Objet de fantasmes, de polémiques et de thèses universitaires, la présence de la Chine en Afrique soulève de nombreuses interrogations.
Bénéfique pour les populations ou énième calamité qui s’abat sur le continent ? Les soixante milliards d’aide et de prêts octroyés sans condition par Xi Jinping à l’Afrique semblent répondre positivement à cette question. Et pourtant…
Une relation Sud-Sud…
Libéralisme oblige, les chancelleries occidentales feignent de se réjouir de la présence chinoise en Afrique, pour aussitôt mettre en garde les gouvernements africains des nombreux risques tels les dettes, la dépendance économique, la détérioration de l’environnement… que ferait encourir l’empire du milieu à leurs pays. Tandis que les officiels chinois insistent sur l’échange d’égal à égal et les relations « gagnant-gagnant », critiquant l’égoïsme des pays occidentaux, comme l’indique un journaliste du Quotidien du peuple : « À l’heure actuelle, certains pays se sont vigoureusement engagés dans l’unilatéralisme, le protectionnisme et l’hégémonisme commercial. »1
Bref, chacun critique la politique de l’autre avec des arguments qui, sur le fond ne sont pas si différents, ce qui parait logique puisque la politique chinoise en Afrique, dans les faits et au-delà de la rhétorique, ne se distingue guère de celle des pays occidentaux.
L’Afrique est essentielle pour Pékin car elle lui permet d’accompagner son expansion économique en lui fournissant une part importante des produits miniers et du pétrole indispensables à son activité industrielle. Mais l’Afrique lui permet aussi de diversifier ses sources d’approvisionnement, et d’éviter ainsi de dépendre exclusivement des pays exportateurs de pétrole du Moyen-Orient, considérés comme des alliés stratégiques des États-Unis. Les fortes tensions commerciales entre les deux pays justifient les précautions des stratèges chinois.
Aujourd’hui deuxième économie du monde, la Chine est également devenue la première puissance économique en Afrique pour les volumes des échanges commerciaux, basés sur les importations de matières premières et les exportations de produit manufacturés. En 2017 les volumes s’élevaient à 170 milliards de dollars, contre 48 milliards pour la France.
… qui ressemble à une relation Nord-Sud
La Chine se fournit en pétrole au Nigeria et en Angola ; les produits miniers comme le fer, le manganèse, le cobalt, le cuivre… proviennent de Zambie, d’Afrique du Sud, de la RDC et du Congo-Brazzaville.
En parallèle de ces importations, la Chine exporte massivement ses produits manufacturés, souvent meilleur marché que ceux des pays occidentaux, même si la qualité n’est pas toujours au rendez-vous.
Si les clientèle africaine et chinoise ont, en termes de pouvoir d’achat, de fortes similitudes permettant l’écoulement des produits, l’Afrique joue en outre, selon les experts marketing, le rôle de zone de test des produits, et sert de rampe de lancement pour conquérir les marchés occidentaux, ce qui a été le cas par exemple pour les téléphones portables de la marque Huwei.
On le voit, les échanges économiques de la Chine et de l’Afrique restent fondamentalement fondés sur la division internationale du travail, au sein de laquelle le continent africain reste confiné dans son seul rôle de fournisseur de matières premières, l’obligeant à importer l’essentiel des biens manufacturés. C’est cette héritage d’un passé colonial que la Chine, mais elle n’est pas la seule, ne fait que conforter.
Que cent illusions s’épanouissent
Certes, les discours officiels parlent bien de transfert de compétences et d’industrialisation mais, dans les faits, peu de choses se passent. Les quelques entreprises manufacturières, notamment en Éthiopie, largement mises en avant comme les prémices du développement économique de l’Afrique, jouent plus un rôle d’appât.
En effet, Pékin fait miroiter aux gouvernements africains qu’ils pourraient bénéficier des délocalisations de certaines entreprises chinoises, et certains y croient, comme le dictateur togolais Faure Gnassingbé : « Nous savons qu’il y a des dizaines de millions d’emplois en Chine qui sont prêts à être délocalisés. Donc toutes les entreprises en Chine qui sont prêtes à être délocalisées sont toujours les bienvenues. » 2
Mais il est peu probable que ce phénomène prenne forme, pour des raisons de coût et de productivité : « Confrontées aux hausses de salaires, les entreprises implantées en Chine peuvent automatiser leurs lignes de production (ce que fait le sous-traitant Foxcon) et celles qui envisagent de quitter les zones côtières ont l’embarras du choix : l’ouest de la Chine, l’Asie du Sud-Est, le Bangladesh et l’Inde sont autant de destinations envisageables. Une comparaison réalisée par la Banque mondiale montre qu’à l’exception de l’Éthiopie, les pays africains ont une productivité inférieure à la Chine et au Vietnam dans des productions à haute intensité de main-d’œuvre. Une évaluation des coûts unitaires de travail conclut qu’ils sont plus élevés en Afrique qu’en Indonésie, au Bangladesh et au Vietnam. » 3
D’autant que les entreprises chinoises sont loin d’être un exemple dans la préservation de l’environnement ou du respect de la législation. Régulièrement, des témoignages font état de violation des lois, et certaines entreprises sont impliquées dans la contrebande à l’échelle industrielle notamment pour les grumes. Les entreprises chinoises peuvent rivaliser aisément avec les multinationales occidentales Shell, Areva et autre Trafigura qui, en quelques années, ont réussi à transformer des régions entières en poubelle industrielle.
