Publié le Mercredi 24 septembre 2025 à 14h44.

Vos regrets ne suffiront pas, et nous n’accepterons pas vos excuses

Nous poursuivons les publications des textes écrits pas Marie Schwab, qui chaque semaine chronique le génocide en cours.

« Nous survivrons. (…) Nous en sortirons grandis. Nous nous relèverons des décombres, comme nous l’avons toujours fait en tant que Palestiniens. (…) Mais vous qui aurez été complices, vous en remettrez-vous ? Votre charité et vos mots ne suffiront pas. Vos regrets ne suffiront pas, et nous n’accepterons pas vos excuses. Je veux qu’alors vous vous regardiez dans la glace et vous demandiez ‘où étais-je pendant le génocide ?’ » Munther Isaac, pasteur à Bethleem, décembre 2023.1

Le génocide est l’aboutissement du projet colonial sioniste, mais aussi la conséquence logique de décennies d’une impunité totale, complice, absurde, suicidaire.

Nous attendons le jour où le soleil se lèvera sur Gaza. Nous attendons le jour où la Palestine sera libre. Le jour où le monde s’inclinera avec respect devant la lutte pour la justice du peuple de Palestine. Le jour où le monde reconnaîtra que les Palestiniens honorent l’humanité.

Nous attendons le jour où la parole palestinienne, lourde du poids des corps de dizaines de milliers d’enfants, fera sombrer la propagande de l’occupant, et avec elle tous les vecteurs qui l’auront portée.

Nous attendons le jour où justice sera rendue. Le jour où l’Etat génocidaire aura à répondre de ses crimes ; le jour où ses soutiens auront à rendre des comptes : Etats et médias complices, sans lesquels le génocide n’aurait pas été possible.

Depuis deux ans, qu’a fait la France ? En tant que membre du Conseil de sécurité de l’ONU, a-t-elle pesé de tout son poids pour stopper le génocide ? A-t-elle rappelé son ambassadeur ? A-t-elle bloqué ses exportations d’armes ? A-t-elle imposé des sanctions ? A-t-elle tout mis en œuvre pour arrêter un premier ministre recherché pour crimes contre l’humanité ? A-t-elle coupé toute relation commerciale et financière avec l’occupant ? A-t-elle inscrit au fichier des terroristes ses ressortissants ayant participé au génocide ?

Non, pendant deux ans, la France aura ennobli le génocide en parlant de guerre. En parlant de crise humanitaire, elle aura euphémisé la famine, la destruction des hôpitaux et l’assassinat des médecins.

Elle aura vendu plus d’armes que jamais2 à un Etat poursuivi pour génocide devant la plus haute Cour du monde. Elle aura continué à profiter de l’économie de l’occupation en étant le 10e fournisseur d’Israël.3

« Ce n’est pas par lâcheté que l’Occident continue de soutenir Israël mais par idéologie », écrit le chercheur palestinien Layth Hanbali. « Peu importe la quantité de matériel irréfutable prouvant le génocide, cela ne suffira pas à convaincre les dirigeants occidentaux de cesser de soutenir Israël. La seule chose qui stoppera le génocide, c’est quand il coûtera plus qu’il ne rapportera. (…) Nombre de dirigeants européens sont tellement engagés dans le projet colonial sioniste qu’ils sont prêts à être mis en accusation pour complicité de crimes de guerre plutôt que de suspendre les accords de commerce et de vente d’armes. (…) Les bénéfices politiques et économiques qu’ils tirent du projet colonial sioniste sont bien plus importants que la valeur qu’ils attribuent aux vies palestiniennes. »4

Pendant deux ans, la France aura récité la fable du droit de l’occupant à se défendre, occultant le fait qu’Israël, en tant que puissance occupante, n’a aucun droit au regard de la loi.

