Une note de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) confirme la montée en puissance de la précarité.
Certes, la très grande majorité des salariéEs (84,6 %) est en CDI. Mais la part des salariéEs en contrats précaires ne cesse d’augmenter depuis le début des années 1980. Désormais, une majorité des salariéEs de 15-24 ans (55 %) est sous contrat précaire. 10,8 % des salariéEs sont en CDD (5 % au début des années 1980), 3 % en intérim (1 % au début des années 1980), et 1,6 % en apprentissage.
En théorie, les CDD n’ont « ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise » (code du travail). Dans la pratique, ce n’est pas le cas. En 2017, la DARES avait déjà établi que « plus de la moitié des établissements optent pour le CDD plutôt que pour le CDI afin de limiter les risques en cas de ralentissement de leur activité ». Autrement dit, les patrons embauchent en CDD pour faire porter le risque sur les salariéEs plutôt que sur eux. Et les gouvernements n’ont cessé de modifier la législation pour leur faciliter la tâche.
Précarité généralisée… et légalisée
Ainsi, depuis 2015, les CDD peuvent être renouvelés deux fois (au lieu d’une). Depuis les ordonnances de l’été 2017, les accords de branche peuvent en outre déterminer, sans aucun plafond, le nombre maximal de renouvellement de CDD, leur durée maximale et les durées de carence ! Dans certains secteurs (comme la restauration), les patrons peuvent déjà avoir recours aux « CDD d’usage », qui leur permettent de faire à peu près ce qu’ils veulent. Dans le nettoyage par exemple, des salariéEs enchaînent les CDD, en passant par la case chômage le temps du délai de carence. Autrement dit, une partie des salariéEs (surtout des ouvrierEs et des employéEs) est enfermée dans la précarité de façon durable. De façon cynique, la classe dominante s’appuie sur cette « dualisation » du marché du travail pour stigmatiser les « privilégiés ». Il faudrait en finir avec les protections liées au CDI, au nom de « l’égalité ». Cela permettrait aux exclus du marché de travail de pouvoir y trouver leur place. C’est le sens des ordonnances Macron de l’été dernier, avec à terme l’horizon d’un contrat unique pour tous, où la force de travail sera sans protection.
La durée des CDD est en outre de plus en plus courte. La part des contrats de moins d’un mois est passé de 57 % des CDD en 1998 à 83 % en 2017 ; la part des contrats d’une seule journée s’est accrue, passant de 8 % en 2001 à 30 % des CDD en 2017. Les secteurs qui contribuent le plus à l’augmentation de la part des CDD très courts sont l’hébergement médico-social et la santé.
Si les services sont gourmands en CDD, l’industrie et la construction raffolent de l’intérim, avec un taux de recours de 12 %. Le nombre d’intérimaires a progressé de 11,5 % entre avril 2017 et avril 2018. Près de 80 % des -intérimaires sont des ouvrierEs.
L’essor des ruptures conventionnelles : une aubaine pour le patronat
Le patronat est friand du dispositif des « ruptures conventionnelles » mis en place en 2008. En 2017, les démissions sont le motif le plus fréquent de rupture anticipée de contrat (40 %), suivies des fins de période d’essai et des licenciements pour motif personnel (environ 20 % chacun). Mais les ruptures conventionnelles sont en plein essor et représentent désormais 10 % des ruptures de contrat (420 900 en 2017, en hausse de 7,8 % par rapport à 2016). Elles se substituent en partie aux démissions, mais aussi (pour 25 % d’entre elles selon la DARES) aux licenciements économiques.
Le patronat a tout intérêt à avoir recours aux ruptures conventionnelles quand il veut se débarrasser de salariéEs : simplicité, rapidité, pas de possibilité de recours pour le ou la salariéE, pas de contraintes liées aux PSE... Hormis les cadres, les salariéEs sont très rarement en position de négocier des indemnités supérieures au minimum légal. Sous la pression de leur patron et par peur de la stigmatisation liée au licenciement, beaucoup acceptent les ruptures conventionnelles.
Grâce à Macron, les patrons peuvent désormais avoir recours aux « ruptures conventionnelles collectives » s’ils trouvent des syndicats collabos pour donner leur accord. Ils n’ont même plus besoin de justifier de difficultés économiques, et ils peuvent dégraisser massivement sans craindre le contrôle d’un juge. C’est la porte ouverte à tous les abus.
En finir avec la précarité !
La logique capitaliste nous enferme dans une alternative abjecte : accepter plus de précarité ou accepter plus de chômage. Refuser cette alternative implique de sortir du capitalisme : le droit au salaire à vie implique un contrôle des travailleurEs sur les moyens de production, condition nécessaire pour permettre à chacun de vivre de son travail.
Gaston Lefranc