Suite à l’écroulement du bloc soviétique et la disparition du stalinisme et de ses avatars, notre objectif révolutionnaire est à présent percuté par l’effondrement du mouvement ouvrier organisé. Comment dès lors constituer un courant révolutionnaire issu d’une tradition trotskiste, qui ne se résigne pas au statut minoritaire, au sein d’un mouvement ouvrier en crise ?
La création du NPA pour répondre à une nouvelle période.
En créant le NPA, la LCR tentait de capitaliser sur sa popularité électorale mais aussi sur l’émergence d’une nouvelle génération militante… Il s’agissait alors de regrouper les anticapitalistes et les révolutionnaires, donc d’attirer des militantEs qui hésitaient entre réforme et révolution. Cela aurait pu être une tactique envisageable, revenant à faire de “l’entrisme” dans un parti large, médiation vers un parti révolutionnaire de masse, mais où la LCR se serait alors constituée en fraction, aurait conservé son programme, pour tirer à elle, dans le cadre de la création d’un nouveau parti et de la dynamique qui en découlait, de nouvelles forces. Mais ce projet n’a jamais été présenté ni assumé comme une tactique, créant un flou laissant penser à un changement de stratégie. La LCR s’est dissoute dans le NPA (tout en en restant à sa direction), la référence au trotskisme abandonnée, les définitions stratégiques repoussées à plus tard.
Face à ce projet majoritaire, un autre projet coexistait : celui d’un parti qui réunirait réformistes et révolutionnaires. Dans cette vision, le NPA était le cadre pour une union de la gauche de la gauche, dans la lignée du Non au TCE. Ce projet était largement minoritaire dans la LCR, entraînant dans un premier temps le départ d’un certain nombre de figures militantes. La naissance d’un parti clairement réformiste, le PG de Mélenchon et celle du Front de Gauche, au même moment que le NPA, s’est révélé un projet plus attractif pour beaucoup de militantEs de cette sensibilité minoritaire. Les départs de la GU et de la GA sont venus l’acter.
Enfin, à la création du NPA coexistait un troisième projet, celui des petits groupes extérieurs à la LCR et qui voyaient dans la dynamique du NPA l’occasion de sortir de leur isolement politique (Étincelle, CRI devenu TC ou le CCR). Ces groupes, devenant des tendances du NPA, défendaient au contraire une délimitation stricte du NPA : il s’agissait de faire un parti de révolutionnaires, ayant une stratégie et un programme clairement révolutionnaires. Néanmoins, pour ces groupes, la nature révolutionnaire du parti dépendait de la reprise de leurs propres éléments programmatiques. Dans le contexte de crise du parti, cela a nourri le besoin de distinction de chacun d’entre eux, les sectarismes internes et les démarches centrifuges, accélérant en retour la crise du NPA.
Dans ce contexte de perte des acquis et d’échec du projet de parti large face à l’émergence d’un projet réformiste bien plus cohérent, le manque de référence au trotskisme ou au communisme, l’absence d’hypothèse stratégique principale et de programme de transition, en un mot tout ce qui avait été pensé comme la force du NPA est devenu sa faiblesse. Il est difficile de créer un sentiment d’appartenance commune à un parti à l’identité politique aussi faible, et donc d’appliquer le centralisme démocratique, puisque les principales prises de décision censées instituer un parti ont été repoussées à plus tard et n’ont finalement jamais été prises. C’est l’une des raisons qui ont mené les tendances oppositionnelles à devenir des micro-partis dans un parti de faible consistance. En retour, cela n’a fait qu’aggraver davantage la crise du NPA, et conduit à la situation actuelle. Si les tendances ont accentué la crise du NPA, elles n’en sont donc pas la cause, mais bien plutôt le fruit.
Aujourd’hui, un grand nombre de membres du NPA, y compris celles et ceux qui étaient convaincuEs au départ du projet de parti large, reconnaissent que la période a changé et que l’espace qu’avait espéré prendre le NPA – à gauche du
social-libéralisme – est aujourd’hui occupé par la FI. C’est très bien : ce congrès doit l’acter.
Un parti révolutionnaire refondé, avec un programme de transition actualisé
Cela passera par une modification de nos principes fondateurs et nos statuts et devra s’incarner dans l’ensemble de notre matériel et de nos interventions. Il s’agit en quelque sorte de revenir au meilleur de ce qui avait fait la LCR. Nous voulons ainsi rouvrir le débat sur nos diverses hypothèses stratégiques, notamment celle de la grève générale insurrectionnelle pour la prise du pouvoir de notre classe. Par ailleurs, nous devons clarifier ce que nous entendons par auto-organisation et auto-activité de la classe.
Nous voulons enfin que se lance le chantier de rédaction et de re-conceptualisation d’un programme de transition, qui ne soit pas un simple programme d’urgence plus à gauche que celui de la FI, mais qui permette de faire le pont entre les revendications actuelles des classes populaires et l’objectif d’un gouvernement des travailleurSEs qui engage la transition vers le socialisme. Il ne doit pas y avoir d’un côté un programme fait de mesures pour répondre à l’urgence et d’un autre un lointain horizon révolutionnaire. Notre programme, à la fois crédible et désirable, utiliserait les mesures que nous défendons pour mobiliser notre classe et démontrer que la réponse à l’urgence est une révolution socialiste. Notre programme intégrerait également les élaborations issues des théories féministes, écosocialistes, décoloniales, antiracistes, etc. Cela ne signifie pas pour cela tout définir dans les moindres détails. Mais les bases d’un programme de transition pour le 21e siècle doivent être posées.