Dès le 7 octobre 2023, dès l’énonciation de ses intentions génocidaires par l’occupant, la France, signataire de la Convention pour la prévention du crime de génocide, avait l’obligation juridique de stopper Israël. Les six premiers jours, 6.000 bombes larguées sur Gaza par l’armée d’occupation avaient déjà assassiné plus de 1.400 civils5, et il était clair que la 4e Convention de Genève ne s’appliquerait pas à Gaza. Les 24 premiers jours, 2.000 enfants avaient été assassinés à Gaza.6 En quatre semaines, l’occupant avait largué 25.000 tonnes de bombes sur la population captive de Gaza.7 Nous n’étions plus depuis longtemps dans le champ du droit, ni de la vérité, mais dans une zone où seules prévalent la force brute et le bon vouloir de l’occupant - et la subordination de tous les autres, prêts à tous les mensonges, toutes les distorsions, pour justifier l’injustifiable.

En dernier lieu, la France se devait d’agir le 26 janvier 2024, lorsque la Cour pénale internationale a rendu ses mesures conservatoires eu égard au risque de génocide.

Les Palestiniens, eux, forts des expériences traumatiques successives liées à cinq guerres en 15 ans, ont su, dans leur chair, dès les premiers jours de l’assaut, que cette fois, c’était leur dernière guerre, leur génocide, leur extermination.

Malak, 12 ans, dans sa longue semaine d’agonie, a rapporté à son père ce que lui avait dit sa mère, Aya, au premier jour de l’agression : « Nous allons tous mourir. Profitons des derniers instants de notre vie. » Aya a été assassinée le 22 octobre 2023, avec vingt-et-un membres de sa famille.8

« Les seuls qui dénient le génocide sont les politiques qui s’inquiètent des conséquences pratiques qu’entraînerait pour eux la reconnaissance du génocide. Ils ne cherchent pas à argumenter que ce n’en est pas un, ils veulent juste éviter les obligations qu’une telle désignation leur imposerait, ainsi qu’à leur pays », expose le juriste palestinien Jonathan Kuttab.9

Pendant deux ans, la France aura apporté sa caution morale au génocide, laissé banaliser les massacres et le piétinement du droit. « Avant octobre 2023, Israël pensait qu’il y avait des lignes rouges à ne pas franchir sinon il y aurait des conséquences », remarque l’analyste palestinien Moin Rabbani. « A partir d’octobre 2023, Israël a constaté que ces lignes rouges n’existaient pas et qu’il n’y avait rien à craindre. Plus sa campagne contre les Palestiniens est violente, vicieuse, génocidaire, plus le soutien est massif et la complicité active. »10

« Israël est ivre de l’impunité occidentale », résume le médecin palestinien Ghassan Abu Sitta.11

Nous attendons le jour où Free Palestine ne sera plus un slogan, mais un constat. Nous attendons aussi le jour où les médias seront appelés à la barre pour apologie de crime et complicité de génocide.

Pendant deux ans, les médias n’auront cessé de relayer avec servilité le récit de l’occupant, sans guillemets ni conditionnel. Fidèles porte-paroles de l’occupant, ils auront justifié les massacres en prétextant un « terroriste » dans chaque tente, chaque maison, chaque hôpital, chaque école.

Pendant deux ans, ils n’auront cessé de détourner le regard de la vie des Palestiniens sous les bombes israéliennes, sous le blocus israélien. Pendant deux ans, les médias auront normalisé les massacres en les passant sous silence. Deux ans d’euphémisation, de minimisation, d’invisibilisation des Palestiniens : les Palestiniens n’existent pas, leur souffrance et leur lutte ne sont pas les nôtres. En revanche, deux ans d’empathie pour la fatigue et les risques encourus par l’armée d’occupation.

Ils auront affirmé avec aplomb que la destruction de l’hôpital al-Ahli (600 morts) était le fait d’une roquette palestinienne. Avec le même mépris des lois de la physique et du bon sens élémentaire, ils auront attribué la calcination des voitures et la destruction des kibboutz aux armes rudimentaires palestiniennes, taisant la directive Hannibal et les témoignages des officiers et pilotes d’hélicoptères de l’occupant, rendant tabou ce qui n’est pas un secret même en Israël.

Pendant deux ans, ils auront agité les mots magiques Hamas, islamiste, terroriste, les laissant agir comme des sésames qui confèrent tous les droits à l’occupant.

