Publié le Mercredi 22 avril 2020 à 11h02.

« L’enregistrement de la demande d’asile correspond bien à un service de première nécessité »

Entretien. Les migrantEs font partie des populations les plus durement frappées par les politiques mises en place par les gouvernements dans le cadre de la crise sanitaire et sociale provoquée par l’épidémie de coronavirus. Nous avons demandé à Mélanie Louis, responsable des programmes Asile à l’ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture1) de faire le point sur la situation des demandeurEs d’asile.

Pourquoi votre association a-t-elle, avec d’autres, saisi le tribunal administratif de Paris sur la procédure d’accès à la demande d’asile en Île-de-France ?Avec six associations, l’Ardhis, Droits d’urgence, le Gisti, Kâlî, la Ligue des droits de l’Homme et Utopia 56, et sept requérants individuels, nous avons saisi le tribunal administratif de Paris le 15 avril en raison de la suspension de l’accès à la demande d’asile en Île-de-France. Il est aujourd’hui impossible pour une personne candidate à une protection internationale de faire enregistrer sa demande d’asile. La situation est inédite en France et ne se justifie par aucun texte. En effet, les textes internationaux ne prévoient aucunement la possibilité pour un État de suspendre l’accès à la procédure d’asile et il convient de rappeler que le droit d’asile est un droit à valeur constitutionnelle.

Dans le contexte de l’état d’urgence sanitaire, proclamé le 23 mars dernier, le gouvernement a été habilité à prendre par voie d’ordonnance diverses mesures d’adaptation avec la possibilité pour le pouvoir exécutif d’ordonner par décret la fermeture provisoire de certaines catégories d’établissements recevant du public, à l’exception des établissements fournissant des biens ou des services de première nécessité. Ce que nos associations s’attèlent à démontrer c’est que l’enregistrement de la demande d’asile correspond bien à un service de première nécessité puisqu’il a pour objet de garantir l’exercice d’un droit fondamental.

Nous déplorons cette situation ubuesque où l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) et les préfectures d’Île-de-France ont décidé de suspendre de manière unilatérale la procédure d’asile, sans décision préalable et sans apporter de solution alternative. Le droit d’asile est clairement bafoué. Il faut tout de même préciser que l’accès à la procédure d’asile n’a pas été suspendu sur l’ensemble du territoire national puisque certaines préfectures continuent d’enregistrer des demandes d’asile, et certains de nos voisins européens ont eux aussi décidé de maintenir la procédure d’enregistrement. Il est donc tout à fait possible de préserver le droit d’asile malgré le contexte sanitaire actuel.

Comment expliquer que l’OFII ait fermé cette permanence téléphonique alors qu’il n’y a pas de contact physique entre les agents de l’OFII et les demandeurEs d’asile, donc pas de risque de contamination ?L’OFII a justifié la suspension de sa plateforme par l’impossibilité pour les guichets uniques pour demandeurs d’asile (GUDA) de poursuivre l’accueil des demandeurEs d’asile. Or, nous constatons tout d’abord que les personnes dublinées sous assignation à résidence doivent elles continuer à se déplacer et à émarger, et que les préfectures continuent de placer des personnes dans les centres de rétention administrative (CRA) en vue de leur éloignement. Les services qui visent la surveillance et l’éloignement des étrangers ne rencontrent donc aucun problème dans ce contexte de crise sanitaire alors que les services d’enregistrement des demandes d’asile ont brutalement cessé leur activité, ce qui démontre bien où l’État a décidé de fixer certaines priorités dans cette période.

Il est effectivement important de rappeler que la spécificité de l’enregistrement de la demande d’asile en Île-de-France tient au fait que la première étape est dématérialisée. Une personne qui souhaite demander l’asile doit d’abord contacter la plateforme téléphonique de l’OFII. Il existe déjà un système d’orientation dématérialisée permettant de réguler la présence des candidatEs à une protection internationale lors de leurs rendez-vous physiques. La procédure est donc déjà en partie adaptée à ce contexte de crise sanitaire.

