Le livre de Xavier Montanyà, Les derniers exilés de Pinochet, édité chez Agone, revient sur le spectaculaire attentat contre Augusto Pinochet en 1986. Le 7 septembre de cette année, un commando du Front Patriotique Manuel Rodriguez (FPMR), bombarde d’un feu nourri le cortège du dictateur chilien qui revient de sa résidence «El Melocoton». Le livre retrace aussi l’incroyable évasion des membres de cette organisation, par un tunnel creusé durant un et demi à la barbe des geôliers de la Carcel Public de Santiago. Entre ces deux événements au caractère exceptionnel, Montanyà, journaliste free lance, raconte le Chili de ces années-là. Rencontre avec l'auteur, l'éditeur à Agone Raphaël Monnard et Carolina, Chilienne, de la génération 80.
Pourquoi t’es-tu intéressé aux actions du FPMR ?
X.M: Au départ, ce devait être un documentaire. J’ai beaucoup travaillé la question de la mémoire, le pacte du silence qui est intervenu entre les franquistes et les autres en Espagne. Même aujourd’hui les recherches sur cette période sont difficiles. Nous n’avons accès à aucune archive. Il y a censure ou prohibition sur l’histoire, en particulier des hommes qui ont lutté contre le régime franquiste. Auparavant, j’ai réalisé un documentaire sur le Winnipeg1, ce bateau de France navigation et armé par le Parti communiste. J’ai rencontré alors une femme de ce bateau, accueilli par Neruda et cette femme est la mère de Rafael Pascual, qui est dans le livre. C’est un militant communiste et instructeur en guérilla urbaine, formé à Cuba. Il a été arrêté en 1986, dans le cadre d’un trafic illicite d’armes pour la guérilla.
Quel est ton propos ?
X.M: Ce qui me semble important c’est la dénonciation de la «Transition» démocratique. Entre l’Espagne et le Chili, il y a des similitudes, bien qu’au Chili, ils soient allés plus vite. Mais Pinochet est resté sénateur. D’autres rapprochements sont possibles entre les régimes: J’avais réalisé un documentaire sur deux anarchistes garrottés alors qu’ils étaient innocents: Granados et Delgado, un crime légal, ou je montre leur innocence mais surtout le complot orchestré autour d’eux. Pinochet, après son attentat, a aussi construit une nouvelle histoire de cet attentat, qui a manqué vraiment de peu de chance pour réussir.
Actuellement tu es à Marseille pour la sortie du livre ?
X.M: Pas seulement. Je travaille sur les services de contre-espionnage de Franco à Marseille. Ce livre sur les exilés du Chili est sorti d’abord en Catalan puis en Français maintenant. Jean-Marc Rouillan s’est occupé des recherches iconographiques et évidemment sa réincarcération a posé des problèmes.
R. M: J’ajoute que Jean-Marc a joué un rôle important en révisant cette traduction: Le travail annexe, les notes de bas de page, la révision de la traduction. Il avait la main sur les fichiers, ce qui nous a posé de sérieux problèmes lors de sa réincarcération. Il avait de véritables compétences pour ce livre.
X.M: Jean-Marc a respecté le texte, parce qu’il comprenait la transition, il avait souffert de cela aussi. Je déplore la manipulation médiato-politique qui l’a remis en prison.
Que sont devenus les évadés du FPMR ?
R.M: Juan Carlos Cancino, qui faisait partie de la seconde vague, touche une pension accordée par la commission Valech2 , comme victime de guerre, mais s’il pose le pied à Santiago, il peut être remis en prison. Pour preuve de la solidarité de ces militants, l’un d’entre eux en circulant dans le tunnel sans avoir de certitude sur une possible sortie, est revenu chercher ses camarades pour les informer du bon tuyau.
X.M: Ils sont des milliers à ne pouvoir vivre sans droits au Chili
Carolina: Pour vivre socialement là-bas, il faut un numéro d’immatriculation donné à la naissance.
Et depuis l’arrivée de Michelle Bachelet, la nouvelle présidente socialiste dont le père avait été torturé sous la dictature, il y a du neuf ?
X.M: Ce qu’on appelle la «transition démocratique», est un pacte contre ceux qui ont lutté contre le régime dictatorial. Les mécanismes de l’histoire se ressemblent dans des situations différentes. En Espagne, je connais des passeurs qui ont fait fuir des gens de France à l’Espagne durant la seconde guerre mondiale et qui ont été arrêtés et ont fini dans des camps français.
Tu racontes cette grande évasion comme un roman policier, il y a un rythme haletant aussi quand tu racontes l’attentat.
X.M: Il faut une énergie extraordinaire pour creuser un tunnel durant un an et demi. Pensez que les prisonniers de la cellule d’en face n’ont jamais rien su de ce projet. Ces hommes avaient suivi un entraînement à Cuba comme Rafael Pascual, au Salvador ou au Nicaragua. Ce sont des jeunes de 25 ans en moyenne, la génération 80 en somme. Ils appartiennent à des familles très impliquées, ce sont souvent des fils d’exilés espagnols.
En ce qui concerne l’attentat, le porteur de la roquette qui devait pulvériser Pinochet aurait pu changer la donne. Augusto Pinochet était avec son petit-fils3 dans la voiture qui a zigzagué en arrière pour se dégager du traquenard. L’attentat raté a accéléré la venue du référendum, même si la répression a continué. L’explication technique c’est que le tireur posté dans le fossé était trop près de la voiture.
Vois-tu un rapport entre l’histoire du Movimiento Iberique de Liberacion auquel appartenait Jean-Marc Rouillan et le FPMR ?
Le premier mouvement se situe dans une stratégie d’attaque alors que le FPMR c’était de l’autodéfense. Ce qui est important c’est la dénonciation de la transition démocratique.
1. Winnipeg, Palabras de un exilio.
2. 215 dollars, inférieur au salaire moyen.
3. Rodrigo Garcia Pinochet est candidat aux élections législatives, qui auront lieu le 13 décembre.