Entretien avec Wladimir Susanj, secrétaire général du Syndicat des Archives de France CGT
Que se passe-t-il aux Archives nationales depuis le 16 septembre 2010 ?
À la suite de l’annonce de Nicolas Sarkozy d’installer la Maison de l’Histoire de France dans le quadrilatère parisien des Archives nationales, le personnel, réuni en assemblée générale, à l’appel d’une intersyndicale large allant de la CGT à la CGC, en passant par la CFDT et la CFTC, a décidé d’occuper l’Hôtel de Soubise, nuit et jour afin de signifier clairement son refus d’une telle implantation. Rarement, j’ai rencontré une telle unanimité syndicale, des assemblées générales aussi nombreuses (entre 150 et 200 personnes) ; toutes les catégories de personnel sont impliquées, du conservateur général du patrimoine à l’adjoint technique d’accueil, surveillance et magasinage.
Tout le monde a compris dès le départ que ce projet présidentiel remettait en cause l’existence même des Archives nationales. Les espaces où veut s’implanter la Maison de l’Histoire de France vont être pris sur les espaces nécessaires aux Archives nationales : l’espace libéré par les archives des xixe et xxe siècles devant partir à Pierrefitte est pourtant vital pour redéployer les fonds médiévaux entassés faute de place, pour accueillir cinquante années d’actes notariés parisiens, pour continuer d’accueillir les élèves des écoles dans des ateliers éducatifs, recevoir des visiteurs lors d’expositions de documents d’archives.
De plus, 200 emplois sont en jeu. Ils correspondent aux engagements pris par le ministère de la Culture en 2005 pour le bon fonctionnement des Archives nationales et du site de Pierrefitte. Ce projet signifie donc aussi la casse de l’emploi public.
Où en êtes-vous aujourd’hui de votre lutte ?
La grève votée le 24 septembre a été suspendue le 29 mais avec la décision du renforcement de l’occupation de l’Hôtel de Soubise. Notre appel « Non à la Maison de l’Histoire de France » a été signé par plus de 8 000 personnes, simples passants, citoyens, salariés, enseignants, élus, historiens, généalogistes… Nous avons organisé le jeudi 14 octobre une réunion publique sur le thème « Faut-il une Maison de l’Histoire de France ? Et les Archives dans tout ça ? ». Cela a été un énorme succès. Ont pris la parole notamment les historiens Arlette Farge, Daniel Roche, Michèle Riot-Sarcey, Nicolas Offenstadt et Christophe Charle. Notre mobilisation est populaire et il est possible de gagner en ce moment, le ministre fait feu de tout bois pour faire baisser pavillon aux organisations syndicales, leur faire accepter un protocole d’accord au compte de vagues promesses de ne pas toucher à l’essentiel des missions des archives nationales en échange de notre accord pour l’installation de la maison de l’histoire de France et surtout, bien sûr, la levée de l’occupation. Pour notre part, syndicat CGT, nous appelons à rejeter cet accord de dupes et à poursuivre l’occupation ; nous en appelons aussi à la solidarité active de nos collègues des musées car eux aussi seront les victimes de cette « maison ». o
Propos recueillis par Isabelle Foucher.
Entretien avec Arlette Farge, historienne, directrice de recherches au CNRS
Vous avez déclaré que le projet Sarkozy d’une « Maison de l’Histoire de France » était une hérésie intellectuelle. Pouvez-vous développer ce point de vue ?
Oui, si j’ai dit hérésie intellectuelle, ce n’était pas tant sur un plan idéologique que d’abord sur le plan intellectuel. L’histoire ne peut être mise en musée. L’interprétation en change à chaque génération, l’histoire c’est le produit de toute cette sédimentation. Ce n’est pas un objet figé, cela se construit et se reconstruit…
Quel est selon vous le socle idéologique qui est derrière ce projet ?
Si par malheur ce musée est créé, il sera le fruit d’une interprétation, menée d’en-haut par le Président et son gouvernement. Il y aura des historiens, y compris de toutes opinions, mais le cadre sera sans doute celui de l’héroïsation ou d’un événementiel très dirigé par l’esprit de ce gouvernement. Comment le fascisme, le communisme pourraient-ils y être traités avec sérénité ? Je ne vois pas un historien qui puisse se satisfaire de l’idée de progrès, car un tel musée induirait forcément l’idée que l’histoire progresse. Personnellement, je vois dans l’histoire des ruptures, des discontinuités.
Qu’en pense la majorité de vos collègues historiens ?
Je n’ai pas interrogé tout le monde. À mon avis, c’est un débat. La Maison de l’Histoire de France, cela ne leur plaît pas vraiment, beaucoup sont indifférents, en particulier sur le fait que cela soit aux Archives.
Quels seraient les moyens les plus efficaces pour s’opposer à sa mise en place ?
En ce moment, le grand problème de la résistance c’est qu’on n’arrive pas à agripper le gouvernement. C’est une situation inédite. C’est douloureux pour tout le monde de ne pouvoir rien faire, c’est pour moi un tel recul. On n’a rien entre nos mains. La question est comment faire pour que les moyens soient opératoires et collectifs ? Personne n’arrive à faire bouger quoi que ce soit. On ne peut pas séparer ce problème-là, la Maison de l’Histoire de France, des autres problèmes sociaux qui adviennent. Il y a une grande fatigue des Français et ça, c’est le pire.
