Devant l’ampleur de la mobilisation, une forme de panique a saisi le gouvernement. Les réunions se sont succédé, et Hollande est entré directement dans le jeu se posant en homme de dialogue. Tout cela a abouti à l’opération enfumage du 14 mars.
Pour Valls-Hollande, l’enjeu est clair : amener une partie des organisations syndicales à se déclarer satisfaites de prétendus reculs qu’elles auraient arrachés au gouvernement. Ils s’agitent car, signe de la profondeur du mécontentement, leur principal pion syndical, la CFDT, a été partiellement déstabilisée. Les rassemblements avec l’UNSA, la CFTC et la CGC, organisés le samedi 12 mars, ont été un bide : en fait, ils ont regroupé bien moins de manifestants CFDT que les manifestations du 9 mars, comme celle de Paris où avait défilé un cortège de la CFDT métallurgie opposé à la loi El Khomri.
Dès le 10, les annonces ont commencé à être distillées comme celle de la majoration des cotisations sur les CDD qui en fait relève de la négociation sur le régime d’assurance chômage, négociation loin d’être conclue... Comme l’a fait remarquer le président de l’Unef, William Martinet, « aucune de nos propositions n’a été discutée sérieusement, mais à chaque fois reportée à un autre débat, une autre négociation, un autre projet de loi »…
En trompe-l’œil
Toute cette agitation a débouché sur le nouveau texte présenté par Valls lundi 14 mars. On peut constater que les reculs y sont des plus limités.
Ainsi, sur les indemnités prud’homales en cas de licenciement abusif, le barème qui devait les plafonner de façon impérative sera seulement « indicatif ». Selon Valls, ce barème « sera une aide pour les juges prud’homaux, mais pas un carcan ». De qui se moque-t-on ? Cela fait des décennies que les prud’hommes jugent ce genre d’affaires : il s’agit en fait de renforcer la position de la partie patronale. Et pourtant la CFDT se félicite et présente cela comme un recul majeur.
En matière de licenciements économiques, même entourloupe. Les critères de baisse du chiffre d’affaires justifiant un licenciement économique sont maintenus mais, dans la nouvelle mouture du texte, le juge pourra vérifier que les multinationales n’organisent pas artificiellement leurs difficultés économiques sur le territoire français pour licencier. S’il est établi que les difficultés financières ont été organisées artificiellement, les licenciements seront requalifiés en licenciements sans cause réelle et sérieuse. Mais comment vérifier ? Les juges débordés ont-ils les moyens de vérifier les multiples techniques qui permettent de peser sur les résultats d’une filiale ? Déjà les inspecteurs des impôts ont le plus grand mal à le faire. Et à supposer qu’ils le fassent, pendant ce temps, les salariés resteront sur le carreau !
Encore des promesses, toujours des reculs
La garantie jeunes, ce dispositif d’accompagnement des « décrocheurs » du système scolaire vers l’emploi, va devenir un droit pour tous les jeunes sans emploi ni formation. « Je souhaite que ce dispositif soit généralisé en 2017 », a déclaré Valls. En 2017, après les présidentielles… Des promesses qui n’engagent que ceux qui y croient.
Pour ce qui est des forfaits-jours et astreintes dans les PME, ils devront être encadrés par la négociation. C’est bien la moindre des choses pour quelque chose qui a une conséquence majeure sur la vie et la santé des salariéEs : comme le rappelle un médecin du travail, la survenue d’accidents vasculaires cérébraux, et dans une moindre mesure d’infarctus, est en effet fortement corrélée au temps de travail hebdomadaire. Par ailleurs, le texte contient des dispositions encadrant l’activité des médecins du travail négatives pour la santé des salariéEs et leur maintien dans l’emploi en cas de problème de santé : l’employeur pourrait être délié de l’obligation de reclassement qui existait jusqu’ici (au moins sur le papier) et pourrait licencier le salarié pour « motif personnel ».
Valls est content : il aime toujours l’entreprise...
Au total, Valls n’a pas lâché grand-chose : avec ses 52 articles et ses 131 pages, le projet de loi reste pour l’essentiel aussi nocif. Le Premier ministre ne dissimule pas son plaisir et déclare dans sa conférence de presse après la rencontre avec les prétendus partenaires sociaux du 14 mars : « Nous souhaitons donner plus de liberté, plus de visibilité, aux entreprises… Qui pensait il y a trois mois qu’on pourrait réécrire 125 pages de notre code du travail ? »
Le Medef a beau se déclarer « déçu » des nouvelles annonces gouvernementales, pour lui l’essentiel a été maintenu. Et comme prévu, la direction de la CFDT et la Fage étudiante sont satisfaites...
La mobilisation s’impose plus que jamais.
Henri Wilno