Le 19e congrès du PCC est en cours et se terminera en fin de semaine. Pour évaluer ses résultats, il faut notamment attendre que les divers organes de directions soient constitués. Pour l’heure, nous avons interviewé Au Loong Yu, résidant à Hong Kong, auteur de nombreuses études la Chine et éditeur du site Borderless Movement.
Quel sens donner au congrès du PCC ?
Xi Jinping est secrétaire général du parti, président de l’État et de la commission militaire centrale (chef des armées). Il veut consolider son pouvoir, déjà considérable, à l’occasion du congrès. Ce que ce dernier illustre cependant, c’est une profonde régression vers ce que l’on peut appeler une « politique aristocratique ». Il y a moins de trois mois, le journal de l’école du PC l’a présenté comme le « noyau du centre du parti », parlant de ses « gènes rouges innés », de sa « lignée de sang rouge » (il est le fils d’un cadre historique du PCC, Xi Zhongxun).
De la période Mao jusqu’aux années 80, le PCC a toujours évité de donner l’impression que les enfants des dirigeants fondateurs usaient et abusaient de leurs liens familiaux pour obtenir des privilèges ; même si cela se savait, en règle générale, cela n’apparaissait pas dans la sphère publique. Quand c’était néanmoins le cas, le terme neutre, englobant, de gaoganzidi (“enfants de cadres de haut rang”) était utilisé, certainement pas la formule « lignée de sang rouge » !
Peu après le mouvement démocratique de 1989 et l’implosion de l’URSS, des dirigeants vieillissants du PCC ont conclu que s’ils voulaient éviter le sort du parti russe, ils devaient transmettre les rênes du pouvoir à leur progéniture. Au même moment, des « enfants de » ont commencé à s’échanger des documents appelant le PC à prendre directement possession des propriétés d’Etat. Tout cela se faisait en secret. Des outsiders, qui avaient pour la plupart fui à l’Ouest après la répression de 1989, ont utilisé le terme péjoratif de taizidang (princes héritiers). La presse a fini par se référer de façon élogieuse à la hongerdai (« deuxième génération rouge »), une notion restrictive qui pointe la lignée de sang : elle exclut pratiquement tous les cadres dont les parents ne sont pas vieux. Cette formule a surtout été instrumentalisée par Bo Xilai, ancien chef de la région de Chongqing, dont les ambitions étaient contrecarrées et qui est « tombé » en 2012.
Les proches de Xi Jinping ont repris le thème de la « deuxième génération », mais en le modifiant, utilisant notamment le terme de « lignée de sang rouge ». Depuis trente ans, les membres de cette « génération » ont accumulé un immense pouvoir politique et économique ; ils veulent maintenant « sécuriser » leurs positions. Ils s’opposent entre eux sur des questions d’orientation comprenant des tenants du libéralisme, des nationalistes « durs », et même des fascistes ; mais pour celles et ceux qui sont politiquement actifs, ils s’accordent pour user pleinement de la référence à leurs lignées. C’est ce que Xi fait sans restriction pour consolider sa position de « noyau » du parti.
Le PCC ne parle plus, comme par le passé, de la « séparation du parti d’avec le gouvernement », de la « nécessité de réformes politiques », du principe de « direction collégiale », de la « démocratie comme une valeur universelle », de « faire profil bas » en matière de politique étrangère. Le changement de langage officiel exprime une rupture de ligne. Xi proclame l’ascendance de la « deuxième génération rouge » et son mépris de la démocratie « à l’occidentale » ou de la « direction collective ». C’est une régression radicale vers l’aristocratie [noblesse].
Cependant, la chute de Bo Xilai ne montre-t-elle pas que cette génération est traversé de violents conflits ?
Certes. Nous sommes arrivés à un point intéressant de cette régression. Les luttes politiques en cours se déploient à deux niveaux. En premier lieu, la « deuxième génération rouge » cherche à voler encore plus de pouvoir aux bureaucrates dont les parents ne sont pas de vieux cadres dirigeants. En second lieu, s’ils veulent pour la plupart plus de pouvoir, Xi veut le pouvoir absolu – d’où les tensions. Comme l’illustre l’histoire de la Chine impériale, le pouvoir absolu de l’empereur s’oppose nécessairement au pouvoir des nobles. L’autocratie absolue entre en conflit avec l’aristocratie. La solution finale pour l’empereur s’approchait de la destruction totale de la noblesse comme classe et c’est ce qui a surtout différentié la trajectoire de la Chine impériale des expériences européennes.
