Roman graphique, Éditions Des ronds dans l’O, 2025, 160 pages, 25,00 €
Le très récent cinquantième anniversaire de la lutte exemplaire des travailleurEs du Joint Français, à Saint-Brieuc, avait été l’occasion de célébrer et d’évoquer les tenants et aboutissants de cette lutte emblématique. Ces travaux étaient alors le fait de spécialistes, d’universitaires et même d’ancienNEs militantEs ayant connu la grève ou y ayant participé.
Ici, l’autrice assume de ne pas en avoir entendu parler, alors qu’elle est d’ici (de Saint-Brieuc) ! Elle représente donc, en quelque sorte, la masse des gens qui, aujourd’hui, ne savent pas ce qui s’est passé en 1972 aux portes de l’usine, rebaptisée depuis « Hutchinson ». Cela la met en position de candide, dénuée de parti pris, n’hésitant pas à poser les questions élémentaires pour être capable de raconter cette histoire à celles et ceux qui, comme elle, ne la connaissent tout simplement pas.
De ce point de vue, l’ouvrage est une réussite.
Via une conversation de Gwénaëlle avec son père, ex-cadre important de la CFDT Bretagne, le livre prend la forme d’une narration indirecte, qui permet de balayer l’ensemble de cette aventure. Le récit restitue fidèlement le contexte de l’implantation de l’usine à Saint-Brieuc, en 1962, attirée par de multiples avantages consentis par les pouvoirs publics (nous dirions des cadeaux au patronat !). Il montre également la naissance d’une nouvelle classe ouvrière féminine non qualifiée, sans traditions, mais non sans combativité. La grève y est située dans une période très agitée, toute proche de 1968 et de ses effets politiques. Enfin, ne sont retenus, sans altérer le récit, que les éléments les plus importants de l’histoire de la lutte et du soutien populaire qui en a permis la victoire.
Il en ressort un récit assez juste de cet épisode de la lutte des classes, très fidèle à l’histoire que nous avons vécue. Certes, l’ensemble est un peu lisse et ne prend pas vraiment en compte toutes les données politiques les plus fortes du moment — place de l’extrême gauche, rupture avec la mainmise du PCF sur la classe ouvrière organisée, irruption de la jeunesse scolarisée en soutien à la grève, aux côtés d’une CFDT encore très radicale — même si la place du conflit dans l’essor d’une gauche régionaliste écolo qui « fera » Plogoff est bien mise en perspective.
Petite gourmandise pour nos camarades, le cahier d’archives photos à la fin de l’ouvrage comprend plusieurs clichés qui restituent à la LC (Ligue communiste) la place que ne lui donne pas le texte de l’ouvrage.
Vincent Gibelin