Le 2 mai, la presse étatsunienne a révélé dans une fuite sans précédent un projet d’avis de la Cour suprême, « Dobbs v. Jackson Mississippi Women’s Health Organization » remettant en cause le droit à l’avortement.
Les projets peuvent changer, mais le langage ne laisse aucun doute sur l’intention de la majorité ultra-conservatrice d’annuler l’arrêt historique de 1973 de Roe V. Wade. La décision rendrait l’avortement illégal dans au moins 26 États, dont 13 États qui ont des lois prêtes à entrer en vigueur si l’arrêt Roe tombe. Il s’agit d’un coup dévastateur qui ferait passer l’avortement d’un droit protégé au niveau fédéral à une question de droits des États, avec les conséquences les plus graves pour les femmes pauvres et de la classe ouvrière, les personnes trans, queer et non binaires qui peuvent être enceintes, et les personnes de couleur, qui seront de manière disproportionnée incapables de supporter le temps et le coût d’un déplacement hors de l’État pour obtenir un avortement, ou seront obligées de le faire illégalement.
Heureusement, comme en témoignent les premières manifestations, un nombre important de personnes sont horrifiées et indignées par la fuite du projet et ont conclu qu’une mobilisation massive dans les rues est nécessaire pour défendre Roe. Au cours de la semaine dernière, les manifestations d’urgence – dont beaucoup ont été convoquées au pied levé – ont été importantes dans de nombreuses villes, sans être massives – plusieurs milliers de personnes ont manifesté à Chicago, à New York et même à Houston, au Texas (l’un des points de départ de ce combat).
Une menace de la droite radicale
C’est ainsi que le 12 mai les militantes Haley Pessin et Natalia Tylim présentent la situation sur le site américain Tempest1. Cette menace contre un droit fondamental des femmes, celui de décider du moment et de l’opportunité d’avoir un enfant, intervient peu de temps après des avancées significatives obtenues ailleurs sur le continent américain, en Argentine (2020), au Chili (2017) ou au Mexique (2021) qui ont légalisé ou dépénalisé l’avortement de manière plus ou moins partielle, suite à de grandes mobilisations de masses.
Une majorité de la population des États-Unis (69 %) soutient le jugement Roe vs Wade ; néanmoins, une Cour suprême de 9 personnes, reflétant la force du courant d’extrême droite fondamentaliste illustré par l’élection de Donald Trump en 2016, peut prendre cette décision. Les juges ne sont pas élus et ont un mandat à vie une fois nommés par le président en exercice. Actuellement, trois ont été nommés par Trump, trois par George W. Bush et trois par les présidents démocrates Clinton et Obama. Mais leur décision se base également sur l’agitation efficace d’une base qui mobilise les fanatiques de l’accouchement forcé pour harceler régulièrement les patientes et le personnel à l’extérieur des cliniques et attaquer les décisions judiciaires au niveau local et des États.
La nécessité d’une stratégie de lutte
Les Démocrates au pouvoir n’ont pas tenu leurs promesses, ni sous Obama en 2009, ni sous Biden aujourd’hui et ne se mobilisent pas pour contrer les pro-lifers dans la rue. Ils adoptent une stratégie de défense légaliste. Ils se présentent néanmoins comme le parti pro-choix, et s’affichent aux côtés de grandes organisations libérales comme la Women’s March et Planned Parenthood qui ont appelé à la journée nationale d’action du 14 mai. Des milliers de femmes à travers le pays ont manifesté avec des pancartes proclamant leur détermination à maintenir ce droit gagné dans le cadre des mobilisations de masse du mouvement des femmes des années 1970.
Le résultat de l’annulation de Roe ne serait pas la fin des avortements, mais la fin des avortements sûrs et accessibles. Des lois telles que la SB8 du Texas (qui permet à des citoyens privés de poursuivre les personnes qui cherchent à avorter et toute personne qui les aide à le faire) et la HB813 de Louisiane (qui permettrait aux procureurs d’accuser de meurtre les personnes qui obtiennent un avortement) sont conçues pour criminaliser les personnes qui ont accès aux moyens plus sûrs d’interrompre une grossesse non désirée tels que la pilule abortive ou de voyager dans un autre État. Le manque d’accès à l’avortement affecte toujours le plus les NoirEs, les pauvres et les travailleuses.
La bataille pour défendre le droit à l’avortement aux États-Unis n’est pas simplement importante pour toutes celles aux USA qui souhaitent pouvoir décider pour elles-mêmes – le résultat aurait aussi un impact sur les luttes des femmes sur le plan international – et montre encore une fois que les droits des femmes ne sont jamais gagnés et que les préserver et les étendre demande toujours une lutte acharnée.