Publié le Vendredi 31 mars 2023 à 10h20.

Foutues pour foutues. Trente histoires de la justice faite aux femmes

Sous la forme de brefs portraits accompagnés d’œuvres graphiques originales, Foutues pour foutues donne à lire trente histoires de femmes victimes de la justice patriarcale à travers le monde, du XIIIe au XXIe siècle, alertement brossés par « neuf incorrigibles », comme elles-mêmes se nomment.

Il s’agit de Barbara Ates, Stéphanie Barbier, Fatima Benomar, Angélica Espinosa F., Caroline Henimann, Charlotte Renault, Claire Savina, Éliane Silga et Lucille Terré ; en collaboration avec six illustratrices : Fatima Benomar, Yasmine Blum, Juli Jardel, Anne Loève, Maëva Longvert, Gaëlle Loth, Laura Pandelle.

Foutues pour foutues vaut autant par la beauté des illustrations, la qualité de l’écriture et le choix des figures féminines, que par l’importance des sources convoquées : chaque contributrice s’est engagée, comme l’explique la préface, à consulter des spécialistes du sujet abordé, pour la période historique, le type de criminalité traité, la problématique particulière à chaque portrait, tandis que la préface s’appuie sur plusieurs travaux universitaires sur la criminalisation des femmes, en articulation avec la question du genre comme construction économique et sociale. C’est non seulement la quantité des situations mises en lumière, dont le nombre fait système, mais aussi leur variété, qui permettent de montrer les multiples facettes de la justice patriarcale au fil des époques et des cultures, avec ses variantes et ses invariants. Les portraits proposés font ainsi sortir de l’oubli historique, du scandale, du mépris ou de la relégation, des femmes choisies pour leur destin exceptionnel, leur détermination dans la lutte, ou au contraire pour la banalité des faits pour lesquels elles ont été condamnées : toutes sont exemplaires pour les violences et la répression qu’elles ont subies.

L’ordre chronologique des portraits permet de montrer le « continuum spatio-temporel des patriarcats » (p. 23), mais l’ouvrage suggère un mode de lecture plus transversal par le biais d’une classification en six catégories reliées par une lettre commune, le F – comme « Femmes » et comme « Foutues », mais aussi comme « Fières », « Fortes », « Fameuses » : les « Fées fêlées » (renvoyées pour leur savoir tantôt à la folie, tantôt à la magie, et pour qui l’asile se substitue à la prison sous couvert d’indulgence judiciaire) ; les « Flamboyantes » (prostituées, femmes adultères, renvoyées au rôle de « salopes ») ; les « Fatales » (tueuses en série, empoisonneuses, assassines de leur nouveau-né ou de leur conjoint violent) ; les « Filoutes » (voleuses, arnaqueuses, cheffes de gang, pirates) ; les « Fouteuses de merde » (leadeuses politiques, militantes ou intellectuelles) ; les « Fautives d’avance » (condamnées dès la naissance pour leurs chromosomes, leur culture, leur religion). Ne pouvant ici rendre justice à leurs voix à toutes, laissons la parole à quelques « grandes gueules » :

Assata Shakur, militante afro-américaine réfugiée à Cuba, membre éminente des Black Panthers et de la Black Liberation Army, condamnée comme « tueuse de flics » et « braqueuse de banques », première femme à être ajoutée sur la liste des vingt-cinq terroristes les plus recherchéEs par le FBI, soixante-quinze ans en 2022 : « Je prône l’autodétermination pour mon peuple et pour toustes les oppriméEs à l’intérieur des États-Unis. Je prône la fin de l’exploitation capitaliste, l’abolition des politiques racistes, l’éradication du sexisme et l’élimination de la répression politique. Si c’est un crime, alors je plaide coupable. »

 

Fernanda Farias de Albuquerque, Brésilienne transgenre condamnée en 1990 par un tribunal italien à six ans de prison pour tentative d’homicide :

« Sans effort, dans les bras du démon,

en Europe, on y arrive à voix basse.

Ici, chez vous, on ne meurt pas bruyamment.

Tués, par balle ou à coups de couteau,

au milieu des hurlements et des coups de ciseaux.

Ici, on disparaît sans faire de bruit, tout bas. En silence.

Seules et désespérées. Du sida et de l’héroïne.

Ou alors dans une cellule, pendues au lavabo. »

 

C’est bien une histoire universelle des femmes, incarnée à travers ces portraits, individuels ou collectifs, de femmes jugées comme criminelles, folles, dangereuses, sorcières, etc., bref, coupables de leur genre féminin, que Foutues pour foutues retrace. C’est aussi, du même coup, l’histoire de l’oppression masculine qui s’exerce quotidiennement et sous toutes les latitudes par des violences économiques, familiales, sexuelles, raciales, politiques, coloniales, religieuses, conjugales, policières, médicales, carcérales, et bien sûr, judiciaires.