Depuis le 9 février se déroulent un peu partout en France « les Assises de l’école et de ses partenaires pour les valeurs de la République ». Lancées en grande pompe par la ministre Vallaud-Belkacem, ces assises marquent le début d’un vaste plan d’embrigadement des personnels de l’éducation et des jeunes, de l’école primaire à la terminale !
Mille professeurs « formateurs » vont recevoir en exclusivité jusqu’à la fin du mois d’avril les préceptes du nouveau catéchisme ministériel afin qu’ils puissent les délivrer à leur tour à 300 000 enseignantEs... qui devront les faire ensuite rentrer à coups « d’enseignement moral et civique » dans la tête de millions d’élèves afin de « rétablir l’autorité des maîtres et les rites républicains ».Alors que des enseignants ont été sanctionnés par des suspensions de salaire et menacés de révocation, que des lycéens ont été exclus de leur établissement pour avoir manifesté leur réticence à être soumis au diktat du « sois Charlie et tais-toi », ce déferlement de propagande dégoulinante à la gloire de la patrie et de l’autorité comme on ne pensait plus en voir après 68, pourrait faire sourire, s’il n’était pas assorti d’un appel à la délation de la part des enseignantEs vis-à-vis de leurs élèves qu’ils pourraient soupçonner « de djihadisme ».
Rien que ça !Signes extérieurs d’apprentiE terroriste...Ainsi, « un livret opérationnel de prévention et de lutte contre les phénomènes de radicalisation » a été publié. Dans ce livret (il faut se persuader qu’on n’a pas sous les yeux le scénario d’une mauvaise série B réalisée au temps de George W. Bush), on peut lire que « parfois difficile à repérer, le processus de radicalisation se traduit le plus souvent par une rupture rapide. Si un seul indice ne permet pas de conclure à la radicalisation, les changements de comportement suivants peuvent attirer l’attention ». Et plus loin sont cités pêle-mêle : « l’abandon des activités périscolaires, les contestations répétées d’enseignements, la multiplication des absences, la déscolarisation soudaine, la rupture avec la famille, les tentatives de fugue, de nouveaux comportements dans les domaines suivants : alimentaires, vestimentaires, rejet et discours de condamnation de la société occidentale concernant son organisation, ses valeurs, ses pratiques (consumérisme, immoralisme…), le rejet systématique des instances d’autorité, le repli sur soi, le mutisme, l’intérêt soudain pour telle religion ou telle idéologie », autant de facteurs devant déclencher la suspicion à l’égard d’unE élève.
Alors que de tels signes visibles chez des adolescentE peuvent être tout aussi bien le fruit d’un malaise social ou psychologique, d’un rejet salvateur de l’autorité scolaire et de la morale familiale, ou bien de l’engagement politique vers des idées d’extrême gauche, le livret ne fait pas dans la nuance puisqu’il renvoie à l’obligation pour les enseignantEs de signaler ces comportements... au procureur de la République, et même de compléter directement un formulaire de délation en ligne à l’adresse suivante : www.stop-djihadisme.gouv.fr/formulaire... hébergé par le site du ministère de l’Intérieur. La boucle est bouclée : on est d’abord suspecté de ne pas être dans le moule, puis on est dénoncé comme « djihadiste ». On peut facilement imaginer contre quels élèves cette suspicion va s’exercer en priorité !Il est plus qu’urgent que les syndicats de l’éducation dénoncent cette attaque sans précédent contre la liberté d’expression des jeunes scolariséEs et appellent l’ensemble des personnels à refuser d’appliquer ces mesures liberticides et discriminatoires.
Marie-Hélène Duverger