Quatre ans après le début de la crise, les banquiers n’ont jamais été aussi riches et puissants, les marchés financiers imposent aux États l’austérité, des réformes libérales, et même des gouvernements, comme en Grèce et en Italie. Alors comment combattre la dictature de la finance sur l’économie et la société ? Et surtout, est-ce possible ?
Toulon 2008 : Sarkozy l’antilibéral condamne les « dérives de la finance », non sans rappeler : « il n’y a pas de solution anticapitaliste à cette crise ». On connaît la suite.
Le Bourget 2012 : Hollande reprend le flambeau… de l’enfumage, en dénonçant à son tour le « monde de la finance » qui serait son adversaire. Comment prendre au sérieux les rodomontades de celui qui oppose la rigueur de gauche à l’austérité de droite, et veut payer la dette publique rubis sur ongle ?
Le combat contre la finance s’impose pourtant, tout en ne pouvant résumer toutes les réponses à la crise. Car celle-ci vient de loin, des contradictions profondes du capitalisme tout entier. Le capitalisme a comprimé les salaires… et son propre marché. Il a fallu compenser par l’endettement qui a éclaté dans la crise actuelle. Déclenchée à travers les turpitudes de la finance, cette crise est celle du capitalisme. Il y a donc une certaine filouterie à cibler spécifiquement le monde de la finance, en la distinguant avec soin d’un capitalisme vertueux et productif.
Cela dit, le capitalisme, dans son fonctionnement global, est devenu depuis trois décennies un capitalisme financier, où la finance libéralisée et mondialisée centralise et redistribue les profits en leur donnant la plus grande liberté de circulation possible. Elle permet au capital de mettre plus que jamais en concurrence les travailleurs, les entreprises et les systèmes sociaux. Les entreprises « financiarisées » sacrifient leur développement à long terme aux intérêts de leurs actionnaires. Les États baissent les impôts des riches pour ensuite leur emprunter. La finance est ainsi moins que jamais séparable de l’ensemble du système capitaliste, « financiarisé » à tous les étages.
L’affronter est donc un combat central pour les anticapitalistes… et à éviter pour ceux qui ne veulent pas remettre en cause le capitalisme, ses profits et ses fortunes ! Voilà pourquoi Hollande s’arrête si vite dans sa petite croisade contre la finance. Voilà pourquoi tous les gouvernements, malgré le constat patent que la finance capitaliste parasite, déstabilise et soumet à l’absurdité du court terme l’économie réelle, se sont obstinés à ne pas prendre la moindre mesure significative pour la brider.
Comment mettre fin à ce fonctionnement fou de l’économie ?
D’abord refuser de payer la dette publique illégitime aux financiers et aux fortunes qui s’en engraissent. Une charge qui représente en France 50 milliards d’euros pour les intérêts, 100 milliards pour le remboursement du capital, autant de richesses soustraites à la population, aux services publics, aux besoins sociaux. L’annulation de la dette publique ne mènerait pas à la faillite de l’économie, mais à celle des grands groupes financiers. Il faudra donc sauver non les banquiers et leurs riches actionnaires, mais les banques et leurs déposants. Ce qui signifie une expropriation de fait des banques et de tous les groupes financiers, leur saisie sans indemnité ni rachat. Arrachées des mains des intérêts privés, elles seraient alors unifiées en un seul service public financier, ou encore ce qu’un des Économistes atterrés, Frédéric Lordon, appelle un « système socialisé de crédit ». Car il s’agit de mettre ce service public financier sous le contrôle non de l’État, un appareil de pouvoir qui est largement privatisé et au service de la classe dominante, mais sous le contrôle des travailleurs et de la population.
Ce serait un pas en avant essentiel pour rendre possible une transformation révolutionnaire de la société. Un tel système financier collecterait l’épargne de chacun pour l’utiliser de la façon la plus pertinente et utile possible à la société, pour engager une profonde révolution écologique, répondre aux besoins sociaux. C’est le seul moyen de financer et orienter, sur le long terme, un véritable « développement » de la société, c’est-à-dire tout autre chose que la croissance capitaliste.
Peut-on se contenter de réguler la finance ?
Nous ne sommes heureusement pas les seuls à dénoncer la dictature de la finance. Associations, syndicats, économistes militants exigent des mesures de régulation de la finance qui peuvent contraster avec la radicalité de notre programme. Faut-il pour autant les ignorer ?
Ces mesures visent pour l’essentiel à reconvertir les financements vers l’économie réelle et le long terme, à imposer aux capitalistes de limiter et assumer leurs risques. Il s’agit par exemple d’interdire la spéculation sur les prix des actifs et les produits financiers toxiques (la titrisation, les Credit Default Swap-CDS). Imposer aux banques des fonds propres suffisants, la transparence sur les opérations, pour pouvoir réguler et soumettre à l’impôt, y compris en abolissant les paradis fiscaux. Limiter la volatilité des échanges d’actifs par une taxe sur les transactions financières. Limiter les rémunérations des cadres dirigeants et traders des groupes financiers, pour limiter l’intérêt personnel qu’ils trouvent à faire spéculer leur groupe. Réformer la politique de la BCE…
Au vu des pratiques prédatrices et dangereuses des financiers, ces mesures relèvent de l’évidence. Qu’aucun gouvernement ne les ait adoptées en dit long.
