Publié le Dimanche 8 mai 2011 à 16h44.

1871, la Commune de Paris

Un nouveau monde

Le 18 mars 1871, l’insurrection populaire parisienne chasse le gouvernement qui se réfugie à Versailles. Le 28 mai, avec la chute de la dernière barricade, s’achève la Semaine sanglante. La Commune de Paris n’a duré que 72 jours. Cette brève expérience révolutionnaire a pourtant eu un impact considérable, durable et de portée internationale, sur le mouvement ouvrier. Au point d’être toujours, 140 ans plus tard, une référence pour celles et ceux qui n’ont pas renoncé au combat pour l’émancipation… Cela s’explique en partie parce que l’écrasement de la Commune est devenu le symbole par excellence de la sauvagerie de la bourgeoisie quand son pouvoir est menacé. Et aussi parce que la Commune, ses potentialités et son échec, ont nourri la réflexion stratégique de générations de militants, comme celle des théoriciens du mouvement révolutionnaire, à l’instar de Karl Marx, de Friedrich Engels, de Michel Bakounine, de Louise Michel, de Lénine, de Trotsky et de bien d’autres. Mais, surtout, la Commune de Paris a été le premier gouvernement populaire où, de façon certes éphémère, le pouvoir a été exercé directement par des gens ordinaires et non par des professionnels de la représentation et de la politique. Dans l’urgence, ce gouvernement a pris des mesures radicalement nouvelles, certaines au contenu social marqué, d’autres dotées d’une dynamique socialiste. Dans bien des domaines, cet héritage demeure une source d’inspiration…

François Coustal

Urgence sociale

Dès son installation le 29 mars, la Commune doit faire face à une situation sociale catastrophique, consécutive à la guerre puis au siège de Paris. Les loyers dus avaient fait l’objet d’un moratoire depuis le mois d’août. Mais, début mars, la nouvelle Assemblée nationale avait décrété la fin du moratoire. La Commune annule purement et simplement les loyers dus ! Elle suspend également la vente des objets déposés en gage au Mont-de-Piété. Ces mesures seront complétées ultérieurement. Le 12 avril, la Commune suspend les poursuites judiciaires concernant les échéances impayées, qu’il s’agisse de loyers, d’emprunts ou d’effets de commerce. Le 16 avril, elle porte à trois ans le délai de remboursement des échéances et des dettes. Le 25 avril, elle décide la réquisition des logements vacants pour y loger les victimes des bombardements. Le 6 mai, elle autorise les personnes ayant mis en gage des objets de faible valeur (« moins de 6 francs ») à les récupérer gratuitement. Au-delà de ces décisions dictées par l’urgence, la Commune prend de nombreuses autres mesures à caractère social, notamment sous l’impulsion des membres de l’Association internationale des travailleurs qui regroupe le courant socialiste et révolutionnaire. Ainsi, le décret du 5 avril crée des bureaux municipaux de placement, celui du 20 avril interdit le travail de nuit dans les boulangeries, celui du 27 avril interdit les amendes et retenues sur salaire, et encore celui du 13 mai oblige les entreprises souhaitant passer des marchés avec la Commune à indiquer le salaire minimum qu’elles pratiquent…

La moitié du ciel

Pendant la Commune, comme dans toutes les périodes d’effervescence révolutionnaire, les femmes ont été en première ligne de la confrontation sociale. Et, comme dans toutes les périodes d’effervescence révolutionnaire, elles ont eu à batailler pour faire reconnaître leur rôle et leurs droits. Plusieurs groupements de femmes ont existé, le principal étant le Comité central de l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés – en général désigné par le vocable Union des femmes – animé par Nathalie Le Mel et Élisabeth Dmitrieff. L’Union des femmes développa une activité considérable en termes de réunions publiques dans les arrondissements, de soins aux blessés, de permanences pour la collecte et la distribution de nourriture aux veuves et aux orphelins. Mais elle n’entendait pas être confinée aux tâches de soins, d’entraide et de solidarité. Ainsi, pour l’Union des femmes, « dans l’ordre social du passé, le travail de la femme étant le plus exploité, sa réorganisation immédiate est donc de toute urgence ». C’est pourquoi, très rapidement, l’Union revendique auprès de la « commission du travail et de l’échange » de la Commune d’être « chargée de la réorganisation et de la distribution du travail des femmes à Paris… en commençant par lui accorder l’équipement militaire ». Revendication satisfaite : en accord avec la Commune et sous l’impulsion de l’Union des femmes, des associations productives de travailleuses se constituent et se fédèrent. D’autres revendications surgissent comme la suppression de la prostitution ou l’élimination des religieuses des hôpitaux et des prisons. Parmi les réalisations de la Commune, il faut également noter l’extension aux veuves et aux orphelins de la pension qui, initialement, était versée uniquement aux blessés. En mai 1871, la Commune décrète l’égalité de tous les enfants – légitimes ou naturels – ainsi que des épouses et des concubines pour le versement des pensions. Enfin, la revendication du droit à porter les armes s’est traduite par la participation active des femmes aux combats pour la défense de la Commune. Selon Louise Michel, « plus de dix mille femmes, éparses ou ensemble, combattirent pour la liberté ».

