Publié le Vendredi 6 janvier 2017 à 10h38.

Allemagne : Le point de bascule ?

Après la France pendant l’hiver 2015-2016, l’Allemagne est entrée dans une phase où « la menace terroriste » se trouve placée au centre des débats de politique intérieure.

Neuf mois avant les élections législatives générales programmées au plan fédéral (national) en septembre prochain, l’occasion est trop belle pour que certainEs remettent bien plus que « cinq balles dans la machine » du discours sécuritaire forcené... et surtout anti-migrantEs. Cela même si certaines réactions extrêmes observées en France ne sont pas à cette heure au rendez-vous de l’autre côté du Rhin. Pour le moment... Ainsi si l’Allemagne dispose d’une législation sur l’état d’urgence adoptée en mai 1968 (sa préparation a été à l’origine du mouvement contestataire de 1968 en Allemagne de l’Ouest...), le gouvernement n’a jusqu’ici pas eu recours à l’état d’urgence. Jusqu’ici...

Tragédie d’une trajectoire

Lundi 19 décembre au soir, un individu a tué douze personnes et en a blessé une soixantaine sur un marché de Noël berlinois. L’auteur de la tuerie a fauché les victimes à bord d’un camion, copiant le procédé de l’attentat commis le 14 juillet dernier à Nice.

Les enquêteurs pensent avoir identifié le tueur comme étant le ressortissant tunisien Anis Amri, âgé de 24 ans. Celui-ci mourra trois jours après l’attentat devant une gare à proximité de Milan (Italie), après avoir tiré sur un policier lors d’un « contrôle de routine ». Amri, à supposer qu’il soit réellement le coupable (ce que la présence de ses empreintes digitales sur le camion semble en effet indiquer) était un militant islamiste radical. Salafiste à l’idéologie djihadiste, décrit comme « très mobile » entre plusieurs villes d’Allemagne, il aurait prêté allégeance à Daesh dans une vidéo publiée après sa mort. Et Daesh a depuis revendiqué l’attentat de Berlin.

Amri était venu en 2011 en Italie, en même temps que des milliers de jeunes Tunisiens, alors que la révolte tunisienne avait temporairement fait tomber le contrôle policier des frontières et des côtes. Auparavant, le régime de Ben Ali criminalisait toute tentative d’« émigration illégale ». Avant cette date, Amri n’était pas connu pour des sympathies avec le courant islamiste radical, mais aurait cependant eu un passé de petit délinquant en Tunisie.

En octobre 2011, avec deux autres migrants, Amri mit le feu à un centre à Catania (Sicile) où il était hébergé et dont les conditions sont décrites comme « difficiles ». Condamné à quatre ans de prison en Italie, une incarcération qu’il a réellement effectuée avant de venir en Allemagne, il aurait connu une « radicalisation » idéologique pendant son séjour en prison. Si la tuerie perpétrée à Berlin montre le caractère violent et antihumaniste des courants djihadistes, elle ne relève donc pas d’un islamisme qui aurait été importé en Europe de l’extérieur... La conversion idéologique d’Anis Amri semble plutôt trouver ses racines dans ses désillusions importantes suite à son arrivée en Italie, puis à de multiples contacts noués à ­l’intérieur de la prison.

Fuite en avant anti-migrante

Cette lecture n’est pas celle des médias et politiques allemands, et en conséquence, le débat public s’en ressent. Jusque dans des journaux proches du centre-gauche tels que Die Zeit, ce débat se focalise plutôt sur les futures possibilités de renvoyer plus facilement des migrantEs dit « indésirables » et les demandeurEs d’asile rejetés, s’appuyant donc sur le profil d’Anis Amri pour justifier de nouvelles mesures à prendre.

Les autorités allemandes avaient cherché à expulser ce dernier, mais les autorités tunisiennes avaient retardé cette tentative, puisque le laisser-passer consulaire (un document indispensable pour expulser un ressortissant étranger n’ayant pas de papiers d’identité sur lui) n’est arrivé à Berlin que le sur-lendemain de l’attentat...

Et cela gagne jusque dans les rangs des Verts, un parti de tradition plutôt humaniste... mais avant tout désireux de faire partie du prochain gouvernement fédéral avant la fin de l’année (au côté de la social-démocratie, voire même pour une partie des écologistes en alliance avec la droite !). On ne discute plus que de la nécessité d’accords de réadmission pour les « indésirables », à commencer avec l’ensemble des pays du Maghreb.

La situation allemande est peut-être en train de basculer...

Bertold du Ryon