La chanteuse afro-américaine est décédée le 14 août. Une des très grandes figures féminine du jazz disparaît ainsi qu’une militante infatigable des droits civiques. Abbey Lincoln est née Anna Maria Wooldridge à Chicago en 1930, dixième enfant d’une famille de douze. C’est donc peu dire que son destin d’artiste était loin d’être tout tracé. Elle débute pourtant sa carrière dès la fin des années 1940 et choisit dans les années 1950 de s’exiler à Hawaï, puis à Los Angeles et même à Londres. Loin des ses futurs engagements politiques – elle choisit néanmoins son pseudonyme en référence au président qui abolit, formellement, l’esclavage –, elle suit alors les pas des grandes dames qui l’ont précédée, telles Bessie Smith et surtout Billie Holiday, qui restera certainement son modèle et à laquelle elle consacre, en 1987, un vibrant album d’hommage. Ce parcours assez classique lui vaut même de pousser la chansonnette, aux côtés de Little Richard ou Eddie Cochran, dans le film de 1956, à forte connotation rock’n’roll, The girl can’t help It. Ce film aurait eu une influence décisive sur le jeune Paul McCartney et de nombreuses futures stars britanniques. Mais ses enregistrements pour le compte du label Riverside vont marquer un tournant dans sa carrière et sa vie, toutes deux toujours intimement liées. Elle y croise le chemin de Max Roach qui deviendra son époux et son compagnon sur scène pendant près de dix ans. Le batteur se trouve en effet au cœur de l’avant-garde du jazz et des prises de conscience des élites noires américaines. C’est dans ce contexte que va paraître, en 1960, chez Candid Record, We Insist ! - Freedom Now Suit, où émargent aussi également le trompettiste Booker Little et bien sûr le saxophoniste Coleman Hawkins. Ce disque en forme de manifeste représente alors une des expressions musicales les plus emblématiques de l’air du temps et de l’espoir revendicatif qui s’empare des noirs américains avec la lutte pour les droits civiques (tout comme What’s going on de Marvin Gaye en sonnera le glas en 1971). Sur le morceau Freedom Day, la voix d’Abbey Lincoln, si atypique, presque « fausse », compense par l’intensité ce qu’elle ne peut disputer en technique pure aux autres divas du jazz. Creusant ce sillon personnel, la puissance de son interprétation et la postérité immédiate de cet album transforment la jolie fille de comédie musicale en grande dame de la dignité retrouvée. Elle en paie le prix, notamment auprès de majors qui ne veulent pas s’embarrasser d’une rebelle réduite à son statut de militante, en oubliant l’immense chanteuse qu’elle était déjà auparavant. Son divorce, en 1970, la laisse ainsi dans un grand silence dont elle sort enfin pour recroiser petit à petit, à partir des années 1980, la route d’Archie Shepp ou de Stan Getz. King Martov
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