Publié le Mercredi 20 septembre 2017 à 14h57.

Le Front National à la recherche d'une ligne politique

Déstabilisé par sa défaite à l’élection présidentielle, analysée par Bruno Mégret comme « l’échec d’une stratégie » et qualifiée par Jean-Yves Le Gallou de « fiasco intégral », le Front national voit les difficultés s’amonceler. Le vaisseau frontiste tangue et les couteaux sortent du placard.

Marine Le Pen semble affaiblie : cacophonie sur la question de l’Euro, retrait de Marion Maréchal Le Pen de la vie politique, ratage de son face à face télévisé avec Emmanuel Macron (Marine Le Pen semblait bien loin du slogan « La France apaisée »), fronde contre Florian Philippot et son équipe accusés de sectarisme et jugés responsable du « virage à gauche » du parti, vie interne sclérosée, remise en cause de l’organisation, manque de démocratie1.

Depuis sa création, la culture du débat et de la démocratie a toujours été remplacée par l’obéissance au chef avec exclusion des opposants 2. Marine Le Pen a repris l’autocratisme de son père. La question « de la profonde transformation », promise par la présidente, est renvoyée au prochain congrès qui devrait se tenir en 2018.

La crise apparaît complexe à plusieurs niveaux

Le Front national est confronté à une crise complexe qui touche tout à la fois :

- le programme économique et en particulier la question de l’Euro chère à Florian Philippot, pour qui « sans monnaie nationale, pas de patriotisme économique, pas de contrôle possible sur notre démocratie ». Certains dirigeants, dont Gilbert Collard, considèrent qu’il faut prendre acte du rejet des Français concernant la sortie de l’Euro et que « pour nous, la question de l’Euro est terminée, le peuple a fait son référendum dimanche dernier » (second tour de l’élection présidentielle),

- la formation d’un front anti Philippot,

- le fonctionnement du parti,

- la remise en cause du « marinisme »,

- aux affaires judiciaires (attachés parlementaires à Strasbourg, accusation de surfacturation des campagnes électorales via des sociétés gérées par des anciens du GUD, groupuscule fasciste, et proches de Marine Le Pen (Axel Loustau, Frédéric Chatillon),

- et enfin aux problèmes financiers qui nécessitent le lancement d’un « emprunt patriotique ».

Tout cela compose un cocktail qui peut rapidement devenir explosif.

Le cas Philippot, quand le numéro 2 veut devenir le calife

Assez impopulaire, au sein du Front national, sa ligne est de plus en plus contestée, car considérée comme « gauchisante ». Frédéric Pichon (vice-président du SIEL, groupuscule souverainiste) déclare sur le site Boulevard Voltaire qu’ « il est temps d’en finir avec la ligne Philippot ».

Florian Philippot, qui peut compter sur sa garde rapprochée, souffle sur les braises. Il menace de quitter le parti si la question de la monnaie unique passe aux oubliettes. Pour Nicolas Bay, secrétaire général du Fn, il s’agit « d’un chantage mal venu ».

Sans prévenir les instances, Philippot a lancé sa propre structure « « Patriotes », présentée comme une boite à idées pour refonder le parti. Certains frontistes, dont Richard Sulzer (économiste du parti) considèrent que par cette action « il s’est placé de lui-même hors du parti ». Pascal Gannat (ancien président du groupe frontiste au Conseil régional des Pays de Loire) enfonce le clou : « comment celui qui a initié la machine à perdre peut-il créer une boite à idées pour gagner après, il aurait fallu s’y prendre avant… Le Front national doit être un parti de droite qui combat la gauche ».

Jean-Yves Le Gallou (ex dirigeant du Fn et du Mnr de Bruno Mégret) se demande « ce qui sépare Florian Philippot de NKM et de Bruno Le Maire ».

