La succession d’évènements qui se déroulent en Chine cet été est d’une importance majeure : ralentissement de la croissance, désastre de Tianjin, effondrement de la Bourse.
L’explosion qui a ravagé le port de Tianjin en Chine a fait au moins 140 morts (chiffre destiné à s’alourdir avec les disparus). Ce bilan n’a en soi rien d’exceptionnel pour ce pays. En 2014, une autre explosion dans une usine de pièces d’automobiles travaillant pour General Motors avait fait 146 morts ; en 2013, ce sont 119 personnes qui avaient disparu dans l’incendie d’un abattoir de volailles (les issues de secours n’étaient pas praticables). Sans parler des catastrophes à répétition dans les mines. Si l’explosion de Tianjin frappe tant les esprits, c’est certes par sa gravité, l’incurie des autorités, mais surtout par le lieu où elle se déroule : un port ouvert sur l’extérieur, et également par le fait qu’elle s’insère dans un contexte où le « modèle chinois » semble ébranlé.
Croissance en berne, crise boursière, désastre écologique
Bon nombre d’indicateurs économiques sont en effet en berne. Le ralentissement de la production industrielle, celui des exportations et des importations amènent des économistes à douter de plus en plus de la réalité des chiffres officiels de croissance. Pourtant, depuis 2008, le gouvernement a multiplié les mesures successives de soutien l’activité. En août la monnaie chinoise a été dévaluée par rapport au dollar ; bien que le discours officiel présente cette dévaluation comme une simple adaptation aux réalités du marché des changes, elle a renforcé l’inquiétude sur l’état réel de l’économie.
Le développement des marchés boursiers a été encouragé pour donner un canal supplémentaire de financement aux entreprises et aussi permettre à ceux des particuliers qui le peuvent de placer leur argent. Non seulement les couches enrichies de la population mais des millions de Chinois dotés de revenus moyens se sont précipités vers ce loto auquel on semblait pouvoir gagner à tous les coups et, pour mieux en profiter, ils se sont endettés. Le cours des actions n’a cessé de monter pour s’effondrer en juin dernier et reprendre sa baisse en août malgré toutes les mesures prises par le gouvernement. L’homme le plus riche de Chine aurait perdu 3,2 milliards d’euros (1/10ème de sa fortune) mais les vraies victimes de la baisse (qui atteint 40 % à Shanghai) depuis la mi-juin, ce sont ceux qui ont joué en Bourse pour avoir un complément pour une retraite insuffisante ou avoir de l’argent de côté en cas de maladie.
Les coûts sociaux et écologiques de la croissance chinoise sont énormes. Les entreprises qui produisent en Chine ont en fait un permis d’exploiter les travailleurs et de détruire leur environnement : eau, air, terrains sont pollués. Les règlements sont insuffisants ou rarement appliqués : les contrôleurs sont corrompus et s’ils ne le sont pas, ils hésitent à s’attaquer à des capitalistes (privés ou publics) au bras long.
Pas de capitalisme sans crise
Jusqu’à présent, la direction chinoise pouvait d’une certaine façon présenter les dommages sociaux et écologiques comme la contrepartie, qui serait surmontée, d’une croissance économique impétueuse qui améliore le niveau de vie de larges secteurs de la population. Nombreux étaient les dirigeants et experts occidentaux qui ne cachaient pas leur admiration devant un pouvoir supposé capable de conduire progressivement la Chine sans à-coups graves vers une économie libéralisée et la « société harmonieuse », objectif mis en avant par le Parti communiste chinois depuis 2007.
Ce que les évènements actuels rappellent, c’est pour paraphraser les mots célèbres de Jean Jaurès sur la guerre, c’est que « le capitalisme porte en lui la crise comme la nuée porte l’orage ». Dans leur présomption, les dirigeants chinois croient qu’ils peuvent aller vers le capitalisme en s’épargnant les crises inhérentes à ce système. Mais il n’est pas de capitalisme sans crise. L’anarchie des investissements attisée par la concurrence et la soif de profits a ainsi créé des capacités de production excédentaires dans plusieurs secteurs. C’est le cas de l’acier, des pneumatiques, du bâtiment, des machines, des panneaux solaires, de la chimie (plastiques...) et même de l’automobile.
Dans cette nouvelle situation les dirigeants chinois semblent déconcertés ou face à des contradictions difficiles. Ainsi, freiner les investissements, restructurer les entreprises a des conséquences sur l’emploi. Au-delà, des indicateurs économiques, la question sociale est plus que latente. Les statistiques sur les « incidents de masse" (terme officiel pour définir grèves, manifestations et toutes sortes de troubles collectifs) ne sont plus publiées. Signe de l’inquiétude sur les effets du ralentissement de la croissance, le Premier ministre a réaffirmé, le 10 juin dernier, sa volonté de tout faire pour combattre le chômage. Pourtant, officiellement, il stagne à 4,05 % de la population active mais, en fait, dans certaines régions, il atteindrait 10% !
Une Chine en crise dans un monde en crise
Au-delà de ce qui se passe en Chine même, il est impossible de préjuger des conséquences de la situation de la 2ème économie mondiale (après les USA) sur le reste de planète. Pour les pays producteurs de matières premières (comme l’Australie ou l’Amérique latine) la Chine est un débouché essentiel : son ralentissement va particulièrement les affecter. Il en sera de même des pays économiquement très liés à la Chine, comme ses voisins asiatiques. Au-delà, c’est l’impact de la chute de la Bourse qui inquiète dans un monde où la progression des cours est partout en décalage avec une croissance flageolante.
HW, le 26 aout 2015