Un des événements marquants de la campagne présidentielle 2012 a été la campagne du Front de Gauche et de Jean-Luc Mélenchon : des dizaines de milliers de participants aux meetings, une place importante dans le débat politique et 11,1O % des suffrages, un score notable. Si à cette étape, le Front de gauche ne s’apprête pas à participer au gouvernement, sa politique à l’égard d’un gouvernement de gauche qui entend appliquer la rigueur reste en suspens. Sera-t-il prêt à s’y opposer ? C’est ce que lui propose le NPA, ainsi qu’au reste de la gauche radicale.
Les dirigeants du Front de gauche espéraient des résultats au-delà des 15 % et, surtout, une troisième place devant Marine Le Pen. Mais, passant de 5 % des voix qui leur étaient accordées par les sondages en début de campagne à 11%, ils ont réussi à dominer l’espace de « la gauche radicale » et à marginaliser la gauche révolutionnaire.
Une réelle dynamique
Au cours de cette campagne, on a assisté à la reconstruction d’une force politique réformiste de gauche, à influence de masse. Elle résulte de plusieurs facteurs :
a) Une situation, marquée par des défaites sociales, qui favorise l’aspiration et l’illusion que « ce qui est bloqué par la lutte peut se débloquer par l’élection ».
b) La remobilisation des forces du parti communiste (de même qu’au Portugal, en Espagne ou en Grèce), s’appuyant sur le fait qu’il n’a pas siégé au gouvernement depuis quelques années et a préservé des positions d’appareil dans les institutions et les organisations syndicales.
c) Une bonne campagne du candidat Mélenchon. Défendant des objectifs radicaux, tels que les 1 700 euros pour le salaire minimum ou la défense du service public, il a renoué dans ses discours avec l’imaginaire révolutionnaire des textes de Victor Hugo et avec les heures glorieuses du mouvement ouvrier. Cette alchimie a entraîné une dynamique politique au-delà des partis du Front de gauche. Campagne d’autant plus remarquée qu’elle venait en contrepoint de celle de François Hollande, particulièrement terne (c’est un euphémisme).
Ambiguïtés et contradictions
Cette bonne campagne de Mélenchon a pourtant été lourde d’ambiguïtés et de contradictions, qui ont justifié une campagne indépendante du NPA. Le NPA et le Front de gauche partagent des positions communes sur les revendications sociales (salaires, emploi, défense du service public) et démocratiques (proportionnelle ou défense des droits des immigrés). Les deux organisations se sont retrouvées pour s’opposer au Front national. En revanche, d’autres points les divisent profondément : sur le nucléaire par exemple, un désaccord majeur sépare le NPA de la direction du PCF, que de nombreux liens attachent à l’industrie nucléaire française.
Nous partageons des objectifs communs et la dynamique autour de la campagne du Front de gauche ouvre de nouvelles possibilités politiques pour leur réalisation. Pourtant, sitôt qu’il s’agit d’engager une lutte sérieuse et d’obtenir la mise en œuvre de nos revendications, la direction du PCF et Jean-Luc Mélenchon s’évertuent à contourner la difficulté, à refuser la confrontation avec le pouvoir des capitalistes. Ils dénoncent la finance, pas la propriété capitaliste. Ils exigent un pôle bancaire public mais refusent l’expropriation des banques et leur nationalisation sous contrôle social, préférant laisser agir la concurrence entre banques privées et secteur public. Ils dénoncent le scandale de la dette mais refusent son annulation. Jean-Luc Mélenchon propose un remboursement de cette dette sur plusieurs années, en équilibrant les sacrifices entre les capitalistes et les classes populaires. Là encore, il faut être conséquent. Si nous participons à une campagne pour un audit citoyen, c’est pour préparer le terrain à l’annulation de la dette, et non pas son remboursement progressif. Le dirigeant du Front de gauche évoque la « planification écologique », mais sans indiquer les moyens stratégiques nécessaires à cette planification, en particulier la socialisation des secteurs clés de l’économie : transports, énergie.
