Publié le Lundi 15 juin 2015 à 16h20.

L’Impérialisme libéral, contribution sur l’impérialisme aujourd'hui

1) La deuxième grande mondialisation capitaliste, un siècle après la première qui avait débouché sur le développement de l’impérialisme et deux guerres mondiales, a profondément transformé le capitalisme et la planète au point qu’il n’est plus possible de conserver la même grille de lecture des luttes de classes à l’échelle internationale que celle que résume, malgré sa diversité, la notion d’impérialisme. 

Les bouleversements résultant de ce qu’il est convenu d’appeler le grand basculement du monde ont été accélérés, accentués par la crise qui a commencé en 2007-2008 et semblent se prolonger dans une crise chronique, long processus de stagnation et de décomposition du capitalisme. Cette dernière engendre une montée des forces réactionnaires, extrême droite ou intégrisme religieux, qui cherchent à canaliser et à manipuler pour leur propre compte les mécontentements nés des processus de décomposition sociale ou des déstabilisations, du militarisme, des guerres à l’échelle internationale. Cela en particulier du fait de l’absence du mouvement ouvrier sur la scène politique.

L’exacerbation de la concurrence internationale sous les effets de la crise aboutit à une instabilité grandissante, un chaos géopolitique, une multiplication des conflits militaires. L’ordre capitaliste mondial est engagé dans un processus de décomposition.

 

2) L’odieux attentat à Paris contre Charlie Hebdo le 7 janvier et la prise d’otages antisémite de Vincennes sont l'expression des conséquences de la politique internationale des grandes puissances dont l’onde de choc vient ébranler le cœur même des citadelles impérialistes. 

Ce choc est un moment de convergence des lignes de forces qui caractérisent la situation politique nationale et internationale. C'est ce qui lui a donné sa portée, qui explique l'ampleur des réactions tant au niveau national qu'international, sa complexité aussi. Se réfractent en lui les données de la période. Dans ces actes terroristes se concentrent les phénomènes de décomposition sociale et politique qu’engendre la politique des classes capitalistes tant sur le plan social que sur le plan international, les guerres.

L’immense vague d’indignation populaire défendant la liberté d’expression et la tolérance, contre tous les racismes, combinée aux manœuvres du pouvoir pour l’instrumentaliser et la récupérer en associant toute la classe politique au nom de l’union nationale, viennent souligner l’importance pour le mouvement ouvrier de ne jamais céder à cette politique des classes dominantes pour préserver sa propre indépendance de classe internationaliste. 

Pour le pouvoir et les partis institutionnels, l’union nationale est le cadre idéologique rêvé pour  accentuer leur offensive sociale et politique, qui se combine avec une offensive sécuritaire. Deux jours après les manifestations du 11 janvier, le Premier ministre déclarait devant l’Assemblée nationale "la France est en guerre contre le terrorisme, l'islamisme radical" pour quelques heures plus tard faire voter la continuation de l’intervention en Irak, votée à la quasi-unanimité, seuls les députés du Front de gauche osant timidement s’abstenir. 

Les grandes puissances se servent de l’enfant monstrueux de leur propre politique pour justifier leur guerre contre les peuples.

 

3) Par ailleurs, le début de normalisation des relations entre Cuba et les USA intervient comme le symbole différé de la fin de la période historique des révolutions coloniales, nationales anti-impérialistes. Il met fin à 55 ans d’acharnement des dirigeants américains pour renverser le régime de Castro issu de la révolution de 1959. Après avoir d’abord tenté, en vain, d’assassiner ses dirigeants, ils ont essayé d’envahir ce pays de 10 millions d’habitants qui avait pour seul tort de vouloir échapper au pillage direct des trusts américains et à la tutelle politique des États-Unis. 55 ans d’un blocus économique qui a ruiné le pays et appauvri sa population face auquel le régime castriste n’a pu résister, malgré sa nature autoritaire, voire dictatoriale, que parce qu’il a réussi, malgré ce blocus, à nourrir la population tout en développant un système d’éducation et de santé performant, acquis de la révolution.

