Voilà maintenant plus de trois semaines que le mouvement d’occupation des théâtres et lieux de culture se poursuit et s’amplifie, montrant sa détermination à en découdre face à un gouvernement qui continue de faire la sourde oreille.
Une délégation (CGT spectacle, une occupante de l’Odéon, CGT chômeurEs, Collectif des précaires hôtellerie, restauration, événementiel) a été reçue vendredi dernier par le directeur de cabinet du ministère du Travail. Il a écouté attentivement, s’est dit « intéressé » par certaines revendications (comme l’insertion des jeunes), sur d’autres il a assuré qu’il « y travaillait » (un plan de relance du secteur de la culture), et il « cherche des solutions » pour soutenir caisses sociales en difficulté dans le champ du spectacle… bref encore de la langue de bois pour éviter de refuser tout simplement d’accéder à nos revendications. Par contre, ce qui a clairement été affirmé, c’est qu’« une nouvelle prolongation d’un an est une ligne rouge à ne pas franchir ». Et pour cause… comment accorder une telle chose aux ressortissantEs des annexes 8 et 10 quand on prévoit au 1er juillet une destruction globale historique de la protection chômage des plus précaires ?
Construire un mouvement interprofessionnel
Les occupantEs ont donc bien raison d’inscrire au cœur de leurs revendications la lutte pour l’abrogation de l’ensemble de la réforme de l’assurance chômage. Mais pour obliger le gouvernement à céder sur une réforme qui prévoit à moyen terme 2,5 milliards d’économie sur l’assurance chômage, il faudra un mouvement bien plus large et s’étendant à d’autres secteurs de la société.
Parce que cette réforme, pour le gouvernement, c’est trois en un :
1 – des économies massives sur le dos des précaires…
2 – … en baissant drastiquement le montant des allocations des plus précaires, cela les pousse à accepter n’importe quel travail à n’importe quel prix dans n’importe quelles conditions, parce que pour les travailleurEs à caractère discontinu, il sera impossible de vivre de ses allocations Pôle emploi ;
3 – une telle réforme va pousser beaucoup de précaires hors du salariat : moins le salariat permet l’accès à des droits fondamentaux, plus il devient naturel d’accepter l’auto-entreprenariat et c’est ainsi que l’« ubérisation » va galopant.
Construire un mouvement interprofessionnel pour mettre fin à cette réforme est donc bien à l’ordre du jour. Les cadres intersyndicaux et interpro sont souvent sommeillants, mais l’ardeur du mouvement peut aider à les réveiller. Les vendredis de la colère, réussis dans de nombreuses villes de France, sont un point d’appui pour mobiliser plus largement, au-delà des seulEs précaires de la culture. Il serait, par exemple, utile que les directions confédérales puissent s’en saisir dans un avenir proche.
Poser la question de la grève du secteur
Les différentes organisations syndicales vont-elles continuer encore longtemps de « soutenir » le mouvement d’occupations ? Quand vont-elles devenir partie prenante de son élargissement à d’autres secteurs ? Quand est-ce que Martinez va scander lui aussi : « Occupez, occupez, partout où vous voulez ! » ?
Mais sans attendre il faudra aussi, de l’intérieur des lieux de culture, commencer par construire un appel à la grève massive de touTEs les salariéEs et agentEs des secteurs culturels (aussi appelées « équipes permanentes »). C’est une des conditions pour passer un cap dans la construction du rapport de forces… Car aujourd’hui les salariéEs « permanentEs » des théâtres sont, en dehors de la grève, condamnés à rester spectateurEs du mouvement, ou à y participer sur leurs temps de pause. C’est une situation somme toute assez confortable pour les directions des théâtres dont le fonctionnement quotidien n’est par conséquent pas réellement bouleversé par les occupations. Alors certes, on entend déjà l’argument sur le fait qu’une grève pourrait fragiliser encore plus un secteur déjà fragile. Mais sans grève, nous n’obtiendrons jamais les centaines de milliers d’euros sans lesquels beaucoup des lieux de culture devront tout simplement fermer, ou réduire encore leurs équipes. Construire la grève dès maintenant dans nos milieux, c’est se donner les moyens militants de sauver le secteur culturel de demain.