Publié le Vendredi 10 juillet 2009 à 23h37.

Analyse: Dix notes sur le coup d'Etat au Honduras par Augusto Sención Villalona

1. Avec le coup d'Etat au Honduras, le gouvernement des Etats-Unis poursuit quatre grands objectifs:

a) Empêcher la poursuite et l'approfondissement des changements démocratiques dans ce pays d'Amérique centrale. Le gouvernement nord-américain sait que le projet d'assemblée constituante et de réforme constitutionnelle promu par Zelaya va affaiblir la droite et pourrait ouvrir la voie à des changements révolutionnaires plus importants.

b) Envoyer un message clair aux gouvernements du Guatemala et du Salvador, où les armées sont de droite, pour qu'ils ne se rapprochent pas trop du Venezuela. Le gouvernement du Guatemala fait partie de Pétrocaribe et celui du Salvador est en train d'étudier son adhésion à cet accord pétrolier avec le Venezuela et probablement également pour intégration dans l'ALBA (Alliance bolivarienne des peuples d'Amérique).

c) Affaiblir l'influence du gouvernement du Venezuela en Amérique centrale, où trois Etats font déjà partie de Pétrocaribe et deux de l'ALBA (Honduras et Nicaragua).

d) Commencer à contenir et à refouler dans toute l'Amérique latine les processus populaires qui sont hostiles à sa politique impérialiste.

2. Malgré le fait que le gouvernement US « condamne » publiquement le coup d'Etat, il ne peut s'empêcher de masquer totalement ses liens avec ce dernier. Plusieurs faits le démontrent; le départ de l'ambassadeur US au Honduras deux jours avant le renversement de Zelaya, le silence du président Obama pendant le premier jour du coup d'Etat (le dimanche 28 juin) jusqu'au lendemain matin, son silence postérieur et le rôle joué par la chaîne de télévision CNN, qui parle de « substitution forcée » (sic) du gouvernement légitime et reconnaît le président de facto Micheletti. Bien que CNN est une entreprise privée, elle agit comme une agence gouvernementale de propagande en faveur de la politique US. Mais s'il ne fallait qu'un argument pour prouver l'implication de Washington, c'est bien le fait qu'en Amérique latine aucun militaire, patron ou politicien de droite ne peut renverser un gouvernement sans le soutien explicite ou implicite des Etats-Unis.

3. Le régime de facto hondurien a deux bases d'appui: le gouvernement des Etats-Unis, qui ne le rejette qu'en apparence, et le bloc politique réactionnaire formé par les partis traditionnels, l'armée, la hiérarchie de l'Eglise catholique et le patronat. Mais vu leur isolement international et le rejet populaire croissant, les putschistes ne peuvent s'en sortir qu'en négociant un accord favorable avec Zelaya ou en écrasant dans le sang le mouvement populaire, déjà fortement réprimé aujourd’hui par les armes, l'Etat de siège et les couvres-feu.

4. La base « légale » du gouvernement de facto est désastreuse. Il a renversé et expulsé du pays un président qui n'avait pas violé la loi et le déclare « fugitif » alors qu'il n'a pas été jugé, il lui attribue une lettre de démission qu'il n'a jamais écrite, ordonne son arrestation s'il revient (alors qu'il avait été capturé et expulsé du pays...) tout en empêchant son retour effectif... Les aberrations juridiques ne font que traduire l'enlisement des putschistes. Cependant, comme le problème n'est pas juridique mais politique, les putschistes ne se rendront pas pour des raisons légales. Ils ne le feront que suite à l'effondrement de leur bases d'appui et surtout si les Etats-Unis donnent l'ordre de faire marche arrière afin d'éviter le pire.

5. Conscient de la faiblesse du régime de facto, le gouvernement des Etats-Unis promeut une issue négociée entre Zelaya et Micheletti. Si un accord est conclu au Costa Rica pour le retour de Zelaya en échange de son abandon du projet d'une assemblée constituante, le processus de changements sera légalement obstrué. Vu qu'un vaste processus populaire a été enclenché, Zelaya pourrait former un nouveau parti, avec des secteurs libéraux, la gauche et le mouvement social afin de disputer l'hégémonie à la droite traditionnelle au cours des prochaines années, mais il renoncerait à la Constituante et à la réforme constitutionnelle. Par contre, si Zelaya revient au pouvoir et poursuit son projet d'assemblée constituante, les putschistes auront perdus sur toute la ligne.

6. Si aucun accord n'est conclu au Costa Rica, les putschistes continueront à être isolé à l'échelle internationale et la résistance sociale intérieure ira croissante car la situation de la majorité sociale s'aggravera, tant du fait de la répression que de la crise économique.

7. Si les pays voisins d'Amérique centrale ferment leurs frontières avec le Honduras, la situation économique de ce pays sera catastrophique. Plus de 25% de ses exportations annuelles sont destinées à l'Amérique centrale, soit un peu plus de 1,5 milliards de dollars, tandis que ses importations en provenance de la région sont encore plus élevées. Le fermeture des frontières provoquerait un effondrement du commerce, la faillite des entreprises, l'explosion du chômage, une déroute bancaire et la chute des revenus publics. Les faillites et la baisse de moyens publics provoqueraient une pénurie alimentaire et un taux de chômage qui rendrait intenable la permanence au pouvoir des putschistes, même s'ils augmentent sans cesse la répression. Il n'est pas certain que les pays de la région adopteront cette mesure, mais c'est une probabilité.

8. En cas d'échec des négociations, les putschistes seront forcés de durcir la répression interne face à un mouvement social qui prendra sans cesse de l'ampleur. Ils seront également poussés à précipiter les prochaines élections présidentielles prévues au mois de novembre. Cependant, cela ne résoudra rien puisque le résultat de ces élections n'aura aucune légitimité ni reconnaissance à l'échelle internationale ou interne. Zelaya est le seul président légitime jusqu'en janvier 2010. Aucune mesure légale n'a de valeur juridique tant qu'il sera exclu de sa charge. De plus, de telles élections anticipées, sans observateurs internationaux et avec le boycott populaire dont elles seront certainement l'objet ne feront qu'aiguiser le conflit.

9. En cas d'absence de toute négociation, les putschistes seront peu à peu étouffés, malgré tout l'oxygène donné par les Etats-Unis, qui évite toute mesure concrète qui pourrait leur porter préjudice. Leur durée au pouvoir dépendra principalement de l'évolution de la lutte sociale et du niveau de cohésion du bloc sur lequel ils s'appuient, notamment l'attitude des patrons, qui seront très affectés dans leurs profits. Quant à l'armée, entièrement sous contrôle des Etats-Unis, elle n'agira contre le régime de facto que si elle en reçoit l'ordre de Washington. L'Eglise sera toujours fidèle dans son opposition à Zelaya, mais les grands et moyens patrons ne pourront supporter longtemps la crise économique, la chute de la consommation et l'effondrement du commerce. Ils mettront la pression pour une issue politique.

10. Si le gouvernement de facto s'écroule avant le mois de novembre, Zelaya retournera dans son pays avec plus de légitimité et le processus révolutionnaire prendrait plus de forces. Le cycle politique ouvert au Honduras est donc, malgré les risques, très positif pour les forces de gauche. Une option révolutionnaire est en train de naître.

7 juillet 2009