la fondation du NPA, par ce noyau directionnel.
Les mêmes « recettes » causeront les mêmes dégâts
A 9 000 membres nous avons été incapables de résister à des écuries électorales telles que le FdG. Aujourd’hui, à 2 500 membres, la nouvelle et courte majorité (51 %) nous propose de suivre le sillon creusé par la GA, en reprenant à son compte la politique du « front durable social et politique » défendue par la Position 3 au moment du 1er congrès du NPA.
A la Conférence nationale de juin 2012, « l’opposition de gauche » était définie ainsi : « Une telle opposition ne pourra qu’être le résultat de confrontations politiques, de différenciations dans les luttes. C’est à travers des tests pratiques que nous verrons si les différents courants s’adapteront ou non à la mise en place de l’austérité, s’ils chercheront à construire et étendre les mobilisations, à sortir du « dialogue social » pour affronter les sociaux-libéraux ». Quelques mois plus tard, l’opposition de gauche est devenue le creuset d’une alternative politique, le précurseur d’un gouvernement anti-austérité qui ne peut être compris à une échelle large que comme une tentative de gouvernement commun avec le Front de gauche. La déclaration des délégués de la X, non soumise au vote des congressistes, précise : « Cette opposition devra poser la question de l’alternative politique (…) de la nécessité d’un gouvernement anti-austérité (...) Nous voulons en débattre dans nos syndicats et associations, entre militants et avec les partis politiques de gauche qui ne participent pas au gouvernement ». Cela implique une énième campagne d’interpellation du FdG par en haut, alors qu’il faudrait plutôt pousser à l’unité d’action et rendre visible le « soutien critique » du FdG vis-à-vis du gouvernement.
Ce n’est en tout cas pas très éloigné de la politique de la P3 en 2010, dont des animateurs écrivaient dans un bulletin de congrès : « Notre politique doit se donner pour objectif la constitution d’un front social et politique, c’est-à-dire d’un cadre capable à la fois de relier et de coordonner les résistances sur tous les terrains où elles ont lieu, et de construire sur leur base les éléments d’une réponse globale qui rompe avec les politiques néolibérales et social-libérales (…) elle doit coordonner enfin les différentes initiatives locales pour les rassembler dans une perspective nationale d’ensemble, qui s’inscrive dans les rassemblements qui refusent les politiques d’austérité à l’échelle européenne. »1
Nous n’avons pas la même analyse de ce que représente le FdG. Son rôle fondamental est d’encadrer les travailleurs et la radicalité pour les maintenir ou ramener dans le giron institutionnel. Nous pouvons nous retrouver avec ses militants dans les luttes, mais la politique de leurs directions est démobilisatrice. Nous sommes tous d’accord pour développer vis-à-vis du FdG une politique de front unique pour et dans les luttes, mais nous n’oublions pas que là où nous défendons leur généralisation, leur convergence et l’auto-organisation, il préconise des référendums et la « révolution citoyenne/par les urnes » tout en donnant un satisfecit aux politiques menées par les directions syndicales. Nous ne perdons pas non plus de vue qu’au-delà d’une dénonciation du capitalisme qui peut paraître commune, son objectif reste bien celui d’un aménagement antilibéral du capitalisme.
Si nous construisons une opposition au gouvernement et au patronat, c’est contre l’orientation du FdG ; de sa direction nationale bien sûr, mais aussi ses cadres intermédiaires, ses élus, ses dirigeants syndicaux. Nous ne pouvons en aucun cas envisager avec le FdG une alternative commune de gouvernement « anti-austérité »… ni le laisser croire. Nous ne pensons pas qu’une telle alternative politique serait un préalable à des luttes victorieuses. Au contraire, ce sont les luttes qui peuvent modifier le rapport de forces entre les classes ainsi que les consciences et ainsi rendre crédible une alternative au capitalisme.
La question du pouvoir
Fascinés par les succès électoraux de la coalition réformiste Syriza en Grèce, et anticipant des développements similaires dans notre pays, des camarades font de la « question du gouvernement » un enjeu central et… une nouvelle source de confusion.
