Entretien. À l’occasion des 75 ans de la Nakba, nous avons rencontré fin avril Imen, animatrice de la campagne BDS (Boycott, désinvestissement, sanctions) en France, qui revient sur la notion d’apartheid et la solidarité concrète avec le peuple palestinien.
Peux-tu revenir sur ce qu’est BDS ?
C’est une campagne lancée par plus de 170 associations de la société civile palestinienne en 2005 autour d’un appel qui s’inspire de la lutte victorieuse contre l’apartheid en Afrique du Sud. C’est une campagne antiraciste non-violente. La référence à l’Afrique du Sud est très importante. Cet appel a trois objectifs et revendications. La première, c’est la fin de l’occupation et de la colonisation des territoires palestiniens. La deuxième, c’est l’égalité pour les citoyenEs palestiniens d’Israël et la troisième, c’est le droit au retour des réfugiéEs palestiniens. Ces trois revendications s’inscrivent dans le droit international. Il existe de nombreuses résolutions là-dessus. On mène cette campagne en France depuis 2009. Elle existe dans de nombreux pays dans le monde, dans les pays arabes bien sûr, mais aussi aux États-Unis, en Europe, en Corée du Sud, au Japon, en Malaisie...
BDS qualifie clairement Israël d’État d’apartheid. Sur quelles bases en arrivez-vous à cette conclusion ?
L’apartheid, ce n’est pas une opinion politique. Il s’agit d’une définition juridique. Et ce n’est pas BDS qui a qualifié la situation particulièrement d’apartheid. Nous, en 2010, on s’appuie sur l’expertise et l’expérience des Palestiniennes et des Palestiniens qui documentent leur situation. Il y a eu trois rapports très importants, d’abord celui de l’ONG israélienne B’Tselem en janvier 2021 qui documente cette réalité sociétale en Israël-Palestine, « un apartheid de la Méditerranée au Jourdain ». Avec ce rapport, il y a une prise de conscience large que le problème dépasse la question des colonies israéliennes. C’est tout un système de la Méditerranée au Jourdain qui est d’apartheid en fait. Ensuite, en avril 2021, un rapport d’Human Rights Watch documente de manière juridique en quoi Israël est un régime d’apartheid. Puis, celui dont on parle le plus est peut-être le plus attaqué. C’est le dernier rapport d’Amnesty International qui est sorti en février 2022, qui documente aussi cette situation d’apartheid. Ces trois rapports de différentes ONG font qu’il y a un très large consensus parmi les experts internationaux et parmi la société civile palestinienne pour documenter cette réalité d’apartheid. Donc ce n’est pas une vue de l’esprit, ce n’est pas une opinion politique, je le rappelle. C’est vraiment des faits documentés qui rencontrent la définition des Nations unies sur l’apartheid.
Dès qu’on prend position par rapport au peuple palestinien, du droit à se défendre, à retourner sur ses terres, à ne pas être exproprié, l’accusation d’antisémitisme tombe très vite…
L’un des fondements de la campagne BDS, c’est vraiment l’antiracisme, donc la lutte contre toutes formes de racisme et dont notamment l’antisémitisme. On est très clair là-dessus. Ce qu’il est important de rappeler, et ce n’est pas seulement une expression : il n’y a pas de paix sans justice pour que les peuples puissent se réconcilier. Comme en Afrique du Sud, il faut reconnaître ce qui s’est passé et cela veut dire passer par un processus où on prend en compte la réalité qui est celle d’un apartheid. De nombreux anticolonialistes israélienEs non seulement ont pris conscience de cette réalité d’apartheid, mais sont également à nos côtés, en solidarité aussi avec les PalestinienEs sur le terrain. Ils sont minoritaires, mais ils existent. Le fondement aussi de la campagne BDS, c’est de dire il ne doit pas y avoir de suprématie, de racisme, d’oppression pour quiconque, c’est une lutte pour l’égalité. Et donc nous, on a le droit international et la justice de notre côté.
Les PalestinienEs résistent sur le terrain, et la situation continue à se détériorer parce qu’il y a une impunité, parce que ni l’Union européenne ni la communauté internationale ne prennent leurs responsabilités. Et d’ailleurs, il y a un appel « UN Investigate Apartheid ». Il y a une demande très forte de la société civile palestinienne aux Nations unies pour qu’ils enquêtent. Ce n’est pas fait. Leurs revendications, c’est d’abord soutenir les efforts de l’ONU pour reconstituer le comité spécial de l’ONU contre l’apartheid afin d’enquêter sur le crime israélien, comme au temps de l’Afrique du Sud de l’apartheid ; enquêter et poursuivre les individus et les entreprises responsables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité dans le cadre du régime israélien d’apartheid illégal ; interdire le commerce des armes et la coopération militaro-sécuritaire avec Israël ; suspendre les accords commerciaux et de coopération avec Israël ; interdire le commerce avec les colonies illégales et mettre fin aux activités des entreprises avec les colonies illégales israéliennes. Nous sommes tout à fait en appui à cette demande avec les différentes mobilisations qu’on fait sur le terrain et à travers les cibles qu’on mène pour arrêter que des entreprises françaises tirent profit de l’oppression du peuple palestinien.
L’évolution de la Palestine, c’est une détérioration et une dégradation qui ne s’arrête jamais depuis 75 ans. Est-ce que, au sein d’Israël, on a de plus en plus de dénonciation de ce fait ?
L’extrême droite est très forte aujourd’hui en Israël. Les colons ont pris le pouvoir. Le gouvernement actuel est le plus à droite de l’histoire d’Israël : racisme décomplexé, déclarations ouvertement homophobes, antipalestiniennes appelant à l’épuration ethnique. Ils revendiquent vraiment le fascisme et de manière très ouverte. Il y a une minorité d’anticolonialistes sur qui on s’appuie. Le contexte vraiment fascisant et les grandes manifestations qui ont eu lieu, avaient pour objectif de préserver la démocratie libérale israélienne. Il y a eu très peu de revendications pour les PalestinienEs dans ces manifestations.
D’un autre côté, on voit des événements LGBTI à Tel-Aviv. Ne serait-ce pas un pinkwashing ?
C’est une situation de pinkwashing. Le livre de Jean Stern, Mirage gay à Tel-Aviv le documente très bien.
Est-ce que vos prises de position politiques très fermes entraînent une certaine forme de répression ?
En 2009-2010, dès le lancement de la campagne BDS, il y a eu tout de suite des accusations en antisémitisme, des procès. Ça s’est enchaîné pendant plus de dix ans. Il y a eu tentative d’intimidation, mais ça n’a pas fonctionné. Il y a eu des procès, notamment à Mulhouse. En juin 2020, la Cour européenne des droits de l’homme a reconnu la liberté d’expression des militantEs de la campagne BDS par un arrêt très clair qui affirme qu’appeler au boycott des produits israéliens relève de la liberté d’expression. C’est un droit fondamental. Oui, boycotter le régime d’apartheid israélien, c’est légal. Et oui, on est déterminé à aller jusqu’à ce que les États et le gouvernement français prennent leurs responsabilités et agissent en conséquence de la situation réelle qui est celle actuellement terrible sur le terrain.
Propos recueillis par Diego Moustaki