La rencontre du lundi 18 février à Bercy avec le ministre de l’Économie, a débouché sur… un nouveau délai et une nouvelle réunion pour le lundi suivant. Donc on joue les prolongations, et cela donne l’impression que l’on ne va jamais en finir.
Il faut dire qu’on s’acharne pour tenter de sauver des emplois, cela peut-être de manière un peu irrationnelle. Beaucoup, autour de nous, à commencer par des collègues, y compris dans l’équipe syndicale combative, se disent que nous perdons notre temps… Pour certainEs, cela revient à prolonger inutilement la souffrance, pour d’autres, c’est aller logiquement au bout de la bataille menée depuis un an, dans sa dernière phase.
Impuissance face aux logiques patronales
Il nous est impossible de dire si ces quelques jours de suspens supplémentaire sont le signe, du côté de l’État, d’une véritable possibilité de reprise, ou si c’est juste pour repousser la mauvaise annonce, celle d’un échec qui serait pas seulement celui du candidat à la reprise Punch mais aussi celui de l’État et du ministre lui-même.
De notre côté, nous voyons mal pourquoi Ford accepterait maintenant une reprise avec un plan moins solide que précédemment. Car ce plan de reprise est effectivement moins convaincant du fait que les clients potentiels du repreneur potentiel ne confirment pas leurs commandes. Il s’agissait rien moins que les constructeurs automobile PSA et Renault. L’État a visiblement essayé de convaincre ces entreprises, dans lesquelles il a quand même des actions et une part de décision ou d’influence. Mais décidément tout est compliqué.
On savait déjà que les pouvoirs publics se prétendaient sans moyen pour contraindre Ford à vendre son usine au lieu de la fermer. On sait maintenant que, même avec des constructeurs automobiles nationaux, l’État se retrouve sans argument pour trouver des solutions industrielles qui paraissaient pourtant largement possibles. Ce qui pose plus globalement le problème d’un État sans capacité à élaborer des stratégies industrielles, véritablement impuissant face aux logiques patronales et libérales destructrices.
Une bataille politique
Le constat n’est pas nouveau, les usines ferment depuis longtemps, des petites, des moyennes, des grandes, un peu partout sur le territoire. Souvent, quand ça proteste, quand il y a des luttes, alors des élus locaux, des représentants des pouvoirs publics ou des collectivités territoriales, des gouvernements s’indignent, dénoncent la rapacité des multinationales, promettent la bataille pour préserver les emplois… et à la fin, c’est en général la catastrophe, la disparition de l’usine, la suppression de centaines ou de milliers d’emplois.
Est-ce que nous, à Blanquefort, pouvons connaître une autre fin ? Qu’est-ce qui ferait que nous réussirions là où tant d’autres salariéEs ont échoué ? D’autant plus qu’il faut reconnaître que la mobilisation chez nous n’est pas du niveau qu’il faudrait. Après dix années de bataille pour empêcher la fermeture de l’usine, l’ambiance est largement dominée par l’usure et la résignation.
Comment dans ces conditions pourrions-nous sauver au moins un bout d’usine et environ 350-400 emplois directs ? On voit mal, mais nous sommes un certain nombre à ne pas vouloir abandonner pour autant. Car il ne s’agit pas seulement d’un bras de fer avec Ford, avec le repreneur. C’est une bataille politique. Même si nous ne sommes pas capables de changer le cours de choses, nous pouvons essayer, au moins à notre niveau, de poser les problèmes de la nécessité d’une intervention autoritaire de l’État, des pouvoirs publics, pour contraindre vraiment les multinationales comme Ford.
Des réponses d’urgence sociale
« L’État n’a pas vocation à prendre le contrôle d’une usine », nous répètent les gens responsables, les experts économiques en tout genre. Nous l’avons bien entendu. Mais à l’inverse, l’État a-t-il vocation à la laisser fermer, à laisser supprimer les emplois directs et induits ? Et puis qu’est-ce qui rend irréalistes les solutions « originales » et radicales de réquisition des usines menacées ? Qu’est-ce qui empêcherait de prendre en main des entreprises qui ont été largement subventionnées par l’argent public, donc qui appartiennent en partie, de facto, à la collectivité ? Pourquoi l’État et les collectivités territoriales ne pourraient pas travailler sur des productions utiles à la population, pour répondre aux besoins sociaux et à la protection de l’environnement, à mettre en lien des activités sur un territoire ?
Pourtant, à part la piste du repreneur Punch, aucune autre solution, aucune étude ne semble menée sur ce qu’on pourrait faire d’une usine, d’un collectif de travail existant. Il y a un silence étonnant du côté des pouvoirs publics, qui ne proposent rien.
Dans le cas de Ford, pourtant, cela ne semble pas compliqué : il suffirait de prendre une usine dont la multinationale ne veut rien faire, donc disponible à autre chose. Il suffirait de s’emparer des machines et des équipements. Il suffirait juste de reprendre tout l’argent public donné à Ford durant des années, s’il le faut en menaçant de sanctions économiques comme le boycott de la marque. Il suffirait aussi peut-être – ou pas – d’en parler à Teddy Riner, le nouvel ambassadeur censé soigner l’image d’une multinationale qui ferme des usines.
Mais ce qui semble simple et logique pour nous ne l’est visiblement pas pour l’État. Mais ce sont ces problèmes et ces solutions que nous essayons de mettre en avant, tout en sachant qu’au fond cela pose le problème d’un rapport de forces global différent, qui nous permettrait d’imposer des réponses d’urgence sociale.
Philippe Poutou