Publié le Samedi 30 avril 2011 à 11h01.

Questions stratégiques : anticapitalisme et altermondialisme

Figure historique du combat anti-impérialiste, ancien vice-président d’Attac, membre du conseil international du Forum social mondial, Gustave Massiah déblaye de manière stimulante le débat stratégique au sein de la galaxie altermondialiste.

Les militants du NPA ont parfois eu une posture arrogante à l’égard de ce qui n’était pas eux. Certains diplômés ès « bolchévisme », parce qu’ils ont entendu parler de Marx et qu’ils ont lu quelques brochures de Lénine, se sont même fait une spécialité de trier ce qui serait le bon grain anticapitaliste du supposé « réformisme » de l’ivraie altermondialiste. Ils ne se sont guère alors aperçu qu’Attac sortait de sa crise interne via des chemins clairement anticapitalistes, convergeant en cela avec des composantes importantes du mouvement alter. Á trop regarder son nombril, « l’avant-garde » perd de vue le mouvement réel…

Des sentiers nouveaux pour l’émancipation

Selon Massiah, l’altermondialisme serait « un mouvement d’émancipation », c’est-à-dire visant « la libération à l’égard d’une ou plusieurs oppressions dans une perspective d’abolition des logiques de domination ». Et l’émancipation à l’égard du capitalisme participerait de sa dynamique.

Son hypothèse de départ est même plus précise et riche, et par là suscitera des agacements du côté de ceux qui ont quelques certitudes installées dans leurs besaces : « le mouvement altermondialiste est un mouvement historique d’émancipation qui prolonge et renouvelle les mouvements historiques des périodes précédentes : la décolonisation ; la lutte pour les libertés ;les luttes sociales ; le mouvement écologiste ». Émancipation républicaine-démocratique, émancipation socialiste, émancipation anticoloniale et enjeux écologistes : l’altermondialisme recèlerait la potentialité d’une nouvelle politique pluridimensionnelle d’émancipation pour le xxie siècle, qui réagencerait chaque mouvement antérieur du fait de ses interactions avec les autres. Et il reposerait l’exigence émancipatrice à un niveau immédiatement mondial. Tout le monde ne sera pas d’accord dans les rangs anticapitalistes, nombreux étant ceux qui pensent que le socialisme demeure l’axe principal.

Bien entendu, une telle hypothèse ne définit pas une nécessité, mais au mieux un ensemble de possibilités historiques à rendre effectives dans l’action. Et elle a au moins l’avantage de nous inviter à réfléchir en dehors des sentiers battus et des concurrences entre mouvements émancipateurs.

Repérages stratégiques à l’aube du xxie siècle

Un mouvement historique d’émancipation - fût-il nouveau ! - ne peut se passer de perspectives stratégiques, car la démarche stratégique « permet de relier l’action immédiate et l’action à plus long terme ». C’est le domaine du comment, s’efforçant de bâtir des passerelles entre la conjoncture immédiate et l’horizon lointain. Ici Massiah ne cherche pas à casser les briques de l’élaboration stratégique mais, à partir des mouvements sociaux réels, balise prudemment un espace stratégique, en laissant inévitablement des questions en suspens. Arrêtons-nous sur quelques-unes des arêtes de ce repérage utile.

Les alliances ? « Les bases sociales du projet d’émancipation sont formées de tous les mouvements sociaux et citoyens, de toutes les couches sociales qui luttent contre le néolibéralisme dans la perspective d’un dépassement du capitalisme ».

La question de la prise du pouvoir ? C’est pour Massiah « la plus compliquée de la stratégie », qui suppose la prise en compte de plusieurs dimensions :

1) « la transformation sociale passe par la nécessité, à un moment donné, de remettre en cause le pouvoir d’une classe dominante » ;

2)« les élections sont rarement le moyen de la transformation sociale », tout en jouant « un rôle démocratique certain » ; mais

3) « prendre le pouvoir, pour quoi faire ? prendre le pouvoir, comment ? » Ici, difficile aujourd’hui de faire l’impasse sur la critique libertaire des mécanismes de monopolisation du pouvoir par les élites révolutionnaires elles-mêmes. Or, rappelle Massiah, « l’opposition frontale conduit trop souvent à se confondre avec l’adversaire, à adopter ses méthodes pour “gagner” ». Cela ne condamne pas, selon lui, la forme parti, mais nous oblige à « en définir de nouvelles modalités ».

Réforme et révolution ? Pas d’autoroute de la politique radicale, non plus, dans ce cas : « il faut de fait différencier l’idée de réformes de celle de réformisme, c’est-à-dire d’une démarche gradualiste induisant l’idée qu’il serait possible de sortir du capitalisme sans rupture ». Cette dissociation ouvrirait de manière pragmatique une « intime liaison entre réformes et révolution ».

Nous avons encore beaucoup à apprendre du mouvement altermondialiste émergent et tâtonnant. Ne nous précipitons pas trop vite à lui faire la leçon à partir de tel ou tel catéchisme.

Philippe Corcuff

Gustave Massiah, Une stratégie altermondialiste, La Découverte, 324 pages, 18,50 euros.