L’Allemagne, première puissance économique de l’Union européenne, passe-t-elle à la semaine des 28 heures, au moins dans un secteur industriel clé ? Le pays dont la politique économique était dictée d’une main de fer austéritaire par Wolfgang Schäuble – le ministre fédéral des Finances sortant, qui sera remplacé par un social-démocrate dans le futur gouvernement actuellement en formation – s’est-il converti à la primauté de la vie personnelle et familiale sur les cadences du travail ?
Certains en rêvent. Pour d’autres, cela serait plutôt un cauchemar. La réalité n’est pourtant pas exactement celle décrite dans la presse française, y compris par le Figaro qui titre « L’Allemagne valide la semaine de 28 heures dans la métallurgie »…
Victoires partielles
Mardi 6 février, la puissante fédération syndicale de la métallurgie IG Metall, affiliée à la confédération hégémonique DGB, s’est mise d’accord avec le patronat au sujet d’un futur « contrat tarifaire » (équivalent, avec certaines différences, d’une convention collective en droit français). Le contrat collectif vaudra d’abord uniquement pour le Bade-Wurtemberg, région prospère du sud-ouest de l’Allemagne où se trouve concentrée une bonne partie de l’industrie automobile. La négociation se déroule désormais dans les autres régions.
Cette fois-ci, la négociation s’annonçait plus dure que d’habitude. Au mois de janvier, des débrayages « d’avertissement » avaient eu lieu, et le conflit s’était durci à partir du week-end des 27 et 28 janvier avec des grèves partielles. La fédération IG Metall affichait des revendications phares : une augmentation salariale de l’ordre de 8 % – elle aura obtenu 4,3 % sur deux ans –, ainsi que le passage à une semaine de travail de 28 heures (au lieu de 35) pour les parents ou les personnes soignant des membres de leur famille âgés et dépendants, pour une durée de deux années.
La flexibilité gagne du terrain
À l’arrivée, la fédération IG Metall peut afficher un symbole qui semble signaler son succès : les groupes précités et les travailleurEs en 3 × 8 pourront passer à 28 heures hebdomadaires, pour une durée comprise entre 6 et 24 mois. Toutefois, contrairement à ce qui avait d’abord été demandé, cette réduction du temps de travail se fera sans compensation salariale : il s’agit d’un passage simple d’un temps complet à un (gros) temps partiel, avec réduction du salaire. IG Metall célèbre néanmoins ce changement comme une prise en compte des rythmes de la vie, qui ne passent plus systématiquement derrière les rythmes de travail.
Toujours est-il que le patron pourra refuser ce passage aux 28 heures si plus de 10 % du personnel est déjà concerné ; ou encore si 18 % travaillent déjà à temps partiel (au sens classique). Par ailleurs et surtout, le patronat a aussi obtenu qu’en parallèle les employeurs pourront aussi augmenter le temps de travail pour d’autres groupes de salariéEs qui acceptent. Ainsi jusqu’à 18 % des personnels pourront travailler régulièrement 40 heures au lieu de 35 par semaine. Cette proportion passe à 30 % en cas de pénurie de personnels qualifiés, voire à 50 % dans les entreprises « à proportion forte de rémunérations élevées », ce qui concernera les secteurs de pointe les plus tournés vers l’exportation.
Alors que Der Spiegel juge que la fédération IG Metall et le patronat auraient imposé tous les deux leurs points de vue, il y a surtout à retenir que la flexibilisation du temps de travail – parfois sur demande des salariéEs (mais avec perte de rémunération), et presque toujours dans l’intérêt de l’employeur – a gagné du terrain.
Bertold du Ryon