Cette semaine, le président Hollande et son gouvernement ont mené deux débats parlementaires, prétendant répondre à la « responsabilité humanitaire de la France en prenant sa part d’accueil de réfugiés », mais aussi pour diminuer le terrorisme et la crise en Syrie par des bombardements contre l’État islamique (Daesh ). Sur ces deux plans, toujours plus nombreux sont celles et ceux qui dénoncent l’inanité de ces réponses et réclament une vraie solidarité.
La photo d’Aylan, l’enfant syrien noyé a démasqué l’inhumanité de nos « irresponsables politiques » à commencer par Hollande. Alors, il lui faut réagir, à la mesure de sa prétention à diriger une des principales puissances du monde – et plus accessoirement à se dire « de gauche »... Mais cette réaction procède de nouveaux enfumages.
Avec le peuple syrien, contre les bombardements
Ainsi en est-il du sort des Syriens : depuis 4 ans, le régime de Bachar el-Assad a écrasé sous la torture et les bombes son peuple soulevé. Des centaines de milliers de morts et disparus, 10 millions de déplacés dont 4 millions réfugiés en dehors des frontières. Pour cela, le régime a pu compter sur l’aide militaire et financière directe de l’Iran et de la Russie. En revanche, les autoproclamées démocraties occidentales, au-delà des mots, n’ont rien fait d’autre que rejeter les révoltés syriens vers les monarchies du Golfe les plus réactionnaires. Avec comme résultat une situation catastrophique sur tous les plans, et l’émergence de Daesh, monstre fécondé par la guerre en Irak menée par les USA, par le massacre mené en Syrie par Assad, et par les dirigeants islamistes voisins.
Aujourd’hui comme hier, la réponse de puissances impérialistes comme la France n’est pas d’aider, mais de se substituer à la souveraineté des peuples par des interventions militaires directes, des bombardements en Syrie dont on est sûrs des résultats contre-productifs : « dommages collatéraux » sur les populations, rappel d’un passé colonial honni, renforcement de la cause de Daesh en tant qu’ennemi des grandes puissances coalisées … et obligation de reprendre toujours plus de coopération avec le tyran de Damas pour l’accès à son espace aérien, voire pour une « solution politique ». Les avions français pourront ainsi croiser les hélicoptères du régime, en route pour les villes où ils déversent leurs terribles barils de poudre. Des centaines de millions dépensés pour des démonstrations médiatiques à courte vue (ainsi, qu’ont changé les 3 500 bombardements de la coalition menée par les Américains en Irak depuis un an ?).
Pendant ce temps, les combattants de la ville stratégique de Marea, au nord d’Alep, sont abandonnés dans leur lutte sur deux fronts, contre les forces d’Assad et celles de Daesh. Les forces kurdes, qui ont été jusque-là les plus efficaces contre l’État islamique, sont abandonnées à la vengeance du président Erdogan contrarié dans son entreprise de domination totale de la scène politique turque. Et pendant ce temps, l’Union européenne et la France réduisant drastiquement leurs financements, coupent l’aide d’urgence du Programme alimentaire mondial dans les camps de réfugiés de Jordanie, du Liban et de Turquie, qui ont accueilli l’écrasante majorité de celles et ceux qui ont fui la Syrie. Quoi d’étonnant alors que des populations totalement désespérées accélèrent leur fuite jusqu’en Europe ?
Contre le tri des réfugiés, pour l’ouverture des frontières
On ne peut ressentir qu’une immense colère face à la réalité crue : depuis des années, et contre les conventions internationales, l’État français a rejeté l’essentiel des réfugiés de guerre syriens comme irakiens, afghans, érythréens comme soudanais ou congolais. Aujourd’hui, face à une tragédie qui ne peut plus être éludée, le président et le gouvernement replâtrent leurs politiques honteuses : ils veulent bien accueillir 12 000 réfugiés de plus par an (soit 2 pour 10 000 habitants…), mais en les triant au loin : Syriens et Irakiens au détriment des autres ressortissants de pays en guerre, et les plus immédiatement « utiles » possible.
C’est ce qu’a affirmé ingénument Pascal Brice, directeur général de l’Ofpra (Office français de la protection des réfugiés et apatrides), justifiant lors d’une visite à Munich le tri parmi les réfugiés : « la majorité sont des Syriens éduqués et formés. Nous avons rencontré un ingénieur, un avocat […] On a affaire à des gens de la classe moyenne qui souhaitent avant toute chose travailler et élever leurs enfants. » Sous-entendu : les pauvres, les ressortissants d’autres pays, eux n’ont pas ces qualités et ne sont pas les bienvenus ! Et effectivement, les négociations européennes veulent compenser l’accès à une proportion de réfugiés un peu plus grande qu’avant, par un rapatriement d’autant plus brutal des « migrants économiques » hors des frontières de l’Union européenne – savent-ils seulement où ?
Ainsi, derrière l’affichage médiatique, la réponse des gouvernants à un grand mouvement européen de solidarité de population à population – hélas comparativement faible en France – c’est toujours l’inhumanité. Face à cela, nous devons rassembler largement autour de l’exigence de mesures d’urgence pour éviter d’autres catastrophes humanitaires, et imposer ensemble des vraies solutions contre toutes les exploitations et les oppressions.
Jacques Babel