En 1525, à l’issue de la « Guerre des Paysans », Münzer, maître en théologie qui avait pris la tête de ce soulèvement populaire qui balaya tout le sud de l’Allemagne, fut supplicié et décapité sur ordre des Princes soutenus par Luther. S’il vaut la peine d’y revenir près d’un demi-millénaire plus tard, c’est qu’il y eut là tout ce qui caractérise une révolution d’un côté, et une contre-révolution de l’autre. Ernst Bloch (1885-1977) eut la perspicacité de l’établir dans ce livre publié en 1921, comme pour se revancher de l’écrasement de la révolution spartakiste. Lorsque sa traduction parut en France (1964, réédition en poche en 1975), l’œuvre de Bloch y était à peu près inconnue, et il fallut attendre cinq ans après sa mort pour disposer d’une traduction complète de son maître livre, Le Principe Espérance. Depuis lors, les marxistes révolutionnaires ont repris nombre de ses apports, par exemple la nécessité de conjuguer « courant chaud » et « courant froid » dans le projet révolutionnaire et d’y introduire le droit, ou encore le concept de « dissimultanéité », à rapprocher des réflexions de D. Bensaïd sur la « discordance des temps ». C’est ce qui rendait nécessaire la réédition de son Thomas Münzer, sans doute le plus facile à lire de ses ouvrages, et néanmoins devenu introuvable. Dans son excellente préface, Thierry Labica y voit aussi le moyen de répondre à une urgence, l’envahissement des esprits par l’idéologie libérale contemporaine, réécrivant l’histoire de tous les soulèvements révolutionnaires sous les couleurs du fanatisme, du terrorisme et du totalitarisme. On le verra à la lecture de ce volume passionnant, le fanatisme et la terreur totalitaires furent nettement du côté des Princes et de Luther, assurant ex cathedra que plus un État est barbare, plus il est près de Dieu. Rien de plus actuel.
Gilles Bounoure
Traduction de M. de Gandillac Préface de Thierry Labica , Les Prairies ordinaires, 304 pages, 22 euros.