Entretien avec Thomas, pompier professionnel et syndicaliste CGT, qui témoigne pour nous de la souffrance au travail au sein du Service départemental d’incendie et de secours en Isère (SDIS 38).
Après le suicide le 8 février 2021 de Cyrille Minard, pompier professionnel et syndicaliste à SUD, l’ancien directeur du SDIS 38 et le médecin-chef ont été mis en examen le 31 mai 2024 pour harcèlement moral. Peux-tu nous parler de cette gestion toxique du personnel ?
Par la pratique de la peur, la direction du SDIS 38 a toujours tenu à paraître sans faiblesse. Pendant longtemps peu de pompierEs et peu d’agents administratifs et techniques s’étaient autorisés à se plaindre d’une quelconque souffrance au travail. Il aura fallu attendre plusieurs années pour que des salariéEs prennent l’initiative de briser la loi du silence en s’adressant à l’intersyndicale CGT, Autonome et SUD. Je précise qu’au sein du SDIS 38 le harcèlement moral concerne l’ensemble des personnels toutes catégories confondues. Sanctions abusives, mise au placard, mutations autoritaires sont des pratiques habituelles. Au CHSCT de décembre 2012 sous l’impulsion des syndicats, la direction avait enfin accepté de s’engager dans une démarche de prévention des « risques psycho-sociaux ». Mais peine perdue, dès la première réunion tous les syndicats (même la CGC !) ont quitté définitivement le groupe de travail en raison de l’attitude volontairement méprisante de l’administration. Ce groupe de travail n’a donc jamais vu le jour...
Cyrille se donne la mort en février 2021 à l’âge de 44 ans. Comment expliquer ce geste dramatique ?
Cyrille était co-fondateur en 2010 du syndicat SUD pompiers sur le département. Il était très actif dans le secteur du Nord Isère. Il était présent dans toutes les mobilisations sociales. Comme d’autres syndicalistes, il était dans le viseur de la direction qui ne lui a fait aucun cadeau. La direction s’est acharnée contre lui : harcèlement régulier dans son travail, discrimination syndicale, manœuvres d’intimidation, mépris de classe, etc. Cyrille a longtemps résisté en intentant deux actions contre le SDIS 38 pour excès de pouvoir. Le tribunal administratif a d’ailleurs rendu deux décisions en sa faveur. Mais il était psychologiquement très fatigué par ce climat anxiogène qui lui « pourrissait la vie »... Plusieurs syndicats sont intervenus auprès de la direction pour alerter de sa souffrance mais rien n’a été sérieusement pris en compte. Pour nous, Cyrille a été broyé parce qu’il s’opposait fermement à ce management toxique et pervers. La responsabilité de son suicide incombe entièrement à l’attitude de l’état-major.
Et maintenant ?
Nous savons que dans beaucoup de SDIS les personnels sont en souffrance. Il faut que ça cesse ! À Grenoble, grâce à la détermination de l’intersyndicale, il va y avoir un procès au pénal. Nous avons appris que d’autres plaintes ont récemment été déposées avec constitution de partie civile. Si notre action peut aider à briser l’omerta au sein du SDIS 38 tant mieux ! Mais par expérience syndicale nous savons que pour faire disparaître la souffrance au travail rien ne pourra remplacer la lutte collective, la solidarité et surtout il faudra préserver l’unité syndicale. Les grands chefs du SDIS 38 sont responsables de la mort de Cyrille. Nous les ferons condamner !
Propos recueillis par notre correspondant