La normalisation des relations entre Cuba et les USA signe cependant l’échec du soulèvement des peuples opprimés, après la dégénérescence bureaucratique de l’URSS, à ouvrir une nouvelle phase de développement pour l’Humanité en rupture avec le capitalisme. 

L’étouffement, l’écrasement du mouvement ouvrier par la bureaucratie stalinienne alliée à la réaction capitaliste a laissé la révolte des peuples opprimés prisonnière du nationalisme. Le prolétariat n’a pas été en mesure de lui offrir une perspective internationaliste. Cette vague révolutionnaire a cependant bouleversé le monde en permettant à des millions d’opprimés de rompre le joug de l’oppression coloniale et impérialiste. Mais, loin d’aller vers le socialisme, les nouveaux régimes ont cherché à s’intégrer au marché capitaliste mondial pour y trouver leur place. Cuba a été le dernier État né de cette vague révolutionnaire à avoir tenu tête à la première puissance mondiale. Un défi qui témoigne de la force des peuples quand ils osent affronter les classes et les États dominants.   

Le capitalisme a triomphé à l’échelle de toute la planète. En délitant les vieux cadres de domination des grandes puissances et des classes capitalistes, il n’apporte que crise, régression sociale et démocratique, guerres, catastrophe écologique. Il ouvre une période de guerres, d’instabilité et de révolutions. 

4) La nouvelle période se définit par un nouveau stade de développement du capitalisme où se combinent les vieux rapports impérialistes avec les nouveaux rapports du libéralisme mondialisé.  C'est pourquoi il semble juste de reprendre à notre compte la formule d’impérialisme libéral. Se façonnent de nouvelles relations entre les vieux pays dominants et les nations opprimées. C’est cet ensemble qu’il s’agit de définir à la fois par rapport à l’histoire du capitalisme et, en conséquence, par rapport aux possibilités d’une nouvelle organisation économique et sociale, le socialisme et le communisme.

Il ne s’agit pas d’une discussion académique autour d’une définition formelle de l’impérialisme mais bien de tenter de saisir les évolutions dans leur globalité en les inscrivant dans un débat stratégique, celui des perspectives révolutionnaires, de nos tâches.  Cela renvoie à un vaste travail collectif en lien avec nos tâches militantes.

Cette contribution aborde une série de questions dans cet état d’esprit. Quelles sont les conséquences de l’intégration au marché mondial des pays opprimés qui ont conquis leur indépendance ? De la nouvelle division internationale du travail ? De la prolétarisation de millions de paysans ruinés à travers le monde ? De la mise en concurrence des travailleurs à l’échelle mondiale ? Du libéralisme étendu à la planète entière ? Du nouveau mode d’accumulation financière ? Peut-on dégager une unité de ces divers mécanismes à l’œuvre pour refonder le programme socialiste et la stratégie révolutionnaire ?

 

5) Le cadre de lecture hérité des discussions sur la première mondialisation impérialiste ou coloniale, l'impérialisme colonial du début du XXème siècle, ne convient plus, tant les bouleversements dans la vie même des peuples ont été importants mais le raisonnement s’inscrit dans une continuité des luttes de classes comme du marxisme révolutionnaire.

La première idée héritée de cette période est le lien entre le capitalisme et la guerre, entre la guerre et la lutte de classe que Jaurès avait démontré et illustré avec sa célèbre formule.

Mais c’est à Lénine qu’il revient de faire la théorie de cette idée, « la connexion inévitable entre les guerres et la lutte de classe ». Dans L’impérialisme, stade suprême du capitalise, il démontre que le développement impérialiste est lié à la nature même du capitalisme. Il est utile de rappeler son raisonnement.

