Entretien. Comme chaque 1er Mai depuis 20 ans, à l’initiative de l’ATMF (Association des travailleurs maghrébins de France), les antifascistes et antiracistes se réuniront sur le Pont du Carrousel. En des temps où certains voudraient dédiaboliser le F-Haine, nous seront là pour rappeler la vraie nature de ce parti raciste et xénophobe. À l’occasion de ce triste anniversaire, nous avons posé quelques questions à Nacer El Idrissi, président de l’ATMF.
Que s’est-il passé le 1er mai 1995 sur le Pont du Carrousel ?
Le 1er mai 1995, Brahim Bouarram profitait d’une journée ensoleillée en se promenant à proximité du Pont du Carrousel. Il avait 29 ans et était père de deux enfants. De l’autre côté de la Seine se déroulait le cortège annuel du Front national en l’honneur de Jeanne d’Arc. Des militants du FN ont quitté le défilé et ont jeté Brahim Bouarram dans la Seine, parce qu’il avait un physique de type maghrébin. Il est mort noyé.
Pourquoi l’ATMF et d’autres organisations antiracistes continuent-elles à organiser ce rassemblement annuel depuis 20 ans ?
En premier lieu, cette commémoration vise à honorer sa mémoire et soutenir sa famille. Perdre un proche est toujours un drame, mais lorsque celui-ci est victime d’un crime raciste – par définition totalement gratuit – c’est encore plus odieux. Venir chaque 1er mai au Pont du Carrousel, c’est pour nous un moyen de dire à Brahim et à ses proches qu’on ne l’oublie pas.
Mais cette commémoration a aussi une tournure plus militante, car nous la dédions à toutes les victimes de crimes racistes. Parce que malheureusement, le meurtre de Brahim Bouarram est loin d’être un acte isolé. Il nous semblerait insupportable que les autres victimes soient oubliées.
Ainsi, nous participons aussi à d’autres commémorations à la mémoire de victimes de crimes racistes. Par exemple, celle pour Ibrahim Ali, tué le 21 février 1995 par des colleurs d’affiches du FN à Marseille.
En rappelant ces meurtres, nous voulons aussi faire passer un message : l’extrême droite a été et reste un danger, car le racisme est loin de se limiter aux simples discours politiques. Quand les propos racistes se banalisent, les actes suivent et entraînent la mort d’innocents.
Face à la banalisation du Front national, considéré aujourd’hui par beaucoup comme un parti fréquentable, la lutte contre le racisme vous semble-t-elle encore une question d’actualité ?
Si les récents résultats électoraux du FN sont préoccupants, malheureusement il est loin d’être isolé dans les positions de nos politiques. Les discours haineux et discriminatoires se sont banalisés : contre les Roms, contre les migrants, contre les Français de confession musulmane, contre les quartiers populaires, contre la communauté LGBT… Tout cela avec la complicité de nombreux médias qui les relaient sans aucune retenue ni mise en perspective.
Dans un contexte aussi propice à l’intolérance, la recherche de boucs-émissaires avec la crise économique, le sentiment de « perte de repère » dans nos sociétés, les tensions géopolitiques, etc., alimentent les amalgames et créent des divisions dans nos sociétés. Nous vivons dans un climat malsain, car nos politiques jouent des tensions communautaires pour séduire un électorat crédule.
Ces discours se traduisent au quotidien par des actes racistes : violences et insultes contre les personnes (avec des agressions de femmes voilées), dégradations de biens (récemment, nous avons assisté à la multiplication des attaques contre les lieux de cultes en France), discriminations basées sur l’origine dans de multiples domaines (accès à l’emploi et aux formations, logement, santé…)…
C’est pourquoi nous militons tous les jours et nous commémorons chaque année la mémoire de Brahim Bouarram et celle de toutes les autres victimes du racisme. Car si le racisme tue, l’indifférence, la passivité et le silence sont ses meilleures armes.
Propos recueillis par Alain Pojolat