Publié le Samedi 14 avril 2012 à 12h36.

La campagne aux portes des usines

 

La visite des usines est devenue une étape incontournable pour tous les candidats à l’élection présidentielle. Cette situation marque un retour de la question sociale et pose la question de la représentation de tous les exploités.

j’usqu’aux terribles événements de Toulouse et de Montauban, les usines et les ouvrierEs étaient les invitéEs, quelque peu surprise, de cette campagne présidentielle. Les dernières campagnes avaient en grande partie été polarisées par la situation dans les banlieues, l’immigration et l’insécurité, sur fond d’amalgames tout à fait nauséabonds. A contrario, ces dernières semaines, tous les candidats s’obligent à faire le tour des entreprises pour y rencontrer les travailleurEs en lutte le plus souvent pour le maintien de l’emploi et/ou contre la fermeture de l’entreprise.

La bataille pour l’électorat « ouvrier » est d’autant plus compliquée que deux de ses caractéristiques essentielles sont l’abstention et son aspect volatil. Au-delà de l’aspect numérique, c’est le « retour » de la visibilité sociale et politique de la classe ouvrière qui est ainsi reconnu.

Le retour de la question sociale

Les mobilisations de ces derniers mois et plus particulièrement de ces dernières semaines sont exceptionnelles à l’approche d’échéances électorales. C’est parce que les luttes autour de la question de l’emploi sont les plus nombreuses et les plus visibles qu’elles sollicitent l’attention des « politiques ». Elles posent en effet deux questions essentielles. D’une part, les choix de production, c’est-à-dire la satisfaction des besoins sociaux, écologiquement supportables, prenant en compte une organisation de la production compatible avec la santé et la sécurité au travail, le tout démocratiquement déterminé, contre la dictature des marchés et la loi du profit1. D’autre part, la propriété des moyens de production, d’échange, de gestion, car dans chaque lutte pour l’emploi progressent les idées de la légitimité de l’appartenance de ces outils à ceux qui produisent toutes les richesses et leur capacité à autogérer l’ensemble de ces activités.

En effet, la classe ouvrière était largement devenue invisible sous l’effet de trois évolutions intimement liées : la restructuration de la production, la progression des offensives patronales et la perte de légitimité des alternatives « ouvrières » (socialisme et communisme).

Aux divisions traditionnelles (hommes/femmes ; Français/immigrés) se sont ajoutées à partir de la fin des années 1960, la vaste entreprise de restructuration de l’appareil productif qui a permis au patronat de morceler le salariat plus avant. Parallèlement, les gouvernements successifs ont légiféré sur de nouveaux statuts (CDD, intérim, auto-entrepreneurs...) qui ont accru l’atomisation du salariat. Cette évolution correspond à la longue série des mobilisations sans victoires, voire avec des défaites, inscrites dans le cadre de la progression régulière et systémique du chômage. Le tout chapeauté par une victoire idéologique fondée sur le sinistre bilan du « socialisme réellement existant », accélérant un affaissement des organisations « ouvrières » qui tout en assurant mal la défense immédiate des intérêts de la « classe » maintenaient des références politiques alternatives au capitalisme.

Quelle représentation des exploité.Es ?

Pourtant, les ouvrierEs au sens strict forment près du quart de la population active, un homme sur trois ayant un emploi est ouvrier. Ces ouvrierEs partagent la même place dans l’organisation de la production et les mêmes conditions d’existence que les employéEs, majoritairement constituées de femmes cantonnées elles aussi à des métiers d’exécution dans le commerce, la santé, le système éducatif, les administrations. Une travailleuse sur deux est une employée. Ces salariéEs forment le vaste ensemble que l’on devrait nommer « prolétariat », représentant 55 % de la population active.