«   L'impérialisme a surgi comme le développement et la continuation directe des propriétés essentielles du capitalisme en général. Mais le capitalisme n'est devenu l'impérialisme capitaliste qu'à un degré défini, très élevé, de son développement, quand certaines des caractéristiques fondamentales du capitalisme ont commencé à se transformer en leurs contraires, quand se sont formés et pleinement révélés les traits d'une époque de transition du capitalisme à un régime économique et social supérieur. Ce qu'il y a d'essentiel au point de vue économique dans ce processus, c'est la substitution des monopoles capitalistes à la libre concurrence capitaliste. La libre concurrence est le trait essentiel du capitalisme et de la production marchande en général; le monopole est exactement le contraire de la libre concurrence; mais nous avons vu cette dernière se convertir sous nos yeux en monopole, en créant la grande production, en éliminant la petite, en remplaçant la grande par une plus grande encore, en poussant la concentration de la production et du capital à un point tel qu'elle a fait et qu'elle fait surgir le monopole : les cartels, les syndicats patronaux, les trusts et, fusionnant avec eux, les capitaux d'une dizaine de banques brassant des milliards. En même temps, les monopoles n'éliminent pas la libre concurrence dont ils sont issus; ils existent au-dessus et à côté d'elle, engendrant ainsi des contradictions, des frictions, des conflits particulièrement aigus et violents. Le monopole est le passage du capitalisme à un régime supérieur.

Si l'on devait définir l'impérialisme aussi brièvement que possible, il faudrait dire qu'il est le stade monopoliste du capitalisme. Cette définition embrasserait l'essentiel, car, d'une part, le capital financier est le résultat de la fusion du capital de quelques grandes banques monopolistes avec le capital de groupements monopolistes d'industriels; et, d'autre part, le partage du monde est la transition de la politique coloniale, s'étendant sans obstacle aux régions que ne s'est encore appropriée aucune puissance capitaliste, à la politique coloniale de la possession monopolisée de territoires d'un globe entièrement partagé.

Mais les définitions trop courtes, bien que commodes parce que résumant l'essentiel, sont cependant insuffisantes, si l'on veut en dégager des traits fort importants de ce phénomène que nous voulons définir. Aussi, sans oublier ce qu'il y a de conventionnel et de relatif dans toutes les définitions en général, qui ne peuvent jamais embrasser les liens multiples d'un phénomène dans l'intégralité de son développement, devons-nous donner de l'impérialisme une définition englobant les cinq caractères fondamentaux suivants : 

1) concentration de la production et du capital parvenue à un degré de développement si élevé qu'elle a créé les monopoles, dont le rôle est décisif dans la vie économique; 

2) fusion du capital bancaire et du capital industriel, et création, sur la base de ce "capital financier", d'une oligarchie financière; 

3) l'exportation des capitaux, à la différence de l'exportation des marchandises, prend une importance toute particulière; 

4) formation d'unions internationales monopolistes de capitalistes se partageant le monde, et 5) fin du partage territorial du globe entre les plus grandes puissances capitalistes. L'impérialisme est le capitalisme arrivé à un stade de développement où s'est affirmée la domination des monopoles et du capital financier, où l'exportation des capitaux a acquis une importance de premier plan, où le partage du monde a commencé entre les trusts internationaux et où s'est achevé le partage de tout le territoire du globe entre les plus grands pays capitalistes.

Nous verrons plus loin l'autre définition que l'on peut et doit donner de l'impérialisme si l'on envisage, non seulement les notions fondamentales d'ordre purement économique (auxquelles se borne la définition citée), mais aussi la place historique que tient la phase actuelle du capitalisme par rapport au capitalisme en général, ou bien encore le rapport qui existe entre l'impérialisme et les deux tendances essentielles du mouvement ouvrier. Ce qu'il faut noter tout de suite, c'est que l'impérialisme compris dans le sens indiqué représenteindéniablement une phase particulière du développement du capitalisme. […]Inutile de dire, évidemment, que toutes les limites sont, dans la nature et dans la société, conventionnelles et mobiles; qu'il serait absurde de discuter, par exemple, sur la question de savoir en quelle année ou en quelle décennie se situe l'instauration "définitive" de l'impérialisme. »

Voilà résumée brillamment par Lénine lui-même sa conception. C’est dans le cadre de ce raisonnement qu’il nous faut poursuivre l’analyse du moment charnière que nous connaissons en gardant le fil historique.