Face à Hollande-Ayrault, à la droite et à l’extrême droite, nous défendons évidemment la perspective d’un gouvernement représentant les travailleurs et la population exploitée, prenant des mesures qui s’en prennent directement aux profits des capitalistes, à la propriété privée et aux institutions qui les défendent en France et à l’échelle européenne. Mais en l’absence de grandes luttes et de phénomènes significatifs d’auto-organisation, une telle perspective garde un caractère abstrait. Prétendre lui donner aujourd’hui une traduction plus précise, ou vouloir en faire un axe d’agitation quotidienne, ne peut être compris par la plupart des gens que comme la recherche d’un nouvel accord à froid avec les organisations réformistes.
Le pouvoir de la classe dirigeante repose sur le mode de production capitaliste (la propriété privée) et sur l’Etat qui la défend. Détruire le capitalisme, c’est détruire les deux. Construire un pouvoir des travailleurs et des opprimés, c’est mettre sur pied un pouvoir qui s’exerce à la fois sur les lieux de travail (de vie, d’étude…) et au niveau central. Or la question de comment mettre en cause le pouvoir des patrons est quasi absente de nos discussions, alors même que c’est à partir d’une politique pour et dans les luttes que les embryons de contre-pouvoir d’en bas se constituent.
Parce que le projet de notre parti c’est le pouvoir aux travailleurs, l’axe absolu de son intervention doit être d’aider à développer et centraliser les luttes et l’auto-organisation. C’est en œuvrant au regroupement des boîtes qui licencient à l’occasion d’échéances comme le 9 octobre ou le 12 février2, en défendant l’idée d’une manif nationale contre les licenciements, en cherchant à tisser le lien entre ces luttes et celle du secteur public, en mettant en place une stratégie de regroupement des sites, des métiers dans les grèves, la mise en place de caisses de grève, la bagarre pour l’auto-organisation des grèves et des luttes, pour des comités de grève et pour des interpros dans les conflits comme les retraites… C’est notre capacité à faire en sorte que nos militants défendent ce type d’orientation au même moment dans un maximum de secteurs qui peut faire la différence, bien plus qu’une supposée capacité à interpeller adroitement le FdG. Nous devons combiner la discussion sur les positionnements politiques généraux et leurs retranscriptions pratiques pour être capables de contester le pouvoir des capitalistes dans les faits et pas seulement les discours.
Rassembler le parti autour de tâches communes
Nous ne dépasserons pas ces désaccords immédiatement et sans approfondir le débat sur les questions stratégiques, les délimitations de notre parti. Le moyen d’avancer ensemble, c’est de mettre au centre de nos préoccupations et de notre activité l’intervention dans la lutte des classes. A 2 500 membres, ce doit être une priorité.
Lorsqu’on prend la discussion autour des tâches, cela aide à rassembler le parti. C’est en partant des luttes concrètes, de ces tests pratiques, que l’on voit qui s’affronte au gouvernement. C’est en mettant en mouvement les travailleurs et la jeunesse, en le proposant à toutes leurs organisations sur des objectifs précis, que l’on peut faire quelques démonstrations. Comme par exemple, et sans être exhaustif, autour de l’opposition à la guerre française au Mali, l’opposition à l’Ayrault-port de Notre-Dames-des-Landes, la lutte pour l’égalité des droits, l’opposition aux plans de licenciements… Autant d’expériences qui permettront d’enrichir et de préciser notre compréhension des tâches globales, politiques, de notre parti.
Pour que le NPA aille dans cette direction, c’est à tous les niveaux de l’organisation que nous souhaitons mettre en œuvre cette priorité autour de tâches communes. Prenant appui sur les 32 % des voix qui se sont portées au congrès sur la plate forme Y, c’est ce que nous ferons.
Gaël Quirante, Jean-François Cabral, Marie-Hélène Duverger, Jean-Philippe Divès