Au cours de son histoire, le Front national a montré que le numéro 2 est dans les faits placé sur un siège éjectable. Bruno Mégret, Carl Lang, Bruno Gollnisch en ont fait les frais avant lui. Florian Philippot pourrait bien se voir remercier. Cependant, la situation semble plus compliquée qu’il n’y parait. En effet, la ligne Philippot a porté ses fruits dans le Nord et il parait difficile de convaincre un électorat du bien fondé d’un retour à la ligne prônant un libéralisme économique, comme à l’époque où Jean-Marie Le Pen se prenait pour le Reagan français…

Florian Philippot défend une ligne « sociale-souverainiste » (suivie depuis 2011, par Marine Le Pen) et s’oppose aux tenants d’un retour à une ligne identitaire. D’après Sylvie Montel, vice-présidente des « Patriotes » et qui a été sanctionnée par les instances frontistes, il faut arrêter le discours « anxiogène » sur l’immigration. Cette dernière a sans doute oublié qu’en 1995, à la suite de Jean-Marie Le Pen, elle défendait « l’évidente inégalité des races ».

Pour certains philippotistes, tel Julien Acard (conseiller régional Bourgogne-Franche-Comté, dernièrement suspendu du Fn) « le Front national est mort. Il faut le débrancher » et le transformer en « un parti dédié à la défense des classes moyennes et populaires… et revenir à une monnaie nationale ».

Marion Maréchal-Le Pen prend sa retraite

Pour le mouvement l’annonce faite par Marion Maréchal-Le Pen de son retrait de la vie politique est un coup dur et représente la perte d’un poids lourd3 .

Très populaire dans le parti, élue en tête des candidats au Comité central, elle représentait la ligne « libérale-conservatrice ». Opposée au « Ni Droite - Ni Gauche » prôné par le tandem Marine Le Pen - Florian Philippot, elle a défendu une ligne clairement ancrée à droite.

Elle s’est d’abord adressée à la presse locale, puis à TVLibertés (webTV dirigée par des ex frontistes, membres du parti de la France de Carl Lang, anti marinistes favorables à Jean-Marie le Pen) et elle a accordé un long entretien à l’hebdomadaire de « la droite décomplexée », Valeurs actuelles, titré « le testament politique de Marion Maréchal-Le Pen ».

Elle a toujours marché sur deux jambes : enracinement local et ancrage à droite. Derrière des difficultés personnelles, son départ traduit aussi une opposition à la ligne politique actuelle.

Elle a toujours mis en avant la question identitaire, déclarant que « l’identité représente l’enjeu essentiel de la civilisation ». La question « est de savoir comment conserver, vivifier, transmettre ce ciment social ». Pour elle, la question identitaire permet de transcender les clivages et relie les deux électorats conservateur et populaire. D’autre part le libéralisme économique doit représenter le modèle économique à défendre en régulant la mondialisation. Une position qui est en opposition totale avec la ligne pro étatique actuelle du mouvement.

Autre question clivante, comment arriver à dépasser le fameux « plafond de verre » qui bloque la progression du parti ? Marion Maréchal se déclare favorable à une « Union patriotique » qui serait « plus une réunion des hommes que des partis ». Il existe, pour elle, une « zone blanche » dans laquelle se trouvent certains courants conservateurs présents chez Les Républicains, chez Dupont-Aignan (l’éphémère potentiel Premier Ministre en cas de victoire de Marine Le Pen), Philippe de Villiers, des élus et des cadres de droite et le Front national. Dans cette « zone blanche » il y a une recomposition à opérer et Laurent Wauquiez, membre des Républicains, soutien de La Manif pour Tous, pourrait être un interlocuteur potentiel. Elle estime que « la Droite a été depuis des années sous le poids psychologique de la Gauche, le poids du Front national la force à se repositionner » et ajoute que « face aux dirigeants politiques actuels qui ne se reconnaissent plus à l’échelle nationale mais à l’échelle mondiale et dont Emmanuel Macron semble actuellement le meilleur représentant (ultra fédérateur européen soumis à l’Allemagne, représentant d’une politique immigrationniste), seuls les Patriotes défendent l’enracinement ».

Robert Ménard (maire de Béziers) qui regrette le départ de Marion Maréchal-Le Pen chante le même refrain et veut un renouvellement du Front national de la cave au grenier ciblant ainsi la présidente

Le Front national arrive-t-il au bout du Front national ? Marine Le Pen saura-t-elle le faire évoluer ?

La crise est à la fois profonde et paradoxale. En effet, avec presque 11 millions de voix au deuxième tour de l’élection présidentielle, le Front national a pulvérisé tous les records. Cependant, un sentiment de ressenti s’est développé puisque sa candidate a raté la marche de l’Élysée. Ce ressenti, d’après un cadre du parti « c’est que nous avons échoué .Et c’est le ressenti qui compte ».

