Le 20 janvier 1968, à Caen, les syndicats de la SAVIEM (métallurgie) lancent un mot d’ordre de grève d’une heure et demie pour l’obtention d’une augmentation de salaire (6 %), la création d’un fonds de garantie de ressources en cas de réduction d’horaires, et le respect des droits syndicaux. La base juge le mot d’ordre syndical insuffisant : un cortège de 500 ouvriers parcourt l’usine pour faire cesser le travail jusqu’à satisfaction des revendications et la grève se généralise tandis que l’usine est occupée. Des piquets de grève sont mis en place toute la nuit. La direction refuse toute négociation avant la reprise du travail. Le 22 janvier, après une agression de jaunes et de CRS, les travailleurs décident d’aller manifester en ville à Caen. Des salariés d’autres usines en lutte (Jaeger, Sonolor) se joignent à eux : leur manifestation pacifique regroupe 4 à 5 000 personnes et est est chargée par les gendarmes mobiles. Les ouvriers se défendent. Le 26 janvier, après une manifestation encore plus massive, ont lieu de nouveaux affrontements (200 blessés) : les autorités parlent d’« éléments incontrôlés »... mais tous les jeunes arrêtés sont des ouvriers de la région.
D’autres usines rejoignent l’action. Ainsi chez Moulinex, dont le slogan publicitaire est depuis 1962 « Moulinex libère la femme », les ouvrières sont particulièrement exploitées. Il n’y existe pas encore de section syndicale. Sept ouvrières appellent à la grève le 31 janvier ; elles mettent un vélomoteur devant l’entrée et improvisent un piquet de grève. La moitié du personnel les suit.
Malgré la répression policière et patronale, dans les semaines qui suivent, c’est tout l’ouest de la France qui bouge. Dans toutes ces grèves, la base pousse les directions syndicales à durcir leurs mots d’ordre initiaux, des liens de solidarité s’établissent avec la population locale, les jeunes ouvriers résistent à la police…
Avant-garde jeunesse, le journal de la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR) de février-mars 1968 souligne que, si les initiatives nationales récentes des syndicats ont mobilisé assez peu de monde, « tous les mouvements sectoriels et locaux, sporadiques, violents, déclenchés un peu partout […] ne sont pas des accidents. Ils sont les symptômes les plus nets d’un mouvement, national, profond, diffus et qui se cherche ».