Les journalistes du Monde, à partir des Panama Papers, ont mis à nu un nouveau scandale financier dans lequel est impliquée la multinationale française Total. Une affaire qui illustre le pillage des ressources pétrolières avec la complicité des dirigeants africains.
Au début des années 2000 le Congo-Brazzaville est très fortement endetté. Pour obtenir le statut de PPTE (pays pauvre très endetté) qui lui permettrait une annulation d’une partie de sa dette, il doit se conformer aux exigences du FMI qui, outre les politiques d’austérité à l’encontre des populations, interdit pour les pays pétroliers une pratique courante appelée le « préfinancement pétrolier », qui consiste à recevoir l’argent pour une vente de pétrole future qui peut s’échelonner sur plusieurs années. Cette pratique a facilité bon nombre de détournements de fonds et hypothèque l’avenir du pays, d’autant que bien souvent ce préfinancement se fait à des conditions très avantageuses pour les multinationales pétrolières ou les institutions bancaires.
Architecture financière
Sassou Nguesso, arrivé au pouvoir à la suite d’une sanglante guerre civile, a donc mis en place un système permettant de contourner cette interdiction.
Si l’idée est simple, faire transiter le préfinancement par une société privée, le montage financier reste complexe et l’aide de Total sera décisive. La multinationale crée une société basée aux îles Vierges britanniques, « Montrow International limited », qui fait partie de la société « Montrow Trust » basée elle à Jersey qui sera propriétaire de « Likouala SA ».
Cette dernière, société au capital de 15 000 euros, dirigée par un haut cadre de Total, va emprunter 70 millions d’euros à la BNP Paribas. Le journal économique français les Échos parle de 80 millions). Avec cette somme, Likouala SA achète le champ pétrolier éponyme au gouvernement congolais. Le prêt est garanti par l’exploitation pétrolière menée par… Total. Le gouvernement congolais récupère ainsi les millions d’euros gagés sur les futurs barils d’or noir.
Si l’entourage de Sassou Nguesso n’a fait aucune déclaration, la compagnie pétrolière se réfugie derrière la sémantique. En effet, si elle ne nie pas son rôle dans cette affaire, elle parle d’une aide à la monétisation d’un champ pétrolier. Tout comme les banquiers ne parlent pas d’« évasion » mais d’« optimisation » fiscale.
Soutenir les dictatures
Pas si sûr que le FMI se soit fait berner comme le titre le Monde par Sassou Nguesso avec l’aide de Total. Un emprunt de 70 millions d’euros à la BNP Paribas par Likouala SA, qui porte donc le même nom que le champ pétrolier au Congo, a dû mettre la puce à l’oreille des dirigeants du FMI. Ce coup de pouce à la dictature congolaise resterait dans la même logique, celle d’éviter de déstabiliser des pays dans des régions fragiles.
Les gouvernements occidentaux savent fermer les yeux sur les pires violations des droits humains commis par des potentats quand ils servent docilement leur politique. Il ne serait donc pas étonnant que le FMI regarde autre part pendant que Nguesso et Total échafaudent leurs magouilles.
Mais la question principale, et elle est valable aussi pour d’autres pays comme le Tchad, la Guinée équatoriale ou le Gabon, porte sur l’utilisation de l’argent du pétrole. Dans ces pays, aucun progrès significatif tant au niveau économique que social n’a été enregistré. Pire, ils sortent exsangues et surendettés d’une décennie d’embellie pétrolière.
Par le pillage, les détournements de fonds, les gaspillages dans les achats d’armes et les grands travaux inutiles, l’exploitation du pétrole a profité aux multinationales et aux banques internationales. Les dettes que laissent les dictatures africaines, elles, seront payées par les populations et à coup sûr le FMI retrouvera sa vigilance…
Paul Martial