Analyser la structure du prolétariat, comprendre ses transformations, est un travail fondamental pour une intervention efficace des anticapitalistes, dans la lutte de classe.
Les limites de la contribution ne permettent qu'une approche partielle, limitée ici au cadre hexagonal, à un prolétariat représentatif des pays riches et développés.
Ce qu'on peut dire c'est que depuis le développement du capitalisme et de manière plus effective depuis les 50 dernières années le prolétariat des pays capitalistes a considérablement évolué.
Les prolétaires, celles et ceux qui pour vivre vendent leur force de travail, manuelle ou intellectuelle sont beaucoup plus nombreux aujourd'hui. Le salariat n'a cessé de se développer à mesure que l'emploi indépendant diminuait fortement et aujourd'hui environ 75 % de la population, fait partie du prolétariat.
Ce prolétariat a cependant profondément changé, quant à sa composition, ses caractéristiques. Dans les années 60, la main-d’œuvre était très majoritairement ouvrière, masculine, peu qualifiée. C’était la grande entreprise industrielle qui dominait, marquée par une organisation du travail de type fordiste avec essentiellement des contrats de travail à durée indéterminée, à temps plein, un prolétariat plus homogène partageant dans sa grande majorité les mêmes conditions de vie.
Le prolétariat aujourd'hui est complexe, diversifié, éclaté. Moins d'un emploi sur quatre est ouvrier. La diminution continu de l'emploi industriel, le phénomène de tertiarisation de l'économie font qu'aujourd'hui l'essentiel du prolétariat des pays développés est en grande partie composé d’employés. Marx n'a par ailleurs jamais identifié le prolétariat aux uniques « cols bleus », au prolétariat industriel.
Cette croissance de l'emploi tertiaire a par ailleurs favorisé la multiplication du nombre de petites entreprises. D'une manière générale le salariat est aujourd'hui éclaté. Une grande partie des salariéEs se repartit dans des établissements de moins de 49 salariéEs. La fragmentation « post fordiste » de l'organisation du travail, l'internationalisation de la production ont produit entre autre l’éclatement des grandes structures de production, l’hétérogénéité des normes d'emploi et l’émiettement du salariat. La sous-traitance s'est considérablement accrue. Les patrons ont également de plus en plus recours aux travailleurEs détachés.
Sans oublier une cordonnée essentielle de la situation, le chômage et la précarité ont explosé.Une partie croissante du prolétariat est reléguée en dehors de la production. Si le CDI reste encore la norme largement dominante, le CDD , l'intérim, les vacations... ont fortement progressé depuis les années 80.
La féminisation de l'emploi est également une caractéristique du prolétariat aujourd'hui. Le taux d’emploi des femmes est maintenant très proche de celui des hommes. Cette fraction du prolétariat, concentré dans le secteur tertiaire cumule discriminations, précarité et occupe l'essentiel des emplois à temps partiel.
Il faut prendre en considération ces évolutions profondes car le morcellement de la condition du prolétariat met à mal son identité, tend à le fragiliser en tant que force sociale, et rend l'organisation de celui-ci plus difficile. Sa capacité à mener des combats tant au niveau des entreprises qu'à une échelle plus large reste en recul très net par rapport aux années 1970.
Le précariat, le chômage de masse pèse particulièrement sur la capacité d'une partie croissante du prolétariat, fragilisé, insécure à s'organiser, se syndiquer se politiser qui est désaffilié du mouvement ouvrier organisé.
Les conséquences se mesurent en terme du recul important de la grève, donc de la capacité de blocage de l’économie, de la difficulté de coordonner les mouvements, d'organiser les luttes, de les étendre. Les travailleurEs sont également de plus en plus éloignés des centres de décision ce qui amenuise leur pouvoir.
Ces évolutions ne sont cependant pas le seul produit des mutations économiques et sociales, ce sont également des choix politiques conscients de la bourgeoisie se traduisant par une entreprise de démassification ouvrière, notamment la destruction de bastions ouvriers d'avant-garde, l'individualisation des salariéEs, leur mise en concurrence organisée par la multiplication des statuts … La destruction des systèmes de solidarité basés sur la socialisation du salaire participe aussi à détruire le commun.
La crise de direction du mouvement ouvrier, les échecs de la gauche radicale sont aussi des facteurs qui pèsent sur la division du prolétariat aujourd'hui.
La question essentielle reste de savoir comment les anticapitalistes peuvent agir de manière la plus efficiente possible pour unifier politiquement cette immense force sociale si éclatée, si peu consciente de sa force?
Les occupations de lieux publics, les luttes contre les GPII... ces cadres de luttes situés en dehors de l'espace de travail peuvent constituer des lieux de rencontre, de convergence des exploitéEs, non pas dans une logique substitutive parce que la grève reste l'arme la plus efficace du prolétariat, mais conjugué à celle-ci.
Nous devons donc être particulièrement disponible à ce qui peut émerger d’une telle réalité, car il n'y a pas atonie, les conflits existent, mais ils prennent parfois de nouvelles formes, investissent de nouveaux espaces et le prolétariat se trouve aussi en mouvement là où on ne l’attend pas.
Sandra (Nantes)