La victoire de Staline conduit les partis communistes à penser la révolution à travers le concept de « la construction du socialisme dans un seul pays ».
Dans sa version la plus criminelle, cette conception aboutit à la construction maoïste d’États totalitaires et autarciques. Dans une version plus « douce », elle amène à la progressive transformation des partis communistes en forces souverainistes.
Compter sur ses propres forces
La Chine offre un exemple de stalinisme radical, où le régime maoïste expliquait que le pays ne peut « compter que sur ses propres forces », ce qui l’amène à rompre ses relations avec le reste du monde, y compris même avec l’Union soviétique. Exaltant les valeurs nationales et le rejet de toute influence étrangère, le régime chinois entame un développement autarcique, privé de tout capital extérieur, fondé sur l’exploitation féroce d’une main-d’œuvre asservie par l’État communiste.
La Chine ouvre ainsi une voie qu’empruntent à leur tour des pays comme l’Albanie, la Corée du Nord ou le Cambodge, qui reprennent à leur compte le modèle chinois de fermeture des frontières et de rejet de tout contact avec l’étranger, y compris les pays du bloc soviétique. Sans commerce ni capitaux extérieurs, ces États se développent en autarcie en se fondant sur un servage étatique et surtout une exploitation de nature esclavagiste de prisonniers politiques. Ils sont conduits à rompre de plus en plus ouvertement avec l’internationalisme pour de nouvelles idéologies nationalistes et despotiques, à l’exemple du Juche, l’idéologie officielle du régime nord-coréen.
De la « voie nationale » au souverainisme
Les partis communistes qui continuent à se situer dans le cadre du bloc soviétique évitent ces dérives dramatiques, en maintenant un cadre minimal d’échange avec les autres pays socialistes. Il leur faut toutefois gérer une contradiction, qui les amène à développer des mots d’ordre de construction nationale, tout en se pliant à la volonté stalinienne qui vise à les soumettre aux intérêts propres de la bureaucratie russe. Cette contradiction est particulièrement évidente dans le cas yougoslave, où le parti communiste a dirigé une puissante résistance nationale face à la domination nazie. Invoquant ses objectifs nationaux de construction socialiste, le dirigeant yougoslave Tito finit par rompre avec Staline, pour construire un État socialiste indépendant de la bureaucratie russe, qui a pratiqué une certaine ouverture extérieure, tout en s’appuyant sur un appareil policier qui réprime férocement toutes les dissidences.
D’une manière plus générale, le dogme de la construction du socialisme dans un seul pays a conduit les partis communistes à développer des projets nationaux qui rendent compliqués leurs liens avec Moscou. Tel est le cas en France du parti communiste, qui après avoir changé de nom dans les années 1930 pour devenir « parti communiste français », s’engage de plus en plus dans une voie nationale. Dans les années 1970, le PC« F » met ainsi au premier plan sa politique de construction d’un « socialisme à la française », en affirmant que le caractère républicain de la France lui impose de renoncer à la dictature du prolétariat et plus généralement à la révolution.
En affaiblissant la boussole communiste, la crise puis la disparition de l’Union soviétique ont renforcé les tendances nationalistes de ces PC. Peinant à se réclamer d’un socialisme qui a perdu sa force d’attraction, ils ne conservent souvent plus qu’une idéologie de construction nationale, qui les amène de plus en plus à se construire comme des forces souverainistes. Dans les anciens pays de l’Est, les PC sont devenus des partis nationalistes, tandis qu’à l’Ouest, leur ligne a évolué vers le chauvinisme et un repli conservateur, dont les positions de Fabien Roussel constituent un parfait aboutissement.
Laurent Ripart