La délivrance d’une attestation de demande d’asile en préfecture pour toute personne exprimant une volonté de demander l’asile – dans l’attente d’un traitement de leur demande à la fin du confinement – est-elle une revendication de votre association ? Que pensez-vous de la mesure provisoire prise en ce sens par les autorités portugaises pour les demandeurEs d’asile ?Nos associations demandent à ce que toutE candidatE à une protection internationale puisse accéder au statut de demandeur d’asile, lequel est formalisé par la délivrance d’une attestation de demande d’asile. Cette attestation signifie que son détenteur bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français, au moins pendant la période d’instruction de sa demande d’asile. L’entrée effective dans la procédure d’asile est primordiale car elle offre non seulement un statut, et donc une situation administrative qui protège contre l’éloignement, mais elle confère des garanties en termes de droits sociaux, tels que l’accès à un hébergement, le bénéfice d’une allocation ou l’accès aux soins. Il s’agit de droits sociaux vitaux dont les personnes exilées ont besoin maintenant et non dans trois mois.

Nous nous félicitons que les autorités portugaises aient pris l’initiative de régulariser provisoirement les demandeurs d’asile. C’est un bel exemple de solidarité dont la France devrait s’inspirer. Qui plus est, au-delà du principe de solidarité, il s’agit aussi de répondre à des questions de santé publique dans un contexte exceptionnel de crise sanitaire.  

À quels dangers (sociaux, sanitaires, santé physique ou mentale) sont exposés les personnes qui ne peuvent contacter l’OFII ?Les personnes qui se retrouvent dans l’impossibilité de demander l’asile sont confrontées à de nombreux problèmes sur le plan social, sanitaire et psychique. Nous pouvons témoigner de l’angoisse et du désarroi de ces personnes. Elles ont fui leur pays dans l’espoir d’obtenir une protection en France. L’enclenchement d’une procédure d’asile leur assure un statut administratif qui légitime leur présence en France et, comme indiqué précédemment, de leur statut découle un certain nombre de droits sociaux. Les associations de terrain qui poursuivent leurs missions malgré la crise sanitaire constatent que de nombreuses personnes n’ont pas pu déposer une demande d’asile ; elles sont dépourvues de ressources et dorment à la rue aux alentours de la porte de la Chapelle, de la porte d’Aubervilliers, du canal Saint-Denis à Saint-Denis ou Aubervilliers. Ces personnes tentent d’assurer leur survie et se retrouvent dans une vulnérabilité renforcée par l’absence de mise à l’abri. Les facteurs de vulnérabilité et de risque face à la pandémie du Covid-19 sont dès lors décuplés.

Quelle est l’activité de votre association dans un tel contexte ? Son mandat a-t-il évolué ?Le mandat de l’ACAT n’a pas évolué dans le cadre de cette crise sanitaire : il reste la défense et la promotion du droit d’asile. Nous exerçons notre mandat par le biais d’un travail de plaidoyer et de missions auprès des demandeurs d’asile. C’est ce deuxième volet qui nous a contraints, comme maintes autres associations dans le secteur, à faire évoluer notre mode d’action : alors qu’habituellement,nous tenons deux permanences hebdo­madaires d’aide juridique auprès des demandeurs d’asile et bénéficiaires d’une protection internationale, depuis le 17 mars nos locaux sont fermés et l’aide juridique que nous fournissons s’effectue à distance, par téléphone ou par voie électronique.

Sur le plan humanitaire, des associations de terrain telles qu’Utopia 56, avec qui nous avons lancé la démarche contentieuse, poursuivent leurs actions auprès des exiléEs dans des conditions extrêmement difficiles. La manière dont ces associations de terrain comblent les manquements de l’État est criante. Par l’action en justice que nous avons décidé de mener, nous demandons à l’État d’endosser pleinement ses responsabilités en préservant le droit d’asile et en assurant une mise à l’abri des exiléEs dans des conditions compatibles avec ce que préconise le Conseil scientifique Covid-19.

Propos recueillis par Robert Pelletier

  • 1. L’ACAT est une association loi 1901 qui lutte pour l’abolition de la torture et de la peine de mort à travers le monde. L’association défend également le droit d’asile et, dans ce cadre, tient une permanence d’aide juridique pour les demandeurEs d’asile et bénéficiaires d’une protection internationale.