Un certain nombre de circonscriptions semblaient gagnables lors des législatives. Cependant, vu l’impact de la campagne présidentielle, les dirigeants avaient revu les estimations à la baisse et tablaient sur une quinzaine de députés dont Marine Le Pen ce qui aurait rendu possible la formation d’un groupe parlementaire. Pour certains dirigeants, il fallait « garder le discours lisse » et « régler les questions après les législatives ». Nicolas Bay commençait alors à développer un discours plus « pro-business » et moins anxiogène sur l’Europe.

Lors des deux scrutins (présidentiel et législatif) le Front national est passé à côté de ses objectifs. Plusieurs raisons peuvent être avancées. Les divisions internes et la campagne ratée, les législatives confirmant la présidentielle. Le Front national a toujours fait moins bien aux législatives qu’à la présidentielle (en 2012 :18% à la présidentielle et 14% aux législatives). Le mode de scrutin continue de bloquer le Front national qui ne parvient pas à nouer des alliances pour pouvoir passer des accords au second tour et possède donc très peu de réserve de voix. Cependant, il faut noter que le nombre de députés frontistes passe de 2 à 8 (dont une apparentée : Emmanuelle Ménard), et ce sans aucune triangulaire.

Pour tenter de sortir de l’impasse, Marine Le Pen a réuni les 21 et 22 juillet 2017 un séminaire dit de « réconciliation », car elle n’entend pas « laisser le chaos s’installer » dans son parti. Un séminaire qui selon Jean-Lin Lacapelle (responsable des fédérations) s’est tenu sous « le sceau de la confidentialité ». 

Florian Philippot a dégainé le premier en publiant une tribune dans Le Figaro le 17 juillet dans laquelle il réaffirme sa ligne et particulièrement la question de la monnaie unique : « des voix s’élèvent au sein de notre mouvement pour restreindre l’essentiel de nos prises de parole sur quelques sujets dits « fondamentaux » à savoir l’immigration, l’insécurité et l’islamisme. Ce serait une erreur fatale ».

En face, Nicolas Bay se déclare favorable au retour du triptyque « insécurité, immigration, identité », véritable fond de commerce électoral du parti. Il faut mener « un combat frontal face à l’idéologie globale, libérale-libertaire » et retourner à la ligne identitaire, anti immigré, de dénonciation de l’islam, de défense de la famille, du libéralisme économique et en défense des PME.

Hervé Lépineau (proche de Marion Maréchal-Le Pen) tire le bilan de l’échec du mouvement « le boulevard électoral était sur notre droite et les coups de volant n’ont eu de cesse de nous conduire vers la gauche pour finir dans une impasse ».

Pour une partie des cadres, l’échec du Front national réside, entre autre, « dans l’incapacité à avoir fait la démonstration que l’élection présidentielle revêtait effectivement une dimension civilisationnelle ».

D’après Jean Messiha (économiste du Front national) « il est faux de prétendre que l’électorat populaire vote Fn pour le social. Le Fn n’a pas le monopole sur ce point. Il vote pour l’identité ». Les faits semblent lui donner raison, pour 95% des sympathisants du Fn, il y a trop d’étrangers en France, 94% ne se sentent plus chez eux et pour 91% les immigrés ne font en général pas d’effort pour s’intégrer en France. L’électorat frontiste apparait comme soudé sur des thèmes sur lesquels le Front national est jugé crédible. Certains cadres en déduisent que ces sujets sont la préoccupation centrale des Français. Le Front national doit donc changer son fusil d’épaule.

Frédéric Pichon caractérise le discours sur l’Euro de Florian Philippot comme « anxiogène (…) l’élément fédérateur c’est la défense de l’identité, le refus de l’immigration et de l’islamisation, pas la sortie de l’Euro ». Quant à Jean-Lin Lacapelle, dans l’état actuel des choses « la souveraineté monétaire n’est pas une priorité. La première chose à faire, c’est sortir de Schengen pour retrouver nos frontières ». La question de la monnaie unique est ainsi renvoyée en fin de quinquennat.