Défense populaire

C’est l’un des tout premiers décrets pris par la Commune, deux jours après son élection. Il est assez court pour être cité intégralement :1. La conscription est abolie ;2. Aucune force militaire, autre que la Garde nationale, ne pourra être créée ou introduite dans Paris ; 3. Tous les citoyens valides font partie de la Garde nationale.De fait, cette décision s’inscrit dans une longue tradition de méfiance antimilitariste. Ainsi, dans une déclaration, les gardes nationaux du 6e arrondissement affirment : « toute armée permanente est destructive des institutions républicaines [...] La Garde nationale ne doit obéir qu’aux chefs choisis par elle et constamment révocables ». Elle s’appuie sur l’existence (antérieure à la Commune) de la Garde nationale qui constitue une espèce d’armée de réserve composée de ceux qui n’ont pas été tirés au sort pour faire leur service militaire. Organisée sur une base géographique, elle agit en supplétive de l’armée régulière. Pendant les semaines qui ont précédé la Commune, la Garde nationale s’est progressivement organisée – « fédérée », pour employer le terme choisi par les gardes nationaux eux-mêmes – à travers un système de délégués de bataillon, chapeauté par le Comité central de la Garde nationale « formé de deux délégués par arrondissement, élus sans distinction de grade ». C’est donc cette forme démocratique d’organisation, reposant sur l’implication de tous les citoyens et l’élection des responsables que la Commune entend pérenniser : l’armée permanente, professionnelle ou de conscription, doit laisser la place au peuple en armes.

Rendez-nous nos usines !

Le 16 avril, la Commune légifère à propos des ateliers abandonnés par leurs propriétaires à l’occasion du siège de Paris par les Prussiens ou de la fuite des possédants hors de Paris, après l’insurrection du 18 mars. Le décret prévoit que les chambres syndicales ouvrières – c’est le nom des premières structures syndicales en voie d’organisation – créent une commission d’enquête pour recenser les ateliers abandonnés et étudier les conditions de leur remise en marche « non plus par les déserteurs qui les ont abandonnés, mais par l’association coopérative des ouvriers qui y étaient employés ». Il est également prévu de constituer un jury arbitral pour déterminer l’indemnisation versée aux patrons lors de la « cession définitive des ateliers aux sociétés ouvrières ». Si la Commune ne va pas jusqu’au refus pur et simple de toute indemnisation, par contre c’est bien de l’expropriation des capitalistes – en tout cas, des capitalistes « défaillants » – qu’il est ici question. Et, surtout, ces expropriations doivent déboucher sur la gestion ouvrière : l’organisation de la production par les producteurs eux-mêmes, organisés en coopératives. Après la publication de ce décret, le processus se met en marche. Dans plusieurs branches d’activité, le travail de recensement commence. Des coopératives se constituent pour postuler à la reprise des entreprises, comme l’Association ouvrière des fondeurs en fer de la rue Saint-Maur. Dans le 15e, la fonderie Brosse est réquisitionnée. Début mai, le Conseil de la Commune est saisi d’une nouvelle proposition visant à aller plus loin et à réquisitionner non seulement les ateliers abandonnés mais aussi « tous les grands ateliers des monopoleurs ». Le 18 mai, le mouvement connaît une nouvelle impulsion lorsque la Chambre syndicale des mécaniciens – ainsi que les représentants d’autres professions (cordonniers, ébénistes, lithographes, etc.) – et l’Union des Femmes créent une commission d’enquête et d’organisation du travail qui a pour objectif de « rechercher activement tous les moyens tendant à développer les principes de solidarité pour accélérer la création des associations ». Le 21 mai, alors que commence la Semaine sanglante, l’atelier d’armes du Louvre devient coopérative.Comme dans bien d’autres domaines, c’est la répression qui brise l’élan de la Commune.

D’ailleurs, ils sont d’ici...

La Commune – qui a pris beaucoup de décrets – n’a pas réglementé spécifiquement le statut et les droits des étrangers, sinon à l’occasion de la validation de l’élection de Léo Fränkel. En effet, lors des élections au Conseil de la Commune, le 26 mars, les listes électorales utilisées dataient de l’Empire : n’y figuraient que les hommes de nationalité française habitant à Paris. Néanmoins, Fränkel, juif hongrois et ouvrier bijoutier, fut élu dans le 13e arrondissement. Il est ensuite ministre du Travail ou, pour reprendre la dénomination de la Commune, Délégué de la commission du travail et de l’échange. Son élection est validée en ces termes : « considérant que le drapeau de la Commune est celui de la République universelle, considérant que toute cité a le droit de donner le titre de citoyen aux étrangers qui la servent, la commission est d’avis que les étrangers peuvent être admis ». Dans la même logique,  Elisabeth Dmitrieff – qui était de nationalité russe – se voit décerner « le titre de citoyenne de Paris ». La Commune compte également deux étrangers parmi ses chefs militaires : les officiers polonais Jarosław Dombrowski et Walery Wroblewski.