Si Xi est aussi âpre au gain, c’est qu’il est parti d’une position de faiblesse, mais a su profiter des luttes de cliques entre ses prédécesseurs – et a pu envoyer en prison un membre du comité permanent et trois membres du bureau politique qui lui étaient hostiles. Pour la première fois dans l’histoire du PCC, les candidats à la direction suprême ont été choisis par les paires de Xi et non par des « historiques » comme Deng Xiaoping ou Chen Yun. Certes, des hauts dirigeants en retraite comme Jiang Zemin et Hu Jintao ont eu leur mot à dire, mais leur autorité n’égale pas celle d’un Deng ou d’un Chen !
Xi est un politicien capable ; mais pour rester au pouvoir au-delà de son terme, si l’on en croit les rumeurs, il doit en permanence neutraliser quiconque le défi, sinon l’aristocratie s’opposera à son autocratie. Il doit évidemment user de la carotte et pas seulement du bâton. Les campagnes anticorruptions qu’il lance frappent surtout des bureaucrates d’origine humble, rarement des membres de la « deuxième génération ». Cela ressemble bien à un deal de facto.
Combien de fractions opèrent au sein du PCC ?
Je me demande si le terme de « cliques » n’est pas, ici, plus approprié que « fractions ». On évoque la fraction de la Ligue des jeunesses communistes liée à Hu Jintao et la fraction de Shanghai de Jiang Zemin. Il n’est pas évident qu’il y ait là des divergences politiques substantielles. L’ancien Premier ministre Wen Jiabao (d’origine modeste) n’apprécie guère la politique de la « lignée rouge sang » et a parlé des « droits humains universels ». De façon générale, la fracture au sein de la bureaucratie avec les cadres d’origine « humble » apparaît plus nettement ; beaucoup d’entre elles et eux sont issus de la Ligue des jeunesses communistes (ce fut le cas d’Hu Jintao), qui est conçue comme une école de cadres. Xi s’est attaqué à elle, l’accusant d’incompétence et réduisant son budget…
En cas de crise sociale et politique, cette fracture au sein de la bureaucratie entre les « sangs rouges » et les autres peut devenir vive et avoir d’importantes implications.
Comment tout cela peut-il affecter l’avenir du PCC ?
Même si Xi réussit à prolonger son pouvoir au-delà des dix ans usuels, il fera face à un problème insoluble. La bureaucratie pille une part toujours plus grande la richesse produite dans le pays dont le développement dépend en conséquence de l’endettement. Cela débouchera sur une crise. Or, Xi ne bénéficie pas d’une légitimité lui permettant d’assoir une dictature à vie en Chine.
Xi ne peut pas devenir un empereur sans couronne. Il n’y aura pas de paix éternelle au sein du PCC ; même un éventuel compromis ne sera que passager. Il n’existe pas de mécanisme éprouvé de transmission du pouvoir assurant une stabilité durable. Le parti prône la modernisation, mais la bureaucratie reste empreinte de culture médiévale et stalinienne. Des pratiques modernes ont certes été importées, il ne faut pas l’ignorer, mais elles semblent avoir été intégrées aux pratiques anciennes, sans les remplacer. C’est une tendance régressive que Xi renforce. La question de la succession ouvrira la possibilité d’une crise – et la crise de régime pourra exploser ailleurs.
Des forces centrifuges sont à l’œuvre au sein du PCC, comme en témoigne l’envoi à l’étranger par des cadres de leurs de familles et de leurs biens. La population chinoise se transforme rapidement, s’urbanisant et se modernisant bien plus que les sommets bureaucratiques. Le conflit entre la Chine d’avant et la Chine de demain rebondira dans la période à venir.
Propos recueillis par Pierre Rousset