Le pouvoir birman mène une véritable politique d’épuration ethnique à l’encontre de la minorité musulmane, chassée du pays. Jamais la persécution des Rohingya n’avait atteint une telle violence.
Les Rohingya constituent l’une des principales populations apatrides dans le monde. Il n’en a pas toujours été ainsi. Leur présence remonte au 19e siècle, voire bien avant. Ils habitent l’Arakan – l’actuel État birman de Rakhine –, partageant une petite zone frontalière avec le Bangladesh. La citoyenneté birmane ne leur a jamais été reconnue, mais ils ont eu néanmoins droit à des cartes d’identité en tant que résidentEs temporaires.
Campagnes antimusulmanes
En 2014, sous la pression des nationalistes bouddhistes, le gouvernement a décrété que les Rohingya ne pouvaient dorénavant être enregistrés que comme des Bengalis (alors que le Bangladesh ne les reconnaît pas). Puis, le droit de vote leur a été retiré. Progressivement, les campagnes antimusulmanes sont devenues de plus en plus agressives. Des restrictions ont été imposées concernant les mariages, le nombre d’enfants, l’accès à l’emploi, l’éducation, les déplacements…
En 2012 déjà, à l’occasion d’une rumeur de viol, les nationalistes bouddhistes ont brûlé des habitations, tué plus de 280 Rohingya, provoqué la fuite de milliers de personnes dont beaucoup se sont retrouvées errant sur des bateaux, se voyant souvent refuser refuge par les pays avoisinants. En 2016, l’armée et la police ont quadrillé le territoire musulman.
Face à ces exactions croissantes, des militantEs ont constitué l’Armée du salut des Rohingya de l’Arakan (ARAS). Ils se défendent de tout fondamentalisme, se présentent comme un mouvement d’auto-défense et de libération. En Birmanie, de nombreuses minorités ethniques sont armées et tiennent en échec les forces gouvernementales. En août 2017, l’ARSA s’est attaquée à des positions de la police ou de l’armée, les combats ont fait plus de cent morts (en grande majorité Rohingya, pour une douzaine de policiers).
Épuration ethnique
Le pouvoir birman a saisi l’occasion pour déclencher une vaste opération d’épuration ethnique : massacres systématiques de civils, villages incendiés un par un, chasse aux personnes en fuite… Déjà quelque 400 000 Rohingya ont passé (au risque de leur vie) la frontière pour se réfugier au Bangladesh, mais aussi en Malaisie, en Thaïlande, voire en Indonésie, se retrouvant totalement démunis, épuisés, souvent orphelins pour les enfants. Les Rohingya seraient au total un peu plus d’un million.
Aucune force significative n’a manifesté en Birmanie de solidarité envers les Rohingya – que ce soit de la part d’autres minorités ethniques ou d’Aung San Suu Kyi, opposante historique à la junte militaire, prix Nobel de la Paix et aujourd’hui chef d’État. Elle parle la langue du nationalisme birman plus que des droits humains.
Même si la Ligue nationale pour la démocratie (LND) a emporté les élections législatives de 2015, l’armée détient toujours des pouvoirs décisifs. La Constitution leur accorde trois ministères clés (l’Intérieur, la Défense, les Frontières) et leur garantit 25 % des sièges au Parlement (soit le droit de veto sur tout amendement à la Constitution). Elle a la haute main sur tout ce qui concerne la sécurité nationale – donc sur les territoires musulmans. Elle est secondée par la police et par des milices bouddhistes d’extrême droite. Un influent mouvement fondamentaliste bouddhiste s’est constitué derrière la figure du moine U Wirathu, raciste et xénophobe.
L’armée en position de force
Signe des temps, la victoire de la LND n’a pas enclenché un réel processus de démocratisation ; nous vivons une période où les régimes tendent à devenir de plus en plus autoritaires et pas l’inverse. L’armée a su pérenniser sa domination. La crise des Rohingya vient à point pour affirmer sa prépondérance et ce n’est pas un hasard. Elle permet aussi d’exacerber le nationalisme birman et, à la clientèle du régime, de s’emparer des terres des musulmans massacrés ou chassés sans espoir de retour.
Les conditions faites aux réfugiéEs Rohingya dans les pays d’accueil sont souvent déplorables. Apatrides ils étaient devenus, apatrides ils restent. Les institutions internationales déclenchent d’importants programmes d’aide ; malheureusement, l’expérience montre leurs limites ou, à terme, leurs effets pervers quand les conditions d’une prise en main collective de leur avenir par les réfugiéEs ne sont pas réunies.
Par-delà les protestations verbales, l’Union européenne et les États-Unis ménagent le régime birman. L’arrêt de la politique de terreur et d’épuration ethnique n’est pas considéré comme une priorité.
Pierre Rousset