 

6) Le développement impérialiste et la lutte entre les puissances impérialistes pour le repartage du monde ont débouché sur une première guerre impérialiste puis une vague révolutionnaire qui, vaincue et brisée par la réaction fasciste et stalinienne, n’a pu empêcher le deuxième temps barbare de la lutte pour le repartage du monde, la deuxième guerre mondiale. Puis ce furent vingt ans de guerres et de révolutions, le soulèvement des peuples coloniaux. 

D’une certaine façon, la victoire du peuple vietnamien a clos cette période de l’impérialisme colonial. Le partage des territoires ou des zones d'influences entre les puissances impérialistes se pose depuis différemment. 

Une nouvelle phase s’ouvre dès la fin des années 70, celle de l’offensive libérale menée sous la houlette de la première grande puissance mondiale, les USA, et de son alliée la Grande Bretagne. Commence la deuxième mondialisation en réponse à la baisse du taux de profit qui voit le capitalisme s’imposer comme mode de production mondial atteignant les limites de la planète.

Cette offensive libérale à l’issue des trente glorieuses a débouché sur la fin de l’URSS qui avait à la fois contribué aux luttes de libération nationale tout en participant au maintien de l’ordre mondial capitaliste au nom de la coexistence pacifique, c’est à dire de la défense des intérêts de la bureaucratie.

 

7) La fin de l'URSS marque une accentuation de l'offensive libérale des classes capitalistes sous la houlette des USA. L'euphorie libérale et impérialiste l'emporte durant les années Bush, le capitalisme triomphe à l'échelle de la planète mais le mythe de « la fin de l'histoire » ne résistera pas longtemps à la réalité. La première guerre d’Irak ouvre une longue période d’offensives contre les peuples pour imposer le libéralisme mondialisé, la stratégie du chaos qui débouche sur un nouvel ordre mondial déstabilisé et de nouvelles guerres. 

L’échec des néoconservateurs démontre l’impossibilité d’un superimpérialisme dont l’Otan aurait été le bras armé. Ce bras armé est devenu l’instrument de la défense des intérêts des grandes puissances occidentales contre leurs nouveaux rivaux. L’«Organisation du Traité Nord-Atlantique», après s’être étendue à l’Europe orientale (jusqu’à l’intérieur de l’ex URSS) et à l’Asie centrale, pointe maintenant sur d’autres régions, au Moyen-Orient, en Afrique, après avoir démoli la Libye en 2011 par la guerre, dans les eaux de l’Océan Indien et du Golfe d’Aden, en Amérique latine, dans le Pacifique. Mais elle est bien incapable aujourd'hui de maintenir une stabilité de l'ordre mondial.

A la fin de l’ère Bush, Obama a prétendu tourner la page. Mais ne pouvant apporter une réponse politique à la situation crée par « la stratégie du chaos »,il n’a eu d’autre choix que de s’y adapter, d’abord en Irak puis en Afghanistan. Wait and see, selon une vieille politique impérialiste... Jouer la crise et le pourrissement.

Depuis la crise financière de 2008, cette période du libéralisme international tend à céder la place à une phase de réorganisation des relations internationales alors que l’économie mondialisée échappe à toute régulation, aucune puissance n’en ayant les moyens. La contradiction entre l’instabilité engendrée par la concurrence globalisée et la nécessité d’assurer un cadre commun de fonctionnement du capitalisme permettant d’assurer la production et les échanges s'accentue.

