Publié le Mercredi 29 novembre 2023 à 09h52.

La marche, un « Mai 1968 des immigréEs » ?

L’expression d’Abdellali Hajjat a de quoi surprendre1. Pourtant, Kaïssa Titous résume ainsi le contexte politique qui voit l’émergence de la Marche pour l’égalité et contre le racisme : « Les cendres fumantes de la guerre d’Algérie ne sont pas vraiment éteintes. Les assassinats, les ratonnades ou les attaques ciblées par l’extrême droite se poursuivent. La vie des immigrés est rythmée par les descentes de police et les arrestations pour défaut de papiers. »2

 

Dans la foulée de Mai 1968, les immigréEs et leurs enfants sont à l’origine de nombreuses luttes pour l’égalité des droits : grèves pour les salaires, création du Mouvement des travailleurs arabes (MTA) en 1973, grève des loyers et luttes des foyers en 1975, révoltes contre les violences policières à partir de 1980... La période est, par ailleurs, marquée par l’impunité pour les crimes racistes (en 1973 huit Algériens sont assassinés en une semaine) et les peines de justice disproportionnées à l’encontre des jeunes ­d’origine maghrébine.

Les Minguettes, un concentré de politique

Les Minguettes est un quartier paupérisé : des barres d’immeuble de la banlieue de Lyon. Au début des années 1980 y convergent trois éléments : des révoltes contre les violences policières et judiciaires, la présence de militantEs qui ont porté les luttes de la décennie ­précédente et une gauche PC qui s’oppose aux revendications et mobilisations des jeunes. C’est à la suite de grèves de la faim victorieuses en solidarité avec des condamnés, après les révoltes de mars 1983, que des jeunes créent SOS Avenir Minguettes. Le refus de la gauche locale de soutenir les jeunes accélère deux éléments : la nécessité d’une autonomie d’organisation et de revendication sur les questions d’égalité des droits et l’idée de se tourner vers une visibilité nationale des crimes racistes et des violences policières (21 victimes dans la seule année 1983). C’est dans ce contexte que Toumi Djaïdja, lui-même blessé par la police, a l’idée de la Marche.

La Marche : une alliance improbable ?

L’alliance avec les réseaux chrétiens, autour de Christian Delorme et de la Cimade notamment, doit permettre une plus grande audience de la Marche. Celle-ci est réalisée au détriment des revendications. L’égalité face à la justice et à la police ainsi que dans l’accès à l’emploi et au logement social est reléguée derrière la lutte contre un racisme plus abstrait. Ce glissement explique le faible écho de la Marche dans les quartiers et aux Minguettes notamment. La mort de Habib Grimzi, touriste algérien, le 14 novembre 1983, ­défenestré par trois prétendants à la Légion étrangère dans le train Bordeaux–Vintimille, marque un tournant pour la visibilité de la Marche.

Ils étaient trente à partir de Marseille le 15 octobre, la Marche est accueillie à Paris par plus de 100 000 personnes où se mêlent militantEs associatifs, politique et syndicaux mais aussi des milliers de jeunes qui font leur le combat antiraciste. Une Marche qui clamait haut et fort que les travailleurEs immigrés et leurs familles sont partie intégrante de la société française et ne ­repartiront pas.

  • 1. L’expression est empruntée à Abdellali Hajjat, La Marche pour l’égalité et contre le racisme, éditions Amsterdam, 2013.
  • 2. 2 – « Les marches (1983-1985) : un rendez-vous manqué, mais une étape pour l’émancipation », entretien avec Kaïssa Titous, Migrations Société, 2015/3, n° 159-160, pp. 191 à 208.