On connaît la synthèse d’Engels rappelant que l’Etat n’est jamais, en dernière instance, qu’un groupe d’hommes armés au service des intérêts de la classe dominante. La Catalogne l’a encore confirmé : les gardes civils arrivés en renfort par milliers ont matraqué à peu près tout ce qui pouvait sembler suspect, jusqu’aux urnes elles-mêmes, au nom de la défense de l’unité de l’Espagne.
On aura également en tête l’expression de Marx soulignant combien les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois, la première comme tragédie, la seconde comme farce. L’indépendantisme catalan et ses dirigeants ne font pas exception. Là où la République catalane de 1934 décrétée par Companys avait existé pendant 24 heures, celle de Puigdemont n’a même pas duré dix secondes. Puis il y a eu les hésitations suivis de sursauts, jusqu’à jouer la partition du gouvernement en exil. Mais ce qu’exige Madrid, c’est une capitulation sur toute la ligne. L’article 155 a donc été enclenché, suivi d’une série d’arrestations et de mandats d’arrêts.
« Un coup d’Etat venant de l’Etat ». L’expression de Josep María Antentas définit assez bien la mise en place de mesures d’exception par Madrid pour suspendre les institutions catalanes et incarcérer un certain nombre de ses dirigeants, accusés de « sédition » et « rébellion ». Certains analystes, très hostiles à la cause catalane, ont contesté l’idée qu’il s’agisse d’un coup de force franquiste, la situation de l’Etat espagnol aujourd’hui étant, selon eux, incomparable avec celle du début des années 1970. Concédons-leur que « post-franquiste » est plus adéquat. Mais cela ne change rien à la donne. Il suffit de considérer les chefs d’inculpation.
Dans cette Constitution de 1978, produit d’une union sacrée allant de la droite au PCE en passant par le PSOE, personne n’avait jamais osé mettre en œuvre l’article 155, qui autorise le gouvernement central à « adopter les mesures nécessaires » contre toute institution autonome qui mettrait en cause l’unité de l’Espagne. Les délits de « sédition » et de « rébellion » visant toute personne accusée de vouloir renverser la Constitution ont été avancés pour inculper plusieurs dirigeants catalans en vertu de deux jurisprudence : la première remonte à 1980, à l’époque où les fonctionnaires en grève étaient automatiquement accusés de « sédition », la seconde à 1981, lors de la tentative de putsch fasciste du major Tejero (qui comptait alors de nombreux appuis chez les mentors de Rajoy), accusé, lui et les siens, de « rébellion ».
A échelle de l’Union Européenne, ce n’est pas la première fois que les gouvernements et les polices collaborent pour participer à cette charge résolue contre un droit démocratique élémentaire, le droit à l’autodétermination. Les autorités espagnoles, friandes de demandes d’extradition contre les militants basques ou d’extrême gauche depuis les années 1980, n’en sont pas à leur coup d’essai. Cette fois encore, les capitales européennes soutiennent Madrid.
Dans la péninsule, le tournant ouvertement liberticide et autoritaire de l’Etat central ne vise pas seulement les catalanistes « séditieux » et « rebelles ». La mise au pas des aspirations démocratiques indépendantistes y a toujours accompagné ou annoncé de violentes charges contre le mouvement ouvrier et populaire dans le reste de l’Etat, mais également à l’encontre des libertés fondamentales. Dernièrement, c’est le rédacteur en chef de l’hebdomadaire satirique Jueves, publié depuis 1977, symbole de l’après-Franco, qui a été mis en examen pour « injures » à l’encontre de la police nationale. Sa faute ? Avoir publié un billet d’humeur affirmant que les « stocks de cocaïne en Catalogne » étaient à sec compte-tenu de « la présence des forces anti-émeutes » envoyés en renfort depuis le 20 septembre. Non seulement Rajoy ne lésine pas sur la matraque, de surcroît il n’a pas d’humour.
La répression en règle qu’est en train de mener le gouvernement madrilène, avec le soutien de Ciudadanos (centre-droit) et des socialistes espagnols, est l’expression la plus avancée des tendances autoritaires qui se manifestent un peu partout en Europe et, sur la base de la désignation d’un ennemi interne, permettent de « blinder » la « démocratie ».
Raison de plus pour exiger, contre le coup de force de Madrid, la libération des prisonniers politiques et le respect des résultats du 1er Octobre. A travers le mouvement culturel catalan, la gauche syndicale et les comités de défense de la République, la jeunesse et les salariés démontrent que c’est par la grève, la mobilisation directe et l’auto-organisation que ces objectifs pourront être imposés.
J.-B. Thomas