En 30 ans, les rapports de force ont été bouleversés, les BRICS et principalement la Chine, l’ensemble des peuples se battent pour participer au développement mondial malgré la crise. Même si les USA restent, dans tous les domaines, la première puissance mondiale, ils doivent composer, trouver des alliés. La moitié de la production manufacturière mondiale est aujourd’hui réalisée par les pays émergents.

La contradiction entre État national et internationalisation de la production et des échanges est plus forte que jamais alors qu’aucune puissance dominante n’est aujourd’hui en mesure de réguler les relations internationales. Les deux facteurs se combinent pour créer les conditions d’une  instabilité des relations internationales.

 

8) L’impérialisme libéral domine après la fin des empires coloniaux et de l’ex-URSS dans le cadre d’une libre concurrence à l’échelle mondiale. Les monopoles se sont transformés en multi ou transnationales qui, si elles gardent une base nationale, sont engagés dans des relations d’interdépendances à l’échelle mondiale. Les cartels et unions internationales monopolistiques composent avec la libre concurrence mondialisée.

Le développement parasitaire du capital financier a donné naissance à une masse considérable de capitaux spéculatifs accompagnée d’une diminution des investissements productifs. 

Ce caractère parasitaire s’exprime dans une économie de la dette et dans le fait que les USA sont importateurs nets de capitaux ainsi que les autres vieilles puissances impérialistes à des degrés variables. Cette importation de capitaux est une façon de drainer les richesses produites par le prolétariat des pays émergents vers les vieilles métropoles impérialistes.

On assiste à une concentration des richesses à un niveau jamais vu.

La classe ouvrière mondiale a connu un développement considérable à travers un marché du travail mondialisé où les salariés sont mis en concurrence à l’échelle de la planète remettant en cause les acquis de « l’aristocratie ouvrière » des vieilles puissances impérialistes, sapant ainsi les bases matérielles du réformisme.

Une nouvelle division internationale du travail s’opère à travers le développement économique des anciens pays coloniaux ou dominés, en particulier des émergents, mondialisation de la production et non simple internationalisation, « une économie mondiale intégrée » comme le dit Michel Husson.

Les monopoles se sont développés en sociétés transnationales à l’activité industrielle, commerciale, financière diversifiée et une concentration telle que 147 multinationales possèdent 40% de la valeur économique de l’ensemble des multinationales du monde entier. 

Le partage territorial du monde qui avait été remis en cause par les deux guerres mondiales et la vague demouvements de libération nationale a cédé la place à un capitalisme de libre concurrence à l’échelle internationale structurée par les multinationales. Le partage du monde a cédé la place à une lutte pour le contrôle des circuits commerciaux, des lieux de production, l’approvisionnement en énergie… Les logiques capitalistes et de contrôle territorial, selon la formule de Harvey, se combinent sous d’autres formes.

Les rivalités entre les vieilles puissances impérialistes sans cesser d’exister se sont adaptées à ce nouveau cadre sous l’hégémonie américaine.

L’instabilité croissante du monde qui en résulte conduit à une montée des militarismes, à des tensions croissantes qui ont contraint les USA à se redéployer militairement tout en cherchant à associer à leur politique de maintien de l’ordre mondial les vieilles puissances, l’Europe, le Japon et les pays émergents. Le redéploiement de l’Otan en a été l'instrument. Cette politique est un échec qui a engendré une instabilité croissante et le développement du fondamentalisme religieux, terroriste, facteur de chaos permanent. 

 

9) Dans le même temps qu’il atteint les limites de la planète, le capitalisme mondialisé provoque une crise écologique inédite d’une ampleur globalisée qui pose la question de l’avenir de l’Humanité. La logique du profit aboutit à une organisation aberrante de la production à l’échelle mondiale au mépris des populations et des équilibres écologiques.