L’invisibilité du prolétariat est le résultat de l’affaiblissement de ses capacités de lutte, de présence et de mobilisation des organisations syndicales. Cela s’est aggravé avec l’effondrement de sa principale représentation politique, matérialisé par le passage du PCF aux élections présidentielles des 21 % de Duclos en 1969 aux moins de 2 % de Marie-Georges Buffet. C’est ainsi qu’on en est arrivé à une quasi-absence de présence « ouvrière » dans l’ensemble des institutions – prétendument représentatives et démocratiques – de la république. Aussi insupportable que la faible présence des femmes ou des citoyenNEs issues de l’immigration. L’ensemble de la représentation institutionnelle est ainsi accaparé par les catégories sociales détentrices des pouvoirs économiques, médiatiques et productrices de l’idéologie dominante. Cette mise à l’écart violente explique pour partie les violences sociales récurrentes de ces dernières années : révoltes des « banlieues », violence dans certaines luttes ouvrières (New Fabris, Continental) par lesquelles les exploitéEs lancent ce défi : « puisque nous ne sommes représentéEs nulle part, puisque personne ne nous écoute, faisons-nous entendre ! »

Une alternative bâtie dans les urnes ou dans les luttes ?

Si les prétentions de Sarkozy, Bayrou ou Hollande à représenter ces « classes dangereuses » ne sont qu’enfumage, les projets des autres candidats sont, sur cette question, plus significatifs. Pour Le Pen, il s’agit d’une tentative de retournement de la violence sociale contre ceux qui la subissent déjà : plus de flics, plus d’expulsions, moins de syndicalisme, moins de grèves, refus de prise en charge de l’avortement, etc. Voie redoutable qui se construit pour beaucoup sur les renoncements de ceux qui sont censés défendre les intérêts des oppriméEs. Les renoncements de l’après-1981 ont largement construit l’idée que « la gauche et la droite, c’est pareil » et cautionné ainsi les solutions simplistes et radicales de l’extrême droite.

Le projet politique du Front de Gauche est, par construction même de ce « front », complexe. Dans un contexte de détérioration du rapport de forces au détriment de la classe « ouvrière », le développement d’un courant réformiste est le reflet de cette détérioration : Mélenchon (à ce jour) siphonne les voix qui s’étaient portées précédemment sur le PCF, LO, la LCR/NPA. Dans un contexte de montée des luttes et des mobilisations, ce développement en serait le reflet positif et provisoire. La situation d’aujourd’hui est un mélange des deux : il existe des luttes ouvrières, des résistances mais elles sont faibles, avec des difficultés à construire un rapport de forces gagnant et des perspectives politiques à la hauteur de la situation. Cela explique que l’on retrouve dans ce front les membres de l’appareil syndical CGT qui appelaient au référendum en pleine montée de la mobilisation sur les retraites et des militants combatifs qui cherchent un débouché politique comme alternative au blocage et aux échecs des mobilisations sociales.

Lutte ouvrière, de son côté, continue de défendre et de mettre en œuvre une orientation fondée sur un pessimisme social et politique. Cela explique tout à la fois qu’ils aient trouvé « refuge » dans les institutions municipales en passant des accords avec les différents courants de la gauche institutionnelle, comme le fait qu’ils présentent aujourd’hui « une candidate communiste » dont la campagne peut paraître par moments atemporelle.

Le projet du NPA s’inscrit dans la logique de (re)construction du mouvement ouvrier, en rupture avec les projets précédents de la LCR, centrés sur une recomposition. L’enthousiasme né des luttes de 1995 et du « Non » au référendum n’a pas suffi à transformer le rapport de forces dans le cadre des difficultés pointées existantes. Mais les difficultés rencontrées n’invalident pas un projet qui doit continuer à s’appuyer sur deux piliers : une implantation solide dans la classe ouvrière et une orientation politique indépendante de tous les réformismes, marquant une défiance permanente par rapport à l’ensemble des institutions de l’État bourgeois.

C’est bien la voie choisie par la présentation d’un ouvrier candidat, non pas pour sa dimension sociologique, mais pour le projet politique dont est porteuse notre classe. Sous sa double dimension : productrice des richesses, elle a toute la légitimité pour en prendre collectivement possession ; sa capacité de mobilisation, d’auto-organisation en fait la candidate à l’appropriation collective du pouvoir politique, de l’autogestion de l’ensemble de la société. Si, comme disait Lénine, « chaque cuisinière doit apprendre à diriger l’État », pourquoi un travailleur de l’automobile ne serait-il pas le représentant de ce projet ?

Robert Pelletier

  1. Sur cette question, voir l’article de Christine Poupin, « Produire autrement », Tout est à nous ! la revue, n° 30, mars 2012