La question des discriminations racistes est parvenue timidement à se faire une place dans les médias – mais pas vraiment dans le débat politique – la semaine passée, avec la publication par le Défenseur des droits d’un rapport 1.
Que montre ce rapport ? Rien qu’on ne sache déjà, du moins pour ceux et celles qui ne se bouchent pas les yeux devant la réalité : les discriminations racistes sont structurelles, se produisent à toutes les étapes du parcours d’accès à l’emploi et leur impact est massif et profond, non seulement sur les carrières professionnelles mais aussi sur le vécu et la confiance des victimes. Seule une toute petite minorité d’entre ceux et celles victimes de ces discriminations disent avoir engagé des démarches pour faire reconnaître le tort subi et demander des réparations, ce qui en dit long sur le sentiment d’impuissance et d’illégitimité que partagent ceux et celles qui, en France, subissent le racisme au quotidien.
On ne s’en étonnera pas, tant le déni concernant les discriminations racistes domine parmi les élites politiques (les victimes étant systématiquement accusées d’« exagérer »). Il est vrai que le constat ne cadre pas avec l’idée, serinée à longueur d’antenne par la droite, l’extrême droite et une partie de la « gauche », selon laquelle les immigréEs et leurs enfants bénéficieraient de « privilèges » ou « voleraient le pain des travailleurs français »… Et lorsqu’on reconnaît (du bout des lèvres) ces discriminations, c’est pour en attribuer la responsabilité à quelques racistes mal intentionnés. Mais comment quelques comportements marginaux qui seraient le fait d’une poignée d’individus pourraient expliquer ce qui a l’ampleur d’un système discriminatoire ?
Explosion des inégalités
Une étude de l’INSEE datant de 2011 avait ainsi montré que le revenu annuel moyen d’un enfant d’immigrés dont l’un des parents au moins est originaire d’Afrique s’établissait à 15 960 euros, contre 22 550 pour les descendantEs d’immigrés européens et 22 810 euros pour les Français nés de parents français. En outre, 33,5 % des premiers sont en situation de pauvreté (avec un revenu mensuel médian de 773 euros), contre 10,6 % dans le reste de la population. Ajoutons que ces inégalités n’ont pu que s’accroître, puisqu’une étude a montré il y a quelque temps que, dans la période 2008-2014, les inégalités « ethno-raciales » ont explosé quant à l’accès à l’emploi.
Mais une autre manière de dépolitiser la question s’est affirmée récemment, en substituant la problématique de la croissance à celle de l’égalité : les discriminations seraient mauvaises pour la croissance, la rentabilité, les profits, etc. Selon un groupe de réflexion associé à Matignon, « la réduction des écarts de taux d’emploi et d’accès aux postes élevés (…) permettrait un gain de 6,9 % du produit intérieur brut (PIB), soit environ 150 milliards d’euros sur la base du PIB français de 2015 ». Tout est bon pour reléguer la lutte pour l’égalité.
En réalité, c’est un système oppressif qu’il faut briser, parce qu’il dégrade les vies de millions de personnes et parce qu’il rend impossible une mobilisation large, durable et radicale contre un système qui nous exploite toutes et tous. Pour cela, les anticapitalistes et l’ensemble du mouvement ouvrier doivent populariser un programme de lutte contre les discriminations – du CV anonyme à des amendes lourdes contre les employeurs en passant par des quotas et des réparations pour les victimes du racisme – mais aussi contribuer à la construction d’un mouvement antiraciste capable de créer un rapport de forces suffisant pour obtenir des victoires sur ce front.
Ugo Palheta
- 1. Créée en 2008, cette « autorité constitutionnelle indépendante » ne fonctionne que depuis 2011 et a à sa tête Jacques Toubon depuis 2014. Autant dire qu’il ne s’agit pas d’une officine au service des oppriméEs…