A la sortie du séminaire, le Front national publie un communiqué dans lequel le parti insiste sur l’importance accordée à la souveraineté de la nation, qualifiée d’« objectif fondamental de notre mouvement politique ». Il faut « retrouver de manière successive et sur la durée d’un quinquennat nos différentes souverainetés en commençant prioritairement par la souveraineté territoriale et donc la maîtrise de nos frontières migratoires et commerciales ».

L’hebdomadaire Minute considère que ce séminaire n’a rien réglé, le Front national ayant fait « un pas en avant, un pas en arrière ». Cependant un tel discours peut rencontrer un certain écho chez une partie des Républicains et d’un électorat de droite que les accents étatistes gênent plus que le crédo xénophobe du Front national. D’autant plus que Laurent Wauquiez, prenant la tête des Républicains, pourrait être un candidat sérieux si l’on suit Jean-Marie Le Pen pour qui il représente « un danger réel de concurrence », car comme Nicolas Sarkozy, « il peut venir chasser sur nos terres…C’est le candidat le plus redoutable ».

Le parti se trouve face à trois scénarios

Le premier d’entre eux serait celui d’un Front national qui ne parvenant pas à se transformer significativement, déclinerait progressivement. Les autres forces de droite s’appuyant sur l’échec de Macron et la recomposition à droite suite à l’explosion des Républicains pourraient donner naissance à un arc de coalition dans lequel le Front national serait une composante et à une nouvelle force politique : une union des droites prônée par Marion Maréchal Le Pen.

Le second consiste à n’entreprendre qu’un simple lifting portant sur un changement de nom et quelques assouplissement au niveau fonctionnement, une « refondation » de façade ».

Enfin, dernier scénario, celui d’une refondation réussie débouchant, après consultation des adhérents, sur un mouvement profondément rénové, un « Nouveau Front » avec un projet politique axé sur les questions identitaires et abandonnant la ligne Philippot en réinvestissant la thématique du libéralisme économique avec un fonctionnement rénové, « démocratique ». C’est ce que semble traduire le discours de Brachay du 9 septembre 2017 : un parti développant une politique d’alliances et apparaissant crédible.

Marine Le Pen entend s’affirmer comme la cheffe et comme opposante numéro 1 à Macron (place occupée actuellement par Mélenchon) et faire du Front national la principale force d’opposition.

Comme en politique il ne faut jamais désespérer de rien, Jérôme Rivière (ex UMP rallié au Front national) veut apporter un peu de baume au cœur de Marine Le Pen et quelques conseils : « en 1988 Chirac se plante à la présidentielle alors qu’on le voyait gagnant…Tout le monde se dit qu’il n’arrivera jamais à rien. Mais en 1995, la droite gagne les élections législatives et là plus personne ne rigole. Chirac passe de con à champion parce qu’il a maintenu son autorité sur le parti tout en autorisant un débat parfois violent… Je dis à Marine Le Pen qu’on peut suivre le même chemin ».

Marine Le Pen arrivera-t-elle à faire prendre un nouveau tournant au Front national ? La ligne « libérale-identitaire » prônée par Nicolas Bay va-t-elle l’emporter sur la « ligne sociale-souverainiste » défendue par Florian Philippot ? Le Front national parviendra-t-il à fédérer autour de lui ?

Quelle que soit l’issue de la « refondation » et du prochain congrès, les idées xénophobes du Front national ont largement imprégné l’opinion publique et le danger demeure.

Jean-Paul Gautier, historienDe Le Pen à Le Pen, continuités et ruptures, Syllepse, 2015Les extrêmes droites en France de 1945 à nos jours, Syllepse, 2017.

 

  • 1. Aucune réunion du Comité central renouvelé depuis 2014, absence de réunion du Bureau politique depuis 2016. Il est vrai que Jean-Marie Le Pen en est membre de droit et les relations entre la présidente, l’équipe de direction et le « Président d’honneur » sont très tendues.
  • 2. Aucune réunion du Comité central renouvelé depuis 2014, absence de réunion du Bureau politique depuis 2016. Il est vrai que Jean-Marie Le Pen en est membre de droit et les relations entre la présidente, l’équipe de direction et le « Président d’honneur » sont très tendues.
  • 3. Désolé pour Jean-Yves Le Gallou qui réclamait le 19 janvier 2017 sur Boulevard Voltaire « Philippot au poteau, Marion au balcon ! ».