Sur le plan politique et historique, l’orientation réformiste de la direction du Front de gauche s’accompagne des positions « républicaines » de Mélenchon. Non pas celle des communards, qui opposaient la république sociale aux classes bourgeoises, mais celle des républicains qui fusionnent dans leur défense de la république les mots « nation », « république » et « état ». Cette conception subordonne la « révolution citoyenne » ou « révolution par les urnes » au respect des institutions de l’état des classes dominantes. Mélenchon évoque volontiers l’impérialisme américain, mais pas l’impérialisme français. Lors de la campagne présidentielle, il réaffirmait dans les Cahiers de la revue de la Défense nationale qu’« en l’état actuel, la dissuasion nucléaire demeure l’élément essentiel de notre stratégie de protection ».
Loin d’être des questions de détail, ces conceptions sont des pièces maîtresses de la politique de Jean-Luc. Mélenchon qui fera tout pour canaliser, subordonner, rendre compatibles les mouvements de masse avec les institutions de la répu-blique. Ces questions deviennent même décisives lorsqu’il s’agit de stratégie, ou de délimiter les contours d’un parti ou d’un mouvement politique.
Quelle politique vis-à-vis du Front de gauche ?
Pour déterminer une politique à l’égard du Front de gauche, il faut prendre en compte l’ensemble de ces éléments : la dynamique, mais aussi le projet ; la mobilisation, mais aussi le programme politique d’ensemble ; le regain militant mais aussi la politique des dirigeants.
Des dizaines de milliers de militants, des centaines de milliers d’électeurs ont chargé d’un contenu radical, social, démocratique, leur vote ou leur participation aux initiatives du Front de gauche. Pour eux, il s’agit ainsi de rejeter l’austérité de droite mais aussi l’austérité de gauche en se mobilisant ensemble sur des revendications vitales, telles que les 1 700 euros, l’interdiction des licenciements, la défense des services publics, la titularisation des précaires dans la fonction publique, la défense des sans-papiers. Pour notre part, nous pensons qu’il faut aller plus loin que la seule unité d’action ponctuelle. Face à l’austérité que nous prépare un gouvernement Hollande, nous proposons au Front de gauche, ainsi qu’à d’autres (LO, les Alternatifs), la construction d’une opposition unitaire au gouvernement. Le NPA y est prêt. Et le Front de gauche ? Cette bataille est décisive pour ne pas laisser au Front national le drapeau de l’opposition. C’est ce qui doit nous conduire au dialogue, à l’action commune avec les militants et les sympathisants du Front de gauche.
Dans le même temps, il ne nous faut pas oublier que le Front de gauche est une construction politique, dirigée par le PCF et Mélenchon et non un simple front unique. Ce n’est pas un parti, mais c’est déjà un mouvement politique.
Cela ne signifie pas que tout est écrit. Il semble qu’à cette étape, les dirigeants du Front de gauche n’envisagent pas de participer au gouvernement. Se fixant pour but « la prise du pouvoir, de tout le pouvoir dans dix ans », Mélenchon écarte la participation à un gouvernement qu’il ne dirigerait pas. Les contraintes de la crise sont telles que le PCF semble choisir une formule de « soutien sans participation », déjà utilisée par le passé. Des tensions peuvent surgir entre la direction du PCF et Mélenchon. Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, a pour objectif de « faire élire une majorité de gauche à l’Assemblée nationale, avec le maximum de députés du Front de gauche » lors des élections législatives. Une majorité de gauche avec le PS ? Que feront les députés du FdG quand il faudra voter le budget du gouvernement de Hollande ? Ce que les conseillers régionaux du FdG font déjà, dans presque toutes les régions, en s’alignant sur le PS ? Bien des questions restent ouvertes. Pour permettre des actions communes, elles exigeront de notre part une tactique politique appropriée.
Aucune des hypothèses envisagées à cette étape par le Front de Gauche ne remet en cause son projet réformiste. Du coup, à l’heure où des appels se font jour pour rejoindre le FdG, y compris au sein du NPA, nous pensons au contraire que le rassemblement des anticapitalistes ne peut dépendre des aléas tactiques des évolutions du FdG. Intégrer le Front de Gauche, c’est accepter la direction du PCF et de Mélenchon. Peser sur la scène politique, stimuler l’action unitaire et garder toutes les possibilités de critique, voilà qui exige un NPA indépendant du Front de Gauche. Le rassemblement indépendant des anticapitalistes ne relève pas de choix tactiques. Il s’agit d’une option stratégique qui maintient la continuité historique du courant révolutionnaire. Un double défi se pose désormais au NPA : relancer sa construction et déployer une politique unitaire, en particulier vis-à-vis du Front de Gauche.
François Sabado