La combinaison de la crise écologique et climatique d'un côté, et de la crise économique et sociale de l'autre, pose à l'humanité des enjeux inédits. Il n'y a pas de solution sans sortie du capitalisme ni à l'échelle d'un seul pays, sans planification démocratique fondée sur la coopération des peuples à l’échelle mondiale en fonction des besoins sociaux et écologiques.

Cette crise est un facteur d’une prise de conscience internationaliste, non seulement au sens que notre patrie, c’est l’Humanité mais au sens aussi ou, du local au global, la lutte contre les menaces qui pèsent sur l’avenir de la planète est une lutte qui dépasse les frontières. Elle  est inscrite dans la lutte pour le socialisme en lien avec la lutte sur le terrain social. 

10) Les limites atteintes par l’accumulation élargie financière fondée sur la croissance exponentielle du crédit et de la dette aboutissent au développement de « l’accumulation par dépossession» selon la formule de Harvey. A défaut d'être en mesure de développer l’économie pour accroître la masse de la plus-value nécessaire pour nourrir les appétits de la finance, le capitalisme trouve une issue à ses difficultés d’accumulation dans une double offensive : contre les travailleurs et contre les peuples pour leur imposer une répartition de plus en plus défavorable des richesses. 

Cela  entraine une lutte acharnée pour le contrôle des territoires, des sources d’énergies, des matières premières, des voies d’échanges... La libre concurrence mondialisée devient une lutte pour le contrôle des richesses, une forme de repartage du monde, mais dans des rapports de forces radicalement différents de ceux de la fin du XIXème siècle et du début du XXIème. Et non plus sous la houlette des États mais des multinationales qui ont fait de ces derniersleurs instruments.

Le développement de la crise depuis 2007-2008 constitue ainsi, sur le plan des relations internationales, un tournant en provoquant une exacerbation des tensions.                                                                                 

Les USA n’ont plus les moyens de s’imposer aux autres puissances et nations comme le démontre la situation au Moyen Orient. Ils sont contraints d’adapter leur politique aux nouveaux rapports de force pour assumer leur rôle de leadership mondial tant pour assurer leur propre hégémonie que pour assurer l’ordre mondial. Et, en fait, les deux sont liés. L’hégémonie des USA est conditionnée à leur capacité à assurer l’ordre mondial, la gouvernance mondiale indispensable version impérialiste. Mais elle suppose que la puissance dominante soit capable de rendre crédible sa prétention à agir dans l’intérêt général, la suprématie économique et militaire ne peuvent suffire à établir un consentement.

L’émergence de nouvelles puissances ayant des vues impérialistes ou de puissances régionales ayant leurs propres intérêts à défendre dans le jeu des rivalités des grandes puissances rendent de plus en plus fragile le leadership américain, la situation internationale de plus en plus chaotique. 

Jusqu’où peuvent aller ces tensions et déséquilibres ? Nous ne pouvons exclure, sur le long terme, aucune hypothèse. Il s'agit de comprendre les possibles évolutions de la situation mondiale pour formuler les issues à la crise dans laquelle les classes dominantes nous entraînent. Rien n’autorise à ignorer l’hypothèse du pire, de la mondialisation des conflits locaux à un embrasement généralisé, une nouvelle guerre mondiale ou plutôt mondialisée.

Le fond de la question renvoie à la nature des relations Chine-USA et à leurs évolutions possibles. 

Comme la crise de 1929 avait été la crise de l’émergence américaine (Joshua), la crise actuelle est-elle la crise de l’émergence de la Chine ? De la même façon que la politique impérialiste est née de la crise interne du capitalisme anglais, une politique impérialiste de la Chine pourrait résulter de ses contradictions internes, de l’incapacité des classes dirigeants chinoises à apporter une réponse à la question sociale, à perpétuer l'ordre sans fournir un exutoire aux frustrations sociales. Rien ne nous permet d'exclure l’hypothèse que de là puisse résulter une guerre pour le leadership mondial.

