Les annonces de suppressions d’agences – et d’emplois – se multiplient dans le secteur bancaire.
En 1978, Simon Nora et Alain Minc remettaient au président de la République un rapport intitulé l’Informatisation de la société1. Les deux auteurs prévoyaient que « l’installation de nouveaux systèmes informatiques permettraient des économies d’emplois qui pourraient représenter sur 10 ans jusqu’à 30 % du personnel ». L’expression « économies d’emplois », préférée à « suppression d’emplois », éclaire le point de vue d’où parlaient les rapporteurs. Ce rapport avait suscité l’année suivant sa publication un article de Michel Godet et Jean-Pierre Plas : « la banque pourrait être la sidérurgie de demain ».
Le prétexte du digital
Près de quarante ans après, deux événements importants sont venus confirmer et amplifier ces craintes. D’abord, la crise de 2007-2008 a entraîné de fortes réductions d’emplois dans le secteur des banques de financement et d’investissement. Aujourd’hui, c’est le prétexte du digital, avec notamment la dématérialisation et les relations clientèles sans la présence physique du client, qui est agité par les patrons pour intensifier leurs attaques, cette fois contre la banque de détail à travers des fermetures d’agences et des suppressions de postes. La Société générale vient d’annoncer la fermeture de 300 agences à l’horizon 2020, représentant 900 emplois qui s’ajoutent aux 3 550 suppressions déjà annoncées au début de 2016. Du côté de BPCE (Banque populaire, Caisse d’épargne), ce sont 400 agences représentant 4 000 emplois qui vont être rayées de la carte. À la Caisse d’épargne d’Île-de-France, 29 agences sur les 455 recensées à ce jour vont disparaître à l’horizon de la fin de 2019.
On imagine facilement les conséquences de ces choix : un service dégradé pour les clientEs, surtout les plus modestes, une surcharge de travail supplémentaire pour les salariéEs avec pour corollaires l’intensification des rythmes et davantage de souffrance au travail, le tout dans un contexte où les CHSCT auront disparu.
Fuite en avant
Ces évolutions s’inscrivent dans une fuite en avant d’un capitalisme financiarisé qui brûle tout sur son passage : peuples, ressources naturelles, droits sociaux, emplois. Dans un tel contexte, la socialisation de l’intégralité du secteur bancaire et des assurances pour en faire un service public s’impose comme une mesure prioritaire. Car d’autres choix sont possibles. Pourquoi ne pas consacrer les gains de productivité à la diminution du temps de travail plutôt que de les affecter aux seuls profits des actionnaires ? Cela permettrait non seulement de maintenir les emplois existants, mais aussi d’en créer de nouveaux. Une mobilisation des salariéEs des banques serait indispensable. Toutes banques confondues, il s’agit de défendre, touTes ensemble, les emplois, les conditions de travail et le service aux clients. Une remise en cause du « libéralisme numérique » est nécessaire, tant celui-ci conduit à « un accompagnement algo-rithmique tendanciellement continu de nos existences », pour reprendre les mots d’Éric Sadin2.
Côté syndical, c’est un syndicalisme de lutte qui est à l’ordre du jour, et non un syndicalisme d’accompagnement dont on mesure aujourd’hui les insuffisances et les nuisances.
Patrick Saurin