Pierre Le Ménahès, ancien délégué CGT de la Fonderie de Bretagne et encore très investi dans les mobilisations, répond à nos questions sur la lutte en cours.
Peux-tu nous dire quelle est la situation aujourd’hui à la Fonderie de Bretagne ?
On est confronté au statu quo en matière de dialogue social dans le sens où on vient d’apprendre que la direction du site a été officiellement évincée de toute possibilité de dialogue et à plus forte raison de négociations, sous l’égide du sommet de la pyramide du groupe Renault. Donc, on est dans l’opacité la plus totale aujourd’hui, sans interlocuteur, ce qui pose un réel problème au bout de sept jours d’occupation de l’usine, sans réponse aux revendications légitimes des salariés.
Que dit la direction de la boîte ?
Ils avaient un calendrier nous ramenant au 10 mai. Si on se fixe au calendrier initial de la direction, il devrait se tenir un CSE pour avoir des précisions concernant une éventuelle cession. Maintenant ça reste au conditionnel car on parle de cession, mais cession avec repreneur, pseudo repreneur, on n’a aucune information à ce niveau-là. Et quelle est réellement la position des donneurs d’ordre du groupe Renault ? Dans le même temps on a des pouvoirs publics sur lesquels on ne peut pas compter parce qu’on est confronté à des déclarations de façade, politiques, purement électoralistes, pour se faire plaisir. Et nous, on n’est pas là pour faire plaisir puisqu’on est dans une situation dramatique. Du côté du donneur d’ordre, Renault, c’est l’omerta la plus totale. Alors que c’est lui qui a mis en avant l’éventuelle liquidation de FdB, ou une cession qui, selon leurs différentes déclarations, paraît déjà actée.
Quelle est l’ambiance dans la boîte ?
L’ambiance est de plus en plus tendue, ça ne peut pas être autrement. Les salariés sont inquiets et dans le même temps révoltés parce qu’ils estiment être ignorés, méprisés. On a l’impression que c’est une usine fantôme, la direction n’existe plus ! On a appris au travers d’un appel du DRH qu’il n’était plus en mesure de discuter, puisqu’ils sont évincés de la direction. On a déjà connu ça dans d’autres circonstances à la SBFM. C’est un peu toujours le même scénario machiavélique articulé par l’actionnaire.
Quelles doivent être, selon toi, les perspectives pour modifier le rapport de force ?
Je crois qu’à partir d’aujourd’hui, c’est ce qui s’est décidé en assemblée générale au changement d’équipe, il faut multiplier les actions, donner la parole aux ouvriers. On entend parler débats, tables rondes, triangulaires, on est dans la géométrie variable, mais sans aucune réponse concrète et sans aucune prise de responsabilité des différents protagonistes.
La seule date, qu’on peut acter, c’est le 10 mai. C’est peut-être une date qui rappelle des bons souvenirs à certains, si on ramène ça à 1981, mais aussi à de grandes désillusions et déceptions concernant les décisions.
Il faut interpeller tous les protagonistes qui sont liés étroitement à l’avenir et à la pérennité de la SBFM qui aujourd’hui est concrètement en péril.
Jeudi 6, il y a un rassemblement, au Mans, de tout le groupe Renault. C’est une échéance pour vous ?
Oui c’est une échéance car il faut élargir au maximum l’action et surtout les mouvements de grève parce qu’il faut passer à la vitesse supérieure. On n’en est plus à la distribution de tracts ou à la négociation de salon. On est dans la lutte, à part entière, il faut l’amplifier, particulièrement sur tous les sites concernés, des fonderies parce que c’est la cible du groupe Renault qui veut s’en séparer, mais aussi du groupe Renault dans son ensemble parce que les salariés sont confrontés aux mêmes problématiques dramatiques en matière d’emploi.
On multiplie aujourd’hui les liens, dans les luttes, au niveau des différents sites, dans un cadre de solidarité qui s’élargit aussi au-delà de nouveaux Renault, à PSA. Des délégations, particulièrement le 1er mai, sont venues sur le site. On a créé une caisse de solidarité pour garantir la lutte que mènent les salariés, puisqu’ils sont aujourd’hui en grève générale totale avec occupation. On en est à plus de dix mille euros en une semaine. Il faut continuer à amplifier cette mobilisation, au sens large du terme, en sachant que les revendications sont à l’identique dans tous les sites. Je pense même qu’il faut créer un comité de résistance, pour informer l’opinion publique et pour qu’elle apporte toute sa solidarité, autour de la lutte exemplaire que mènent les salariés.
Pour le 10 mai, vous envisagez aussi des actions ?
On va garantir bien sûr le blocage du site au cas où l’actionnaire aurait la mauvaise idée d’essayer de débloquer un certain nombre de pièces qui sont aujourd’hui bloquées en magasin, mais aussi développer les actions en externe. Ce qu’on sait, et ça prouve que le mouvement de grève pèse dans la balance, c’est qu’au Mans, une ligne de la Zoé serait à l’arrêt, par rapport justement aux pièces qui sont fabriquées sur la nouvelle ligne de FdB sur Lorient. Alors ça confirme deux choses c’est que Renault a impérativement besoin de ce qui est produit à la FdB, particulièrement sur la Zoé. On nous rabâche que la SBFM travaille pour le diesel, mais non, encore une fois FdB produit pour la Zoé, un véhicule électrique !
Cela montre que la grève pèse déjà dans le rapport de force...
Voilà, la grève pèse déjà sur le rapport de forces et sur les besoins. C’est vital, cette fameuse nouvelle ligne ! Un lourd investissement d’ailleurs de Renault, un non-sens économique, on le comprend mieux maintenant au travers de ce mouvement. On sait aussi que BMW, un autre constructeur pour lequel on travaille, est en grande difficulté particulièrement sur une pièce, un porte fusée destiné à monter sur les véhicules BMW.
Dans la ville, dans la région, est-ce qu’on sent un soutien à votre lutte ?
Complètement, et puis le soutien, c’est une suite logique de l’histoire de l’entreprise. Chacun sait que sur le pays de Lorient, mais aussi sur le département et la région, la SBFM est un fleuron de l’industrie en Bretagne, qui est toujours pris en compte à part entière par l’opinion publique. Parce que c’est 340 salariés, avec les emplois induits ce sont 1000 salariéEs, ce sont des familles. Qui n’a pas un salarié dans sa famille travaillant à la SBFM ? Personne ! Donc forcément il y a une prise en compte vitale, viscérale, dans la population du pays de Lorient, du département et de la région.
Tu penses que jeudi, ça peut être un moment important pour donner une visibilité politique à toutes ces luttes-là ?
Je suis persuadé - et ça a été le cas au mois de mai même si alors je n’ai jamais cru en une victoire, ça sentait l’arnaque, et malheureusement ça se vérifie aujourd’hui - je crois que le groupe Renault a une crainte, c’est que le conflit de FdB fasse tache d’huile au niveau du groupe, au-delà de ses fonderies, je parle de l’automobile là, en règle générale.
Les salariés de FdB ont eu deux années très difficiles : d’abord au travers du sinistre, qui a détruit une chaîne de production, puis il y a eu le COVID, le chômage technique, enfin bref une addition de difficultés indépendantes de la volonté des salariés, qu’ils ont subies.
Donc là on n’acceptera pas passivement de monter sur la guillotine qui est installée sur le parking de l’entreprise aujourd’hui parce qu’on n’a pas l’intention de se faire couper la tête et que comme on est des révolutionnaires, ça va de soi, on va se battre jusqu’au bout, jusqu’à la victoire.
Propos recueillis par Antoine Larrache