La réponse appartient en fait au prolétariat et aux peuples, à leur capacité à intervenir directement pour empêcher le pire. La question n’est pas de faire des pronostics mais de fonder notre propre stratégie sur la compréhension du développement des rapports entre les classes et entre les nations qui ouvre une nouvelle période de crise et de révolutions qui peut accoucher d’un autre monde. 

11) La stratégie révolutionnaire n'est pas une croyance avec laquelle on s’accommode ou pour laquelle on s’enthousiasme mais bien une pratique qui s'appuie sur des données objectives, politiques qui la rendent possible et nécessaire, qui part de notre expérience concrète, de celle des masses.

L'évolution de l'impérialisme en impérialisme libéral a plusieurs conséquences du point de vue de l'actualité de la stratégie révolutionnaire. On peut essayer de résumer l'essentiel : 

  • Elle correspond à un développement des forces productives et un bouleversement des rapports sociaux qui font de la perspective du socialisme la réponse à la régression globalisée s'appuyant sur des bases matérielles, des évolutions qui bouleversent non seulement les rapports sociaux mais aussi les consciences à large échelle.

Elle tend à saper les bases matérielles du réformisme en amenuisant les surprofits impérialistes ciment de la collaboration de classe alors que l'on assiste à une concentration considérable des richesses, une accentuation des inégalités, une paupérisation.

Elle donne à l'internationalisme un contenu concret qui s'enracine dans la vie quotidienne de millions de prolétaires. La question sociale et la question internationale sont perçues comme étant bien plus interdépendantes qu'elles ont pu l'être par le passé. L’instabilité croissante des relations internationales résulte autant de l’instabilité des États face aux travailleurs et aux peuples que des rivalités entre grandes puissances, entre grandes puissances et puissances régionales... instabilité ouvrant de nouvelles possibilités pour l'intervention des classes exploitées.

L'antiimpérialisme a, souvent dans le passé, pris la forme du campisme subordonnant les rapports de classes aux rapports d'oppression nationale alors que la géographie politique internationale opposait directement les pays coloniaux aux puissances coloniales. C'était déjà une erreur qui aujourd'hui peut conduire à de graves dérives. Toute attitude manichéenne, campiste qui oublie l'analyse de classe conduit à une impasse.

  • L'émergence d'une classe ouvrière internationale qui intervient de plus en plus pour la défense de ses droits, des salaires, contre le chômage mais qui sans organisation politique propre, indépendante des institutions, ne peut intervenir comme une classe porteuse de l'avenir de la société. 

Hors de cette intervention politique indépendante du prolétariat, la critique de l’impérialisme libéral par les autres classes ou couches sociales reste morale ou réformiste voire est dévoyée par les forces réactionnaires, néofascisme ou fondamentalisme religieux. C'est aujourd'hui la question politique centrale. 

Le fondamentalisme religieux dans ces formes les plus radicales, le terrorisme et le djihadisme, a été enfanté par la politique des grandes puissances mais il est plus globalement l'enfant des politiques libérales qui engendrent la misère et accentuent comme jamais les inégalités.

Le combat contre la montée des forces réactionnaires, d'extrême-droite, fascistes ou intégristes religieuses est une lutte globale contre la décomposition sociale et politique engendrée par les politiques des classes capitalistes.

Dans les pays riches, établir une hiérarchie des menaces serait une erreur. Les menaces d'un néofascisme occidental se nourrissent des menaces des fondamentalismes religieux. Les deux sont des ennemis du progrès, de la démocratie et des libertés, des ennemis des travailleurs et des peuples qu'elles veulent soumettre. 

Une telle situation où situation nationale et internationale, question sociale et politique se lient de façon complexe rend les raisonnements manichéens du campisme ou du moralisme inadéquats si ce n'est dangereux. Nous combattons tout ce qui peut ou pourrait, d'une façon ou d'une autre, nous laisser  prendre au piège d'une guerre des civilisations, du communautarisme. Nous déterminons et développons notre politique en fonction des intérêts de la classe ouvrière internationale. 

