Entre ambitions concurrentes et recomposition idéologique, le projet d’« union des droites » révèle autant de divisions que d’alliances possibles.
Sans surprise, les sujets phares qui agitent les extrêmes droites ces derniers mois restent l’immigration et l’insécurité, au-delà de la crise gouvernementale de la rentrée. Alors que la pétition de Philippe de Villiers pour un référendum sur l’immigration cumule près de deux millions de signatures (plus ou moins vérifiées), plusieurs se prennent à rêver d’une réaction « à l’anglaise », le regard tourné vers les mobilisations de rue outre-Manche. Marine Le Pen, qui « ne participe pas à des manifestations » mais « mène ce combat à l’Assemblée nationale », comprend la manifestation de Londres comme le symptôme d’« une exaspération absolue de la population à l’égard de l’immigration massive et du guichet social ». Elle aussi réclame un référendum sur la préférence nationale.
La mort de Charlie Kirk arrive alors que Facholand s’interroge sur les risques de guerre civile en France et s’alarme du « racisme anti-blanc ». Chacun anticipe son martyr et réclame des mesures radicales, comme déclarer « terroriste » la mouvance antifa. L’entretien récent d’un ancien directeur zemmourien de la DGSE au Figaro encourage à un « radicalisme sans remords » qui « enjambe le préambule constitutionnel ». Rien de tel pour alimenter la « diabolisation » de La France insoumise et, plus généralement, de la gauche soutien des PalestinienNEs.
Le RN hégémonique
C’est dans cette ambiance anxieuse qu’arrivent les remaniements gouvernementaux. Le débat sur l’union des droites vient à point, mais bouscule les appareils. Les extrêmes droites archipélisées restent polarisées par le RN et parviennent à aimanter la droite extrême. Ce petit monde s’agite avec des fréquences plus ou moins en phase. Mais sans tradition unitaire forte, il peine à trouver des cadres communs d’action.
En juin, le RN exclut tout accord aux municipales avec le micro-parti de Marion Maréchal, comme il l’a fait avec Éric Ciotti. Pas rancunière, Marion Maréchal annonce, fin septembre, ne pas se présenter à la présidentielle de 2027 pour soutenir sa tante. Elle compte bien forcer le RN à l’union des droites. Adoubée par Giorgia Meloni lors de sa rentrée politique, Marion Maréchal, fidèle à sa ligne, pousse à une coalition. Trois récents sondages et la législative partielle du Tarn-et-Garonne semblent aller dans son sens. Elle a déjà trouvé trois dénominateurs communs : « Réduire et contrôler l’immigration » ; « Restaurer l’autorité et la sécurité » ; « Sortir du socialisme mental [sic] et de la folie woke » pour « dégauchiser la France » [re-sic].
Marion Maréchal, fer de lance de l’union
Entre ambitions concurrentes et recomposition idéologique, le projet d’« union des droites » révèle autant de divisions que d’alliances possibles.Maréchal prend exemple sur son groupe au Parlement européen, pivot pour établir des majorités entre le groupe du RN et le groupe de LR. Sa coalition irait jusqu’à des éléments d’Horizons. On y trouve des figures maréchalo-compatibles comme la présidente de région Pays-de-la-Loire, ancienne de LR et soutien de la Manif pour tous, « qui a fait des économies spectaculaires dans toutes les subventions culturelles à la gauche ». Pour Maréchal, l’enjeu d’ici 2027 est le basculement du centre, pour se détacher de Macron vers la droite. Reste à en saisir le moment. En rappelant l’exemple de Ciotti, pas toujours favorable au RN, les tenants de cette coalition affirment que « les choses peuvent s’accélérer ». Le modèle de Maréchal est Meloni. Mais toute néofasciste qu’elle soit, celle-ci grenouille dans les gouvernements d’union depuis de longues années. En Italie, aucune organisation ne peut se prévaloir d’une hégémonie électorale, comme le RN en France.
Marion Maréchal est un peu la seule à être confiante. Les LR cherchent avant tout à exister. Le RN, empêtré dans les affaires judiciaires de Marine Le Pen, se voit contraint de se positionner. Poussé à composer avec la droite, le parti a plutôt l’habitude de regarder de haut d’éventuels alliés. Et les radicaux restent dubitatifs sur les capacités du RN à engager la rupture qu’ils attendent, surtout s’il se compromet avec les « droitards ».
Chez LR, toutes les options sont ouvertes
Les Républicains hésitent en attendant la martingale néo-sarkozyste pour saper les bases du RN... une option qui pourrait leur échapper avec un Darmanin bien positionné. Si le président du Sénat s’oppose à toute union sur sa droite, d’autres sénateurs et sénatrices LR sont bien moins frileux. Les jeunes LR pourraient y être favorables malgré leur président, forcé d’avaler les critiques sur sa mollesse, comme Bardella l’accusant d’avoir « expulsé plus de gens de LR que de migrants clandestins ». Xavier Bertrand propose que ceux prêts à voter RN y adhèrent franchement, et Laurent Wauquiez envisage une union de Gérald Darmanin à Sarah Knafo, sans évoquer le RN. La morale élastique des LR, couplée à leurs dissensions, laisse toutes les options ouvertes.
Marine Le Pen et ses lieutenants préviennent : le RN ne sauvera pas la droite. Bardella, qui avait fait le strict minimum pour le sommet des Libertés, sponsorisé par Stérin et Bolloré, l’affirme sur CNews, tout en tendant la main aux « orphelins de la droite qui ne se reconnaissent plus » dans LR. Sébastien Chenu éclaire la situation du RN : « Je suis élu dans un territoire qui a voté tout le temps à gauche depuis 1958 (…) mes électeurs ne se considèrent plus de gauche, mais leur logiciel ne les rattache pas tellement à ce qu’ils imaginent être la droite… pour eux, c’est une droite très libérale qui fait fermer les usines ».
Marine Le Pen au-dessus de la mêlée
Marine Le Pen, avec sa posture tribunitienne de « présidentiable » (elle y croit encore), se place au-dessus en parlant « à tous les Français ». Elle laisse ses cadres, sur le terrain, rallier l’électorat déçu de la droite. La plupart des candidatEs RN aux municipales annoncent ainsi des listes d’union des droites. La direction du RN ne vient majoritairement pas de l’extrême droite historique, encore moins de la gauche, mais de l’UMP et de Debout la France. Pour le RN, l’union se fait par ralliement et assimilation. Le RN cherche à fracturer LR pour en récupérer l’électorat, pas pour des accords d’appareils. La sortie de Ciotti rejoignant « l’union nationale » a certes créé un précédent. Mais avec une micro-organisation, le RN garde l’ascendant. Marine Le Pen table surtout sur le vote utile pour rassembler au second tour.
Il est peu probable qu’elle revienne sur son refus du clivage gauche-droite, y compris avec un Bardella à la manette, incapable — si c’était son intention — de tenir le parti que Le Pen contrôle toujours. D’autant que les clivages proposés n’excluent pas des alliances à droite : mondialisme-patriotisme, bloc élitaire-bloc populaire, décroissance-puissance. Quoi qu’il en soit, appuyé sur une offensive idéologique associant immigration, ensauvagement et menaces de gauche, s’engage une concurrence sur le créneau autoritaire. Mais une accélération unitaire recomposant complètement les extrêmes droites est peu probable.