Dette made in China
La Chine ne cesse de vanter son apport dans la mise en place des infrastructures des pays africains. Ces infrastructures sont surtout l’occasion pour les élites africaines de s’enrichir et ne correspondent pas forcement aux besoins économiques et sociaux des populations, notamment quand il s’agit de construire stades, centres de conférences ou palais présidentiels comme au Burundi, en Mauritanie, au Soudan ou au Mozambique. Mais surtout, ces investissements alourdissent considérablement les dettes des pays africains. En effet, dans la plupart des cas, ils sont garantis par les actifs du pays, qui peuvent être les mines, les ports, les productions minières ou des concessions pétrolifères. Les récentes chutes des cours des matières premières font donc monter mécaniquement le poids de la dette des pays africains.
Résultat : « Le Fonds monétaire international (FMI) juge que cinq États d’Afrique subsaharienne sont surendettés et que neuf autres pourraient bientôt les rejoindre. La dette du Kenya a récemment passé la barre des 5 trillions de shillings [43 milliards d’euros] et 72 % de cette somme est due à la Chine. Ce printemps, Moody’s a dégradé la note du Kenya. La situation est critique aussi à Djibouti. Sa dette équivaut à 84 % de son PIB et Pékin en détient 82 %. La Zambie et le Congo-Brazzaville ont pour leur part contracté des emprunts opaques auprès d’entreprises chinoises dont le montant n’a pas été dévoilé. […]
La dette de l’Angola envers la Chine atteint 25 milliards de dollars. Les ressources pétrolières du pays servent de caution. […] En 2008, La Chine a concédé un prêt de 6 milliards de dollars à la République démocratique du Congo, obtenant en échange le droit d’exploiter plusieurs mines de cuivre et de cobalt. En Guinée, Pékin a fourni une ligne de crédit de 20 milliards de dollars au gouvernement, ce qui lui a permis d’obtenir des concessions d’aluminium. » 4
In fine, ce sont les populations qui en subissent les conséquences, en se voyant imposer des politiques de restriction budgétaire tandis que Pékin fait main basse sur les richesses des pays.
Présence militaire
Si dans le discours officiel chinois la présence économique est liée au projet majeur « Une ceinture, une route », permettant à la Chine de « marquer son engagement dans la mondialisation sans frontières » 5, la place de l’Afrique dans ce dispositif est essentiellement portuaire et notamment concentrée sur la côte Est, d’où l’importance du rôle de Djibouti.
Occupant une position clé dans le détroit de Bab-el-Mandeb, véritable carrefour entre l’océan Indien, la mer Rouge, le Moyen-Orient et l’Afrique, Djibouti fait de sa position stratégique un véritable commerce. Ce petit État abrite désormais cinq bases militaires : la plus ancienne est la base française, qui accueille en son sein des troupes espagnoles et allemandes ; l’Italie, le Japon et les USA en possèdent chacun une, et la dernière en date est celle de la Chine, qui peut abriter près de 10 000 hommes. Cette base, présentée par la Chine comme sa contribution à la lutte contre la piraterie qui sévissait aux abords des côtes somaliennes, remplit un rôle primordial de sécurisation d’une des routes maritimes les plus importantes pour l’économie chinoise. Une route qui devrait prendre encore plus d’importance dans le futur.
La politique militaire de la Chine en Afrique ne se résume pas à Djibouti, comme en témoigne le premier « forum Chine-Afrique sur la défense et la sécurité » qui vise, selon le porte-parole du ministère de la défense Ren Guoqiang, à « promouvoir l’édification de la communauté de destin pour la Chine et l’Afrique et de répondre aux besoins des nouvelles situations de sécurité de l’Afrique et de la coopération de défense sino-africaine. » 6
Pékin est déjà le second contributeur, après les USA, pour les opérations de « maintien de la paix », une contribution essentiellement financière même si, récemment, la Chine a mis en place un régiment de 8000 hommes capable d’intervenir rapidement sous l’égide onusienne.
Parler du domaine militaire, c’est aussi parler des vente d’armes et, dans ce secteur, la politique chinoise reste aussi nocive que celle des puissances occidentales. En effet, l’empire du milieu n’hésite pas à vendre ses armes, notamment les armes légères (celles qui font le plus de victimes), à tous les gouvernements qui en font la demande, inondant ainsi l’Afrique de fusils d’assaut bon marché qui ne font que prolonger les guerres, et les rendre bien plus coûteuses en vies humaines.
Les politiques des puissances occidentales, comme celles de la Chine ou d’autres pays émergents tels que l’Inde, ne se différencient pas fondamentalement les unes des autres. L’histoire de la Chine, qui n’a pas eu un passé coupable d’esclavagisme et de colonialisme, et le fait qu’elle partage avec l’Afrique des vicissitudes des pays pauvres, rendent le discours des officiels chinois attirant. Mais la Chine est devenue une puissance impérialiste de premier plan et, désormais, ce que les dirigeants chinois ont le plus en commun avec la plupart des dirigeants africains, c’est une gouvernance autoritaire et corrompue, l’exploitation et l’oppression des populations et la destruction de l’environnement.
Paul Martial