Pouvoir populaire

La Commune a oscillé en permanence entre une vocation de sauvegarde des libertés communales parisiennes retrouvées et l’anticipation d’une nouvelle forme d’organisation du pouvoir politique dans le contexte d’une situation insurrectionnelle. En butte à l’hostilité de la coalition de tous les réactionnaires regroupés derrière le gouvernement Thiers – comme l’ont écrit les communards eux-mêmes – « La Commune de Paris a été forcée de sortir de ses attributions normales. Traitée en ennemie, elle a dû faire acte de gouvernement, assurer dans les limites du possible les services généraux ; agir en belligérant comme la guerre qu’on lui déclarait lui en imposait le devoir ». La Commune se veut donc l’exact opposé de l’Empire : une République démocratique et sociale, « composée de conseillers municipaux élus au suffrage de tous les citoyens, responsables et révocables à tout moment ». Les élus aussi bien que les fonctionnaires de la Commune devront accomplir leur tâche pour le salaire d’un ouvrier : début avril, le Conseil de la Commune limite le salaire des fonctionnaires dont, par ailleurs, elle abolit le serment politique et professionnel. Elle interdit également le cumul des traitements. Le 19 avril, à l’unanimité (moins une voix), la Commune adopte une « Déclaration au peuple français » qui constitue son programme en matière d’organisation du pouvoir à travers la « révolution communale ». C’est-à-dire « l’association volontaire de toutes les initiatives locales, le concours spontané et libre de toutes les énergies individuelles ». Avec comme objectif : « la fin du vieux monde gouvernemental et clérical, du militarisme, du fonctionnarisme, de l’exploitation ». Pour les Communards, la réalisation de ce projet nécessite évidemment « l’intervention permanente des citoyens dans les affaires communales ».

Priorité à l’éducation

La Commune ne s’est pas contenté de proclamer que l’École devait être laïque, gratuite et obligatoire, devise que la Troisième République finira par reprendre à son compte. Elle a initié de profondes réformes tant sur le contenu que sur la forme des activités scolaires et d’éducation. L’accent est mis sur la multiplication des écoles pour les filles – alors que celles-ci étaient rares – ainsi que sur la création d’écoles professionnelles aussi bien pour les garçons que pour les filles. Ainsi, dans le 5e arrondissement : « les enfants âgés d’environ douze ans et au-dessus, quel que soit l’arrondissement qu’ils habitent, y seront admis pour compléter l’instruction qu’ils ont reçue dans les écoles primaires et pour y faire, en même temps, l’apprentissage d’une profession ». Dans le 3e arrondissement, l’objectif est de faire passer la gratuité en pratique : « nous informons les parents des élèves qui fréquentent nos écoles qu’à l’avenir toutes les fournitures nécessaires à l’instruction seront données gratuitement par les instituteurs qui les recevront de la Mairie ». En matière de contenu et de pédagogie, l’accent est mis sur la promotion de l’esprit scientifique. Ainsi, sur le contenu, la Commission de l’enseignement insiste : « les faits et les principes scientifiques seront enseignés sans aucune concession hypocrite faite aux dogmes que la raison condamne et que la science répudie ». Cette préoccupation vaut aussi pour les méthodes pédagogiques : ainsi, dans le 18e arrondissement, on emploiera « la méthode expérimentale ou scientifique, celle qui part de l’observation des faits, quelle qu’en soit la nature : physiques, moraux, intellectuels ».

Laïcité

Considérant que le budget des cultes est contraire au principe, puisqu’il impose les citoyens contre leur propre foi, considérant, en fait, que le clergé a été le complice des crimes de la monarchie contre la liberté, la Commune de Paris décrète : Art. 1er. L’Église est séparée de l’État. Art. 2. Le budget des cultes est supprimé.Art 3. Les biens dits de mainmorte, appartenant aux congrégations religieuses, meubles et immeubles, sont déclarés propriétés nationales. Art. 4. Une enquête sera faite immédiatement sur ces biens pour en constater la nature et les mettre à la disposition de la Nation. La séparation de l’Église et de l’État est décidée en ces termes le 3 avril, soit moins d’une semaine après la mise en place du Conseil de la Commune. Après l’écrasement de la Commune, il faudra attendre plus de trente ans – en fait, la loi de 1905 – pour que, sous une forme très édulcorée, soit reconnue la laïcité de l’État. À l’époque de la Commune, l’anticléricalisme militant est partie prenante des combats émancipateurs. Nombre de communards – et de communardes… – sont des « libres-penseurs » qui n’hésitent pas à manifester leur détestation pour la religion, comme Gustave Flourens, l’un des premiers chefs militaires de la Commune : « L’ennemi c’est Dieu. Le commencement de la sagesse c’est la haine de Dieu [...] cet épouvantable mensonge qui, depuis six mille ans, énerve, abrutit, asservit la pauvre Humanité. »