Peut-on faire l’impasse d’une perspective anticapitaliste ?
Pourtant, sans remise en cause de la propriété privée du capital et de la liberté de son usage, de sa circulation, de ses placements, ces mesures risquent d’être illusoires.
Que vaut par exemple la séparation entre banques de dépôts et banques d’affaires, seul projet concret de Hollande ? Elle est censée empêcher les banquiers de spéculer avec les dépôts de la population, quitte ensuite à faire payer les risques aux déposants et à l’État obligé d’aller à leur rescousse ! Mais même ainsi séparées formellement, les banques ne le seront pas réellement du fait de multiples liens de crédit et de participations entre elles. Lehman Brothers, dont la faillite ébranla tout le système financier mondial, était une « simple » banque d’affaires… La séparation est une fausse solution, si on laisse aux capitalistes le libre usage de leurs capitaux.
Surtout, il faut entendre les financiers eux-mêmes : si vous nous régulez au point d’abaisser notre rentabilité et de nous renvoyer à nos propres risques, alors nous ferons la grève de l’investissement. Nous prêterons moins aux particuliers et aux entreprises. Chantage odieux mais bien réel. Il faut donc les prendre au mot. Il ne peut pas suffire de réguler la finance. Il faut en prendre le contrôle et la retirer des mains privées.
Désaccords avec le Front de gauche et nécessaire unité
Le Front de Gauche veut « taxer les profits et la spéculation » et « mettre au pas la finance ». Mais derrière une dénonciation juste et virulente, le programme officiel est beaucoup plus modéré. Le problème de la propriété privée du capital est soigneusement contourné. Le FdG exige non l’annulation de la dette, mais son financement par la BCE. De même, il exige non la socialisation des banques, mais des mesures de régulation pour les banques privées aux côtés de la constitution d’un « pôle public bancaire ». Mais la coexistence du privé et du public dans la finance mène à une forme de socialisation des pertes (l’État financerait les investissements de long terme à la rentabilité incertaine) et de privatisation des profits (les investissements juteux et de court terme pour la finance privée), comme cela se fait dans le secteur de la santé. Surtout s’il n’y a pas de captation publique de l’épargne privée. On en revient toujours au même problème : la remise en cause ou non de la propriété privée et de la libre disposition et circulation des capitaux. Il est vrai que concrétiser ainsi (dégonfler ?) le slogan « mettre au pas la finance » permet – notamment au PCF et à ses futurs députés ! – de se rapprocher de François Hollande, qui lui veut établir « une banque publique d’investissement pour permettre aux PME et aux territoires d’accéder au crédit ».
Il n’empêche que ces calculs-là ne sont pas ceux des militants et citoyens qui pensent avec raison qu’il faut mettre au pas la finance, sans avoir de religion sur les moyens. Or, ce qui est sûr pour nous tous, c’est que les salariés, les retraités, l’immense majorité de la population n’a pas à payer pour enrichir les capitalistes, responsables de la crise actuelle. Le premier pas indispensable pour combattre ce système, c’est justement couper le robinet qui l’alimente : refuser toute austérité, de droite ou de gauche, suspendre immédiatement le paiement des intérêts de la dette, confisquer les dividendes pour augmenter les salaires, réimposer lourdement les riches. C’est l’axe des mobilisations à construire tous ensemble.
Yann Cézard
Est-il vraiment possible d’exproprier les banques ?
« Spoliation ! » clameront les actionnaires des banques réquisitionnées ! Oui… et alors ? Ce serait un juste retour des choses. Les banques françaises étaient globalement nationalisées jusqu’en 1986. L’État les a rendues rentables, puis les a vendues en Bourse au rabais. Depuis 30 ans la dette publique a gonflé et servi de poule aux œufs d’or aux rentiers. Depuis 2008, l’État français a apporté sa garantie publique (pour 320 milliards d’euros) aux banques, fragilisé sa signature et doit finalement payer des taux d’intérêts plus élevés… à ces mêmes banques. Enfin, la BCE (l’autorité publique) prête à 1 % aux banques de l’argent avec lequel elles spéculent, et qu’elles prêtent… aux États (toujours l’autorité publique) à des taux bien supérieurs ! Soit 30 ans de spoliation de la population au profit des actionnaires des groupes financiers. Exproprions donc les expropriateurs.
Impossible, car les États seraient impuissants ? Au contraire. Si l’État cessait de mener une politique ultra-volontariste pour saigner les populations afin de servir la dette et rassurer les marchés, les groupes financiers seraient en faillite. L’État n’aurait plus qu’à les nationaliser et (respectons les formes !) pourrait les payer un euro symbolique.
Il s’agit donc de prendre acte de cette perfusion incessante de l’État au service des banques. Elles vivent au crochet de la société ? Alors qu’elles soient contrôlées par elle et ne profitent qu’à elle.