Nous faisons les propositions suivantes. Un tel programme s’appuierait notamment sur une analyse marxiste des crises qui, admettant la centralité du taux de profit comme moteur des crises du capitalisme, montrerait l’impasse des solutions de relance keynésiennes proposées par la gauche antilibérale. Avec ces éléments viendrait un projet concret qui donnerait des pistes pour passer d’une économie capitaliste à une économie planifiée, en parlant par exemple d’extension du champ de la sécurité sociale Nous devrions assumer la nécéssité d’une rupture anticapitaliste avec l’Union européenne des barbelés et du capital. Nous avancerions une écologie anti-productiviste qui assumerait que décroissent certains secteurs de l’économie. Ensuite, ce programme défendrait une vision du capitalisme comme un système intrinsèquement de classe, de genre et de race. Il reconnaîtrait donc la centralité du féminisme et de l’antiracisme au sein de notre projet révolutionnaire, tant en termes stratégiques (grève du travail productif et reproductif) que programmatiques (socialisation de la production et de la reproduction). Enfin, il défendrait la centralité stratégique de l’auto-organisation et la nécessaire mise en place d’un gouvernement des travailleurSEs qui s’emparerait du pouvoir pour mettre en œuvre ces mesures.
Reconstruire notre parti, reconstruire le mouvement ouvrier
Une autre réponse serait de chercher prioritairement à reconstruire le mouvement ouvrier au sein de fronts uniques avant même d’y développer un courant révolutionnaire structuré. Bien sûr, le front unique est un élément majeur de notre politique. Mais nos faibles forces ne peuvent suffire à inverser la crise générale que traverse le mouvement ouvrier.
Si nous devons prendre notre part à la reconstruction du mouvement ouvrier, notre apport central est donc d’ordre stratégique et programmatique. Pour être capables de développer des politiques utiles de fronts uniques, y compris avec des réformistes – dans les luttes, et parfois même dans les élections –, nous devons construire notre courant sans nous excuser d’être révolutionnaires. Construire un front unique ne fait pas avancer nos idées ni la lutte si nous nous y dissolvons sans porter une politique propre et offensive face aux réformistes. Pour cela, nous devons donc construire un courant révolutionnaire assumé, et donc reconstruire notre propre parti ! Cela passe par un travail d’implantation, pas seulement dans les grands secteurs industriels historiques, mais également dans des secteurs féminisés et racisés en expansion numérique, comme le nettoyage, le soin, la santé. Le militantisme à destination des lieux de travail doit aussi se faire en aidant les camarades à se faire embaucher dans les secteurs que nous choisissons de prioriser et à y militer syndicalement, en faisant le lien avec leur comité. Les Rencontres Nationales Public-Privé devraient à ce titre redevenir une priorité du parti.
Mais la question de l’implantation ne se réduit pas aux lieux de travail. S’implanter, c’est également prendre notre part dans la construction ou la reconstruction des collectifs militants écologistes, féministes, antiracistes, LGBTI…
Un parti capable de construire le front unique
Le front unique demeure un aspect majeur de notre stratégie. Il ne s’agit pas d’un simple regroupement à la base de l’avant-garde large, mais il consiste au contraire à construire l’unité de la base au sommet des organisations du mouvement social autour de revendications unifiantes. Cela peut passer par la signature d’appels collectifs aux mobilisations, mais sans effacer la question de leur fond politique. Si nous ne pouvons pas exiger la reprise de l’entièreté de notre programme pour faire l’unité d’action, inversement il ne s’agit pas d’adopter la ligne des autres organisations ou une partie de celles-ci. Plus globalement, si le front unique sert de médiation pour unifier la classe, il sert également à démontrer les limites du réformisme à une large échelle. Il faut donc y défendre publiquement notre politique. L’enjeu est moins le type de front unique que nous menons (bien sûr au sein de notre classe), que ce que nous y faisons ! Ainsi, nous ne devons pas hésiter, lorsque c’est nécessaire, à interpeller les directions bureaucratiques réformistes et à critiquer publiquement, en fonction des circonstances, leur passivité, leur absence de plan de bataille ou leur politique de défaites.
Une démarche de front unique c’est aussi reconstruire des cadres unitaires antifascistes. La menace de l’extrême droite peut en effet rapidement devenir une réalité récurrente dans les luttes. C’est l’un des premiers champs d’interventions de ces groupes et nous devrions renforcer notre collaboration avec d’autres forces : SO communs, manifestations contre les initiatives de l’extrême droite, et organisation de la solidarité avec les camarades agresséEs…
C’est enfin (re)construire les liens entre les mouvements féministes, LGBTI, antiracistes, antivalidistes et le mouvement ouvrier. Il ne s’agit pas simplement de faire des cortèges de notre parti le jour des manifs féministes ou des prides, mais de construire en amont ces manifestations en nous investissant dans leur organisation, tout en y défendant notre politique.
Un parti révolutionnaire, inclusif, et démocratique
Le parti révolutionnaire que nous voulons construire ensemble est aussi un parti inclusif et démocratique, qui donne sa place aux militantEs et leur permet de se former, de décider en ayant connaissance de tous les enjeux. Nous voulons un parti qui contrôle sa direction et ses porte-parole, assume la rotation des mandats, et qui ne considère pas comme secondaire la question des méthodes. Un parti révolutionnaire et démocratique définit des droits et devoirs pour chacun de ses courants (officiels ou officieux), permettant de mettre en œuvre un vrai centralisme démocratique. Enfin et surtout, nous voulons un parti révolutionnaire, démocratique, inclusif, où les comités ne sont pas de simples exécutants mais expérimentent et participent à élaborer l’orientation.