Qu’est-ce qui peut justifier que le gouvernement fasse l’apologie permanente d’un procédé industriel cher, dangereux pour la santé publique et pour l’environnement ? Un lobby industriel, bien sûr ! Qui empêcherait en effet de grands groupes, dont Suez et Veolia, de pomper (encore) de l’argent public pour générer de juteux profits… Retour sur un scandale que le NPA a dénoncé au cours de sa campagne des européennes dans la région Sud-Est.
La manne financière est de taille : on entoure les produits d’emballages que l’on fait payer au consommateur, et quand celui-ci doit s’en débarrasser, il vous paye encore. Au passage, vous ramassez une grosse enveloppe pour la construction et la gestion de la machine, ainsi que des aides environnementales, tout en revendant un peu d’électricité à EDF… Incinérer, c’est le pied ! L’exemple de l’incinérateur de Fos est éclairant. En 2003, le maire UMP de Marseille, Jean-Claude Gaudin, décidait d’implanter un méga incinérateur à 0 kilomètres de ses électeurs, à Fos-sur-Mer. Les 16 000 habitants de la petite commune - qui vivent déjà au pied d’un giga site industriel 17 sites Seveso1) - refusaient le procédé, demandant simplement que l’incinération soit remplacée par un procédé moins nocif. Pourtant, cinq années de lutte acharnée n’y auront rien fait. Les habitants de Fos et ceux des environs seront donc sacrifiés sur l’autel du profit, malgré des taux très élevés de cancers et des pics de pollution quasi quotidiens.
Un paradis industriel
Je vis dans un paradis ! Un paradis créé de toutes pièces par le capitalisme. Je vis à Fos-sur-Mer… Non, Fos-sur-Mer n’est pas encore un paradis fiscal. Fos-sur-Mer, comme toutes les zones industrielles d’Europe, est aux industriels ce que le Luxembourg est aux financiers. L’étang de Berre et toute sa zone sont un paradis industriel, un havre de liberté où l’on peut entasser tout ce qui se fait de polluant ou de dangereux, sans avoir jamais aucun compte à rendre…
Regardez l’incinérateur, c’est à lui seul une image parfaite du capitalisme. Les arguments du refus sont pourtant indémontables. Nous leur avons dit : c’est dangereux pour la santé dans une zone déjà excessivement polluée. Pour information, la France émet environ 116 grammes de dioxine par an, eh bien à Fos, on en produit 12, soit plus de 10 %. Ils ont répondu : aucune donnée sanitaire ne prouve que la population est malade ! Ils avaient raison : il n’existe aucune surveillance sanitaire des populations, ni aucun registre des cancers. Nous leur avons dit : faites une enquête. Ils ont répondu que nous n’étions pas assez nombreux pour constituer un échantillon représentatif. 6 000 médecins français ont signé un appel. Ils l’ont simplement ignoré.
Et même lorsqu’ils ne pouvaient plus nier la recrudescence des pathologies graves, ils ne se sont pas démontés. Jusqu’à un préfet (aujourd’hui directeur de cabinet à l’Élysée) qui nous a déclaré que les taux de cancer élevés dans la zone n’étaient pas dus à la présence de 17 sites Seveso mais au fait que les ouvriers étaient des gens qui buvaient et fumaient beaucoup ! Nos enfants sont également alcooliques, puisque malheureusement ils ne sont pas épargnés…
Toujours est-il que cette usine aura besoin de 450 000 tonnes de déchets par an et qu’elle empêchera donc toute réduction à la source, pourtant promesse numéro un du Grenelle et de nombreuses lois européennes. Car un incinérateur ça mange, et si ça ne mange pas assez ça marche mal… Il existe pourtant des solutions alternatives et dès l’origine la proposition a été faite de changer le mode de traitement. Mais, il faut croire que certaines collectivités territoriales ont de l’argent : annoncée en 2002 à 180 millions d’euros, la facture finale de l’incinérateur devrait s’élever à plus de 500 millions d’euros – et qui va toucher le pactole ? Les banques, bien entendu. Ces mêmes banques qui, par un tour de passe-passe dont les capitalistes ont le secret, sont aujourd’hui propriétaires de la délégation de service public pour le traitement des déchets marseillais. Et qui va payer au bout du compte ? Nous.
