Publié le Vendredi 7 mars 2025 à 18h00.

« La Turquie doit choisir entre le statu quo, la guerre sans fin et la paix avec les Kurdes »

Après l’appel d’Öcalan à déposer les armes, quelles sont les perspectives pour le peuple kurde ? Entretien avec Salih Azad, responsable de Centre démocratique kurde de Marseille.

Peux-tu nous éclairer sur l’appel d’Öcalan à « déposer les armes » ? Le PKK va-t-il s’auto dissoudre ?

Des pourparlers discrets étaient en cours depuis quelques temps, et ont pris une tournure positive. Le PKK a été fondé dans les années 1970 dans un contexte de guerre froide dans lequel la lutte armée était la seule option possible. Cette lutte a permis de faire reconnaître l’existence du peuple kurde et surtout de sa lutte pour ses droits légitimes En 2025, les conditions sont différentes. Le PKK tel qu’il existait a « fait son temps » et un nouveau chapitre s’ouvre peut-être aujourd’hui. Si l’État turc est prêt à entendre l’appel d’Öcalan, si la question kurde n’est plus considérée comme une question de terrorisme, on peut envisager une solution pacifique et démocratique.

Par deux fois en 25 ans, la dernière en 2009, Öcalan a fait des tentatives en ce sens, qui ont avorté. La Turquie (État-nation des seuls Turcs) est la conséquence du dépeçage de l’empire ottoman après 1918, au seul bénéfice des impérialistes anglais et français. Ce modèle n’est plus viable. Vu la situation au Moyen-Orient, cet État est à la croisée des chemins et ne peut plus poursuivre la politique qu’il menait jusqu’ici.

La Turquie doit choisir entre le statu quo, la guerre sans fin et la paix avec les Kurdes. Ce ne sera pas facile. Cette guerre a fait plus de 10 000 victimes de part et d’autre ; 5 000 villages ont été rasés ; déportations et tortures se sont succédé depuis quarante ans.

Peut-on faire confiance à Erdoğan ?

La Turquie n’a pas d’autre choix. Les Turcs, mais les Kurdes aussi, aspirent à vivre en paix.

L’appel d’Öcalan concerne-t-il aussi les organisations kurdes de Syrie, d’Irak ou d’Iran ?

Pour le moment, non. C’est aux Kurdes de ces régions de se déterminer librement sur leur stratégie.

Si ce processus aboutit, quels seront les effets sur la région ?

Les effets peuvent être très importants. On est peut-être à la veille d’un moment historique. Mais n’oublions pas que Daech est toujours un danger mortel pour la région, surtout après l’arrivée au pouvoir en Syrie de Ahmed al-Charaa, passé par Al-Qaïda et Daech, et encore soutenu par Erdoğan.

Des milliers de prisonniers djihadistes de toutes nationalités étaient détenus dans des camps en Syrie et vont être libérés. Leurs enfants, endoctrinés à l’idéologie de Daech pendant des années pourraient être un danger réel.

Qu’en sera-t-il du « modèle » du Rojava dans ce contexte ?

Le Rojava va continuer à faire vivre son « modèle » multinational, multiconfessionnel et démocratique, surtout si la guerre « antiterroriste » de la Turquie prend fin.

Si ce processus de paix réussit, si la qualification de « terroriste » disparaît, c’est l’ensemble de la question kurde qui prendra un autre caractère et pourra enfin être étendue. Ce sera peut-être un premier pas vers cette communauté de peuples libres à laquelle nous aspirons depuis longtemps. Pas un « état kurde », mais un état libre, laïc, démocratique, pour toutes les peuples vivant sur ces terres : kurdes, turcs, arabes, persans, etc.

En définitive, tu es plutôt optimiste ?

Oui, je reconnais que je suis optimiste. Je l’ai dit, la Turquie n’a pas d’autre solution. Et cette question finira par toucher d’autres états de la région comme l’Iran, peut-être. C’est ce que je souhaite pour tout le Moyen-Orient.

Propos recueillis par notre correspondant