L'attentat du 7 janvier à Paris et ses suites illustrent la nécessité d'avoir une politique d'indépendance de classe capable de donner un contenu aux aspirations démocratiques, solidaires, contre tous les racismes des classes populaires. 

Notre démarche vise à démontrer les objectifs de la politique des grandes puissances, le lien entre la guerre sociale menée contre les travailleurs par les différentes bourgeoisies et la guerre contre les peuples, entre la concurrence mondialisée et les rivalités entre puissances sur le terrain international. Elle se situe du point de vue de tout ce qui peut aider à l'organisation et à l'intervention des classes exploitées, tout particulièrement face à la montée des forces fondamentalistes réactionnaires et terroristes. 

Nous dénonçons la prétendue lutte contre le terrorisme et l'islamisme radical des puissances occidentales qui conduit à la guerre comme le fanatisme religieux qui vise à soumettre les populations. 

Notre combat pour la paix est indissociable de notre combat pour le socialisme. 

Si la plus large unité avec les forces démocratiques est indispensable pour combattre dans les pays riches comme dans les pays pauvres la menaces de forces fascistes ou des fondamentalistes religieux fanatiques, cette unité ne peut nous conduire à abandonner notre indépendance de classe au nom de l'union nationale quelle que soit la forme qu'elle puisse prendre. 

Notre solidarité avec les peuples ne saurait faire appel à la prétendue « communauté internationale » ni à l’ONU dont la fonction, de plus en plus délaissée, est de donner un paravent démocratique à la politique des grandes puissances. A l’opposé nous mettons constamment en valeur la nécessaire solidarité entre les travailleurs et les peuples, seule issue aux politiques agressives et militaristes des grandes puissances qui manipulent et dressent les peuples les uns contre les autres. Notre solidarité internationale ne consiste pas à soutenir les peuples et les dirigeants qu’ils se sont donnés. Elle critique sans concessions les politiques nationalistes bourgeoises qui dévoient les révoltes et les aspirations démocratiques.

La solidarité ne peut masquer les désaccords politiques.

Notre internationalisme se définit comme la recherche constante d’une politique indépendante pour la classe ouvrière combinée à la lutte contre notre propre bourgeoisie.

Le processus de décomposition sociale qui caractérise l'époque actuelle crée des situations complexes comme celle qui se développe en conséquence des dernières interventions des grandes puissances en Irak, en Libye ou en Syrie avec l’apparition de l’État islamique, d'Al Qaida ou de Boko Haram. Ces organisations fondamentalistes et terroristes, produits de la barbarie capitaliste, ont leur propre stratégie de conquête du pouvoir pour s'imposer par la terreur aux classes populaires. 

Notre politique vis à vis de ces forces ne doit pas souffrir la moindre ambiguïté. Nous les dénonçons et les combattons, nous apportons notre solidarité aux mouvements progressistes qui les combattent ou résistent tout en dénonçant la propagande des grandes puissances invoquant une nouvelle version du « choc des civilisations» pour justifier leur politique. Cette solidarité ne se confond en aucune manière avec la politique des États dominants.

Le grand basculement du monde n'est pas une formule. Il s'opère dans le drame et le sang et nous oblige à tout repenser. Comment contribuer à l'émergence d'un mouvement révolutionnaire au niveau européen et international, telle est la question essentielle?

Ce que défend, en France, le NPA dans ses principes fondateurs, apparaît comme une démarche susceptible de répondre à cette urgence. « Notre parti cherche à se lier à toutes les forces qui, dans le monde entier, luttent avec le même objectif. C'est pourquoi le NPA engagera le dialogue et des collaborations politiques avec les autres forces anticapitalistes et révolutionnaires dans le monde dans la perspective de la constitution d'une nouvelle internationale.»

De toute évidence une démarche compliquée qui se heurte à toute sorte d'habitudes. 

Yvan Lemaître, Le 22/01/2015