L’assassinat systématique de leurs confrères palestiniens aura bénéficié du même traitement. Lors du ciblage du journaliste de Reuters Husam al-Masri, l’agence n’aura pas jugé utile de dire que la caméra incriminée était la caméra de Reuters et aura repris mot pour mot la propagande de l’occupant, sans un mot de condamnation ni de peine. Lors de l’assassinat de la journaliste d’AP Mariam Abu Daqqa, AP n’aura même pas eu la décence de la nommer.

Pendant deux ans, les médias auront eu à cœur de donner la parole à des suprémacistes de gauche, des génocidaires humanistes, dans l’intention de sauver le projet sioniste.

Les notions de droit, de colonisation, d’occupation, auront été occultées, le contexte d’oppression coloniale tabouisé.

Pendant deux ans, les médias auront enterré la Charte de Munich, oublié leur premier devoir, celui de « respecter la vérité, qu’elles qu’en puissent être les conséquences pour [soi]-même, en raison du droit qu’a le public de connaître la vérité ». Ils n’auront pris aucun risque, été prêts à renoncer à aucun confort.

A chaque massacre passé sous silence, à chaque chiffre minimisé, à chaque crime euphémisé, à chaque violation du droit justifiée, ils auront pris part au génocide et devront en répondre.

Nous attendons le jour où nous pourrons retourner embrasser le peuple et la terre de Palestine. Mais d’ici ce jour, n’attendons rien des gouvernants, ni aucun revirement des médias. C’est par nous, société civile, que viendra le changement.

Pour l’heure, à Gaza, il y a deux millions d’histoires tristes, de vies traumatisées, déchirées.

« C’est un océan de désespoir qui s’étire à perte de vue. Une prison pour ceux qui ont tout perdu : leur famille, leur travail, leur espoir de survivre le lendemain. Il y a ici des couches et des couches de souffrance, dans l’odeur des incendies mêlée à la puanteur de la putréfaction », témoigne Tareq Abu Azzoum, journaliste.12

Après le bombardement de son abri, Lana ne retrouve de son enfant que la peluche.

« Je ne sais quelle sorte d’avions, d’armes, d’explosifs ils utilisent pour tuer nos enfants. Nos enfants dorment dans la main de Dieu quand ils larguent des bombes sur eux », se désespère Abu al-Abd Zakqut.13

Sur la route de la fuite vers le sud, les parents ne savent pas quel enfant porter, lequel tirer par le bras. De jeunes enfants portent un enfant à peine plus petit qu’eux.

« Nous vivons dans l’ombre d’un nouveau déplacement, celui qui pourrait effacer jusqu’aux ruines que nous nommions nôtres. Telle est l’horreur qui définit notre quotidien : non seulement survivre aux bombes, mais vivre chaque jour en redoutant que le prochain chapitre est déjà écrit, et que le pire est à venir», écrit Logain Hamdan, étudiante.14

Je voudrais terminer par une pensée pour Yara, petite fille orpheline, brûlée, amputée, qui rêve de retrouver sa mère au paradis, « le seul endroit où il y a de l’amour, de la nourriture et de l’eau. »15

Une pensée pour Ratab, 9 ans, qui a perdu sa mère et sa jambe alors qu’il fuyait vers la zone « sûre ». Il s’est fabriqué une prothèse avec un bout de tuyau. Il rêve de courir, avec une vraie prothèse, de retrouver son père et de retourner à l’école.

Les derniers mots reviennent à cet homme de Gaza :

« Si nos yeux se remplissent de larmes, ce n’est pas par peur de qui que ce soit. Nos larmes coulent de tristesse parce que tous les vautours de la terre se sont ligués contre nous, et tous les pays du monde nous ont abandonnés. Nous avons emporté avec nous ce qui nous est le plus cher, notre identité, notre dignité et notre foi. Et nous leur avons laissé ce qui leur est cher : portes, fenêtres, pierres, arbres. C’est faux de dire que nous ne souffrons pas. Nous souffrons. Mais nous patientons. Nous avons attendu si longtemps, nous pouvons attendre encore. »16

Marie Schwab, le 22 septembre 2025