Que font nos élus ? Ils sont contre ! Évidemment, tout le monde est contre les incinérateurs… mais ils les construisent quand même, au nom du sacro-saint « on ne peut pas faire autrement ». Imaginez si Badinter avait été du même acabit : « je suis contre la peine de mort, mais je ne peux pas faire autrement ». Avec ce genre de gars, les enfants bosseraient encore à la mine.
Dans les paradis industriels, on n’est jamais dérangé. Pas la peine de rendre des comptes, personne n’en demande. Mieux même : dans les paradis industriels, quand on est un peu trop embêté, on demande vite une loi qui nous sorte de l’embarras. Et c’est ainsi, par exemple, que les normes d’émissions de polluants ont été fixées selon les contraintes techniques des industriels, pas selon les risques pour la santé. Et qui a voté ces normes ? Les députés européens… tous très heureux de faire du développement durable ! Et si jamais les députés européens alertent sur un polluant très dangereux (en l’occurrence les particules en suspension), c’est simple, dans les paradis industriels on ne le mesure pas. C’est d’autant plus facile que les associations de mesure sont financées par les industriels eux-mêmes. Parce qu’au paradis, c’est magique : on dit que ça n’existe pas, et ça n’existe pas.
Quand les pollueurs lavent plus vert
Laver plus vert que vert, c’est un credo incontournable. Les pires pollueurs du monde sont tous au chevet de la planète : Total, Areva, Veolia, Suez… Si l’on additionne toutes leurs promesses, on devrait être en pénurie de CO2. Quant à l’Union européenne, par ses décisions censées préserver l’environnement, elle se fait la complice vertueuse de ce nouveau marché. Car les questions environnementales permettent aux lobbies industriels de se racheter une virginité tout en pompant encore de l’argent public.
Démonstration : reprenons l’incinérateur. Les députés européens avaient décidé, il y a plus d’un an, de retirer les incinérateurs de la liste des usines produisant de l’énergie renouvelable, estimant que les déchets brûlés (surtout le carton, le papier, le bois et les plastiques) auraient pu être recyclés. Affolement général au paradis… Il faut dire que si vous produisez de l’énergie dite renouvelable, vous touchez des subventions européennes, en remerciement de vos bons et loyaux services pour la planète. Pour la première fois (et à l’appel de la France), les ministres de l’Environnement des États membres ont désavoué les députés européens et ont réintégré les incinérateurs dans la liste des producteurs d’énergie renouvelable. Quelle fête ça a été au paradis…
A-t-on entendu un seul député européen français, qu’il soit vert ou socialiste et donc farouchement opposé à tout ça, crier au scandale ? Aucun !
Dernière démonstration en date : la bourse carbone. Vous savez, cet outil inventé à Bruxelles et censé sonner le glas des émissions de CO2. Le système est simple : les industriels reçoivent des permis d’émettre une certaine quantité de CO2. Si, à la fin de l’année, ils ont craché moins que prévu, ils peuvent vendre à d’autres ces droits à polluer. Cela est censé inciter les industriels à tout faire pour réduire leurs émissions et ainsi gagner quelques sous (ils en manquent tant…). D’après les données récemment publiées par la Commission européenne, ArcelorMittal a rejeté 64 millions de tonnes de CO2 en Europe en 2008, alors qu’il a reçu des permis d’émission pour 85 millions de tonnes. Cet excédent de 0 millions fait du géant indien le premier bénéficiaire de la bourse carbone. Et même si l’industriel nie vendre ses permis en excédent (permis obtenus grâce à un lobbying très actif), ceux qu’il a engrangés l’an dernier représentent des actifs qui se chiffrent à 488 millions d’euros. Les émissions de CO2 d’ArcelorMittal en Europe sont en hausse constante depuis 2005.
Au paradis d’où je viens, les anges sont capitalistes et si je les embête, ils me menacent de délocaliser le paradis en Roumanie. Au paradis, les anges parlent d’écologie industrielle, ça leur évite de parler de santé publique. Le paradis d’où je viens est le capitalisme et il est incompatible avec l’environnement. Parce que le capitalisme est incompatible avec une politique sociale pour la dignité des hommes. Parce que le capitalisme est incompatible avec une gestion par les hommes pour les hommes. Le capitalisme est tout simplement incompatible avec la vie.
Car la variable d’ajustement, dans le capitalisme, c’est l’homme. Une bonne petite pandémie (ou une recrudescence de cancers), et le problème est réglé…
1. En référence à la catastrophe de Seveso qui eut lieu en Italie en1976, les entreprises sont classées « Seveso » en fonction des quantités et des types de produits dangereux qu’elles accueillent