Propos recueillis par Isabelle Foucher
Entretien avec Jean-Pierre Brunterc’h, conservateur général du patrimoine, chargé de la Section ancienne des Archives nationales
Vous avez voté la grève comme nombre de vos collègues archivistes, exprimant ainsi clairement votre refus de l’installation de la Maison de l’Histoire de France. Pouvez-vous nous expliquer vos raisons ?
C’est un projet qui n’affiche pas officiellement, pas clairement ses objectifs. Il dit être fait pour ajouter quelque chose, pour bénéficier aux Archives nationales mais c’est un projet qui va leur ôter de l’espace, qui leur ôtera peut-être du personnel (car il y a aux Archives nationales du personnel compétent). Nos fonds d’archives seront muséifiés et complèteront les fonds des musées. Cela n’est pas affiché mais toute la logique du projet va dans ce sens-là. Par conséquent, c’est un projet qui ne révèle pas ses vrais objectifs. La seule chose qui intéresse ses promoteurs, c’est l’étiquette Archives nationales. Les Archives nationales sont un gage de sérieux, d’objectivité. En plus, elles sont nationales et avec la Maison de l’Histoire de France, cela fait résonnance.
Quel est donc selon vous le projet idéologique sous-tendu par la Maison de l’Histoire de France ?
Un certain nombre de signes vont dans le même sens : une sorte de centrage sur la nation en tant que telle, un nombrilisme, une fermeture alors que nous sommes dans une période où le monde est ouvert. D’un point de vue idéologique, c’est dangereux. Cela peut faciliter une lecture nationaliste de l’histoire qui est déplacée à de nombreux points de vue.
Que souhaiteriez-vous ajouter ?
Ce projet s’intercale dans un autre projet, celui déjà commencé des Archives nationales. C’est une sorte de désaveu du travail des agents des Archives nationales, c’est extrêmement blessant pour eux. Il n’y a eu aucune consultation préalable. Cela a été fait d’une manière brutale, y compris vis-à-vis des responsables. Ils n’ont pas été mandatés. C’est une méthode qui est totalement intolérable et qui n’est en rien conforme aux traditions de l’administration et du gouvernement français.
Déjà 8000 signatures…
À ce jour, 20 janvier 2011, la pétition « Non à la Maison de l’Histoire de France aux Archives nationales » a recueilli plus de 8 000 signatures de soutien. Parmi les signataires figurent notamment :
Olivier Besancenot, porte-parole du NPA ; Marie-George Buffet, députée de la Seine-Saint-Denis ; Guy Fischer, vice-président du Sénat, sénateur du Rhône ; Michel Liebgott, député de la Moselle ; Jean-Pierre Sueur, sénateur du Loiret ; Maxime Gremetz, député de la Somme ; Nicole Borvo Cohen-Seat, sénatrice de Paris ; Jacques Boutault, maire du 2e arrondissement de Paris ; Daniel Roche, professeur au Collège de France ; Roger Chartier, professeur au collège de France ; Jean Delumeau, professeur honoraire au Collège de France, membre de l’Institut ; Marcel Detienne, anthropologue, helléniste, professeur (Université Johns-Hopkins, Baltimore, USA) ; Robert Descimon, directeur d’études EHESS ; Michèle Riot-Sarcey, professeur d’histoire contemporaine (Paris 8 – Saint-Denis) ; Nicolas Offenstadt, maître de conférences en histoire (Paris 1) ; Jean-François Dubost, professeur en histoire moderne, vice-doyen en charge de la recherche (Faculté des Lettres, Langues et Sciences humaines, Université de Paris-Est Créteil) ; Maurice Rajsfus, historien, écrivain ; Robert Abirached, professeur émérite des universités, ancien directeur du théâtre et des spectacles au ministère de la Culture (1981-1988) ; Gilles Morin, chercheur associé à l’Institut d’histoire du temps présent, président de l’Association des usagers du service public des Archives nationales ; Jean-Marc Canon, secrétaire général de l’UGFF-CGT ; Nadine Gastaldi, secrétaire de la section CFDT Archives ; Béatrice Hérold, déléguée CFTC Archives ; Wladimir Susanj, secrétaire général du syndicat des Archives de France CGT ; Jean-Pierre Brunterc’h, conservateur général du patrimoine, chargé de la Section ancienne des Archives nationales ; Marie-Françoise Limon-Bonnet, conservateur en chef du patrimoine, chargée de la Section du minutier central aux Archives nationales ; Claire Béchu, conservateur général du patrimoine, chargée de la diffusion culturelle aux Archives nationales ; Eliane Carouge, conservateur en chef du patrimoine, chargée de la Bibliothèque historique aux Archives nationales ; Marie-Claude Delmas, conservateur général du patrimoine, chargée du département de la conservation aux Archives nationales, CGC Archives ; Cécile Souchon, conservateur général du patrimoine, chargée de la Section des Cartes et Plans des Archives nationales ; Christian Oppetit, conservateur général du patrimoine, chargé de la Section du XXe siècle aux Archives nationales ; Mehdi Charef, auteur-réalisateur ; Pierre Bergounioux, écrivain ; Pierre Michon, écrivain ; Pierre Buraglio, peintre ; Daniel Dezeuze, artiste-peintre ; Jacques Kirsner, producteur de cinéma ; Pablo Volta, photographe…
Pour faire parvenir les signatures, pour tout contact : Intersyndicale Archives, 56 rue des Francs-Bourgeois 75003 Paris. Téléphone : 01 40 27 63 33, télécopie : 01 40 27 63 66.