En s’en prenant aux principaux responsables de l’Observatoire de la laïcité, Manuel Valls a choisi délibérément la provocation pour distiller le poison de la division et se positionner encore plus à droite sur l’échiquier politique.
«L’Observatoire de la laïcité – qui est placé sous ma responsabilité – ne peut pas être quelque chose qui dénature la réalité de cette laïcité. Il doit être clair sur les appels que l’on signe : on ne peut pas signer des appels, y compris pour condamner le terrorisme, avec des organisations que je considère comme participant d’un climat nauséabond, ça n’est pas possible. » Cette condamnation sans appel, Valls a choisi de la prononcer en son nom propre et de la justifier par son seul jugement personnel. Quels faits en sont à l’origine ?
Une « laïcité de combat »...
Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène, respectivement président et rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité, avaient signé la tribune « Nous sommes tous unis » publiée le 16 novembre, trois jours après les attentats, dans Libération, aux côtés de 89 personnalités ou associations les plus diverses, mais dont certaines, quelques unités au plus, sont accusées d’être proches, comme le CCIF (le Collectif contre l’islamophobie en France), des Frères musulmans.
« L’Observatoire est indépendant mais là, il y a des lignes qui ont été dépassées, et je le rappellerai à chacun », a encore lancé Valls, coups de menton à l’appui. Il s’en est pris aussi à Nicolas Cadène auquel il reproche un tweet critiquant de manière très mesurée – « un vrai débat clair ne serait pas de trop » – la philosophe Élisabeth Badinter qui, sur France Inter le 6 janvier, avait affirmé ses prises de position en faveur de ce que d’autres ont appelé une « laïcité de combat », disant entre autres choses qu’il fallait « ne pas avoir peur de se faire traiter d’islamophobe »...Depuis, le débat enfle dans la presse et une pétition à l’initiative du Parti radical de gauche et de personnalités comme Jean Glavany, réclame la démission de Jean-Louis Bianco et dénonce l’Observatoire de la laïcité.
… pour des politiques très à droite
Dans tous les cas, l’attitude de Valls n’a rien à voir avec le débat d’idées, mais bien plutôt avec ses calculs politiciens pour se positionner très à droite sur l’échiquier politique, démagogie de même nature que ses calculs d’homme de pouvoir cherchant à diviser la population en stigmatisant, une fois de plus, les musulmans.
L’endroit d’où il a lancé ces accusations provocatrices le 18 janvier n’a rien d’anodin : il s’agit d’un débat organisé par les Amis du CRIF (Conseil représentatif – mais à la représentativité contestée – des institutions juives de France), auprès de qui Valls peut se flatter d’avoir interdit les manifestations de solidarité avec les Palestiniens alors que l’État d’Israël bombardait la bande de Gaza pendant l’été 2014.Deux jours avant ce débat, Valls était l’invité de l’émission « On n’est pas couché ». Il y a défendu la déchéance de la nationalité et lui qui n’emploie sûrement pas ses mots au hasard a fait entendre cette phrase : « Nous sommes une vieille nation chrétienne »... Phrase qui n’est pas sans faire penser au préambule du TCE (traité constitutionnel européen) qui parlait des racines chrétiennes de l’Europe, aux propos récents du ministre de l’Intérieur Cazeneuve – « les racines chrétiennes de la France sont incontestables » – et à la présence de Sarkozy à la messe, à l’occasion de la réouverture de l’église de Fontainebleau après un incendie. De drôles de coïncidences pour des gens qui, d’un autre côté, n’ont que les mots de « laïcité » à la bouche. Mais Marine Le Pen n’a-t-elle pas fait de cette laïcité-là, dévoyée, son fonds de commerce ?
Les uns et les autres flirtent avec la propagande du « choc des civilisations », alors que les actes anti-musulmans ont triplé pendant l’année 2015, selon les chiffres annoncés par Cazeneuve lui-même. Ils contribuent à la banalisation de la stigmatisation des musulmans contre lesquels se concentre aujourd’hui la démagogie raciste qui cherche à diviser la population et à dresser les travailleurs les uns contre les autres au profit